La gastronomie est l’ensemble des régles, changeant selon le pays, la classe sociale et la mode, qui définissent l’art de « faire bonne chère ». Le terme apparaît pour la 1ère fois dans la langue française au tout début du XIXe siècle, en 1801 plus précisément, preuve de l’importance de ce siècle dans l’art du bien-manger et dans son évolution. C’est cette histoire de la gastronomie au XIXe que l’auteur Eric Glatre propose de retracer en 20 chapitres dans cet ouvrage.
Éric Glatre est historien et écrivain champenois. Auteur de plus d’une cinquantaine d’ouvrages dans le domaine du vin et de la gastronomie. Il siège à l’Académie Française du Chocolat et de la Confiserie depuis mai 2008, et est membre du réseau international de la chaire UNESCO « Vin et Culture ».
Les 20 chapitres du livre correspondent à 20 épisodes qui ont révolutionné la cuisine française au XIXe siècle. Mais, on peut repérer quelques constantes dans les thèmes étudiés ici.
Sous le 1er Empire, bien que Napoléon 1er montre peu d’intérêt pour les banquets et la gastronomie, la cuisine reste importante dans les relations politiques et diplomatiques. L’Empereur peut notamment compter sur deux membres de son gouvernement pour organiser des banquets fastueux afin de faire briller son règne gastronomiquement parlant : il s’agit de Cambacérés et de Talleyrand. Concernant ce dernier, l’auteur revient sur le rôle particulièrement important qu’a joué la gastronomie française dans les négociations du Congrès de Vienne qui aurait permis à la France de conserver ses frontières malgré les défaites napoléoniennes.
Eric Glatre met en avant aussi sur le rôle qu’ont joué certaines personnalités au XIXème siècle dans la définition et la diffusion de la gastronomie. Ainsi, dans la 1ère moitié du XIXe siècle, des auteurs comme Jean Anthelme Brillat-Savarin (La Physiologie du Goût en 1826) ou Marie-Antoine Carême (L’Art de la cuisine française au XIXe siècle en 1828) publient les premiers livres de cuisine, oscillant entre théorie et pratique. Mais, l’inventeur du livre de cuisine moderne est bel et bien Jules Gouffé : dans les années 1860-1870, ce cuisinier publie des ouvrages comme Le livre de cuisine : comprenant la cuisine de ménage et la grande cuisine composés de planches et d’illustration afin de détailler les gestes et les recettes. Plus surprenant est le rôle joué par Alexandre Dumas qui publie en 1869 un ouvrage à la gloire de la gastronomie : Le grand dictionnaire de cuisine. Eric Glatre n’oublie pas non plus de présenter le rôle de certains chroniqueurs gastronomiques (comme Alexandre Balthazar Laurent Grimod de La Reynière, auteur de L’Almanach des gourmands) ainsi que des premiers journalistes culinaires (comme Brisse et Monselet) dans la diffusion de l’amour de la bonne chaire.
De plus, l’auteur revient sur certaines innovations qui ont révolutionné la cuisine française au XIXe siècle. Tout d’abord, en terme d’organisation des repas, le service à la française (repas divisé en 4 ou 5 services avec l’ensemble des plats d’un service disposé sur la table, chaque hôte choisissant ce qu’il désire) est peu à peu remplacé par le service à la russe (menu unique pour tous les convives, service à la portion pour chaque hôte). C’est ainsi que se généralisent les menus en tant qu’objet culinaire aussi bien lors des banquets privés que dans les restaurants. Le XIXe siècle voit aussi l’apparition de nouveaux mets : la pomme de terre, la viande de cheval, le sucre de betterave, la chicorée, la margarine, la généralisation des légumes… Il est aussi marqué par certaines grandes inventions qui vont transformer la façon de cuisiner (le fourneau puis la cuisinière à gaz) et de conserver les aliments (les premières conserves, la chaîne du froid avec le premier bateau frigorifique). Ces différentes innovations ne sont bien sûr pas sans conséquences sur l’organisation du foyer domestique (apparition d’une pièce consacrée à la cuisine ainsi que de la salle à manger) mais aussi des villes (comme à Paris avec la construction des Halles centrales).
Enfin, Eric Glatre raconte la création des premiers restaurants à la fin du XVIIIe siècle : à cette époque, le terme de « restaurant » désignait d’ailleurs plutôt les plats qu’ils servaient, à savoir des plats faciles à digérer pour des personnes trop faibles pour manger. Dans le premier tiers du XIXe siècle, sont créés et fleurissent les premiers « grands » restaurants parisiens tous situés dans le quartier du Palais Royal : « Chez Beauvilliers », « Les trois frères provençaux », « Véry », Méot », « Au rocher de Cancale », « Le grad Véfour » … Mais, sous la Restauration, la Monarchie de Juillet et le Second Empire, de nombreux établissements situés sur les grands boulevards (surtout celui des Italiens) supplantent ceux du Palais Royal : ce sont souvent des cafés luxueux et réputés (« Café Anglais », « Café Riche », « Café Hardy », « Tortoni », « Café de Paris » …) qui deviennent des restaurants. L’auteur n’oublie pas d’aborder la question de la restauration populaire : en fonction de son niveau de revenu on peut manger chez « les marchands de bijoux » (qui servent les restes de table récupérés), dans les guinguettes, les mastroquets ou les gargotes. Mais, la véritable révolution de la restauration populaire dans la seconde moitié du XIXème siècle est la création des Bouillons Duval qui vont ouvrir de nombreuses succursales dans tout Paris et fonder ainsi le premier empire commercial de l’histoire de la restauration.
Mon avis
Dans cet ouvrage, Eric Glatre dépeint avec beaucoup de précisions des personnages hauts en couleur (cuisiniers, chroniqueurs gastronomiques, inventeurs …) et les hauts lieux de la gastronomie parisienne au XIXème. Il met aussi en exergue que c’est le siècle d’invention d’éléments culinaires qui nous paraissent aujourd’hui communs (restaurants, menus, boite de conserve …). On pourra, cependant, regretter le choix du découpage en 20 chapitres qui correspondent à 20 « épisodes » qui ont révolutionné la cuisine française. En effet, ce choix amène parfois à des répétitions et rend peu lisible l’évolution d’ensemble de la gastronomie française tout au long du XIXème siècle. Malgré cette réserve, l’ensemble est plaisant à lire et très instructif sur de nombreux points.
Bien que la gastronomie soit peu (c’est un euphémisme) abordée dans les programmes d’Histoire, cet ouvrage pourra être une source d’information intéressante pour les enseignants de 4éme ou de 1ère qui souhaiteraient rajouter un peu de quotidienneté dans leurs cours d’histoire. En effet, entre les inventions, les nouveaux mets ou l’invention des restaurants, il y a de quoi dans cet ouvrage rendre nos cours sur le XIXe siècle plus concret et plus proche du quotidien …