Aux grands hommes, la patrie reconnaissante. Cette inscription, gravée sur le fronton du Panthéon, tisse le lien indéfectible de la Révolution française avec les personnages qu’elle a voulu célébrer. Église devenue temple de la mémoire en avril 1791, ce lieu se veut donc, depuis sa consécration, comme la sentinelle mémorielle des grands hommes, « héros » de la Révolution.
Or, de qui s’agit-il lorsque l’on parle des « héros » de la Révolution ? Mirabeau le législateur, panthéonisé le 4 avril 1791 ? ; Voltaire le philosophe, le 11 juillet 1791 ? ; le conventionnel Peletier de Saint-Fargeau, martyr de la Liberté, poignardé ? ; ou bien encore Bara, l’enfant soldat originaire de la ville de Palaiseau, tombé en Vendée et consacré, à son tour, le 28 juillet 1794 ? Sans parler de Marat…Le panthéon n’est pas un endroit comme les autres. Lieu laïque et mémoriel, il est aussi contesté par d’autres fractions politiques révélant ainsi les enjeux de la fabrique des héros et des grands hommes.
La Révolution française est au cœur de la construction et de la déconstruction de figures héroïques, constitutives de ses combats et de sa légitimation : héros et héroïnes de la Première République ; soldats-citoyens ; martyrs de la liberté ; gloires locales et régionales. Qu’elle est l’essence même du héros révolutionnaire et du contre-révolutionnaire dans le temps long des célébrations de la nation ? Peux-ton opposer le héros à l’antihéros, le héros civil au militaire, le laïc au clérical, le local au national ? C’est toute cette problématique qu’aborde cet ouvrage, dans le cadre du 134ème colloque du Comité des travaux historiques et scientifiques portant sur Célèbres ou obscurs, hommes et femmes dans leurs territoires. Sous la houlette de Serge BIANCHI, professeur émérite à l’université de Rennes II, spécialiste de l’histoire de la Révolution française (et dont l’auteur de ces quelques lignes fut également l’un de ses nombreux étudiants), ont par ailleurs contribué à cet ouvrage d’éminents spécialistes dont Pierre SERNA, professeur d’histoire moderne à l’université de Paris I Panthéon -Sorbonne et directeur de l’Institut d’histoire de la Révolution française. L’ouvrage a été parrainé, entre autres, par la Société des études robespierristes et l’Institut d’histoire de la Révolution française.
LA RECONSTRUCTION DU HÉROS, ENTRE MYTHE ET HISTOIRE
Le « héros », est, étymologiquement, l’auteur de hauts faits. Ce premier chapitre tente d’appréhender la façon dont évolue l’image du héros selon les régimes et les époques historiques. La « génération 1789 » se reconnaissait ou reconnaissait par exemple, comme précurseurs des temps nouveaux, des législateurs antiques, initiateurs de l’esprit républicain. Qu’il s’agisse du législateur grec Solon au philosophe suisse Rousseau, en passant par Guillaume Tell ou bien encore Benjamin Franklin. Dans le premier chapitre de ce livre, trois personnalités ont été retenues afin de comprendre la construction mentale du héros historique, par parmi bien d’autres dignes d’intérêt, pour bien saisir la comment s’effectuait la construction mentale, dans les esprits, du héros historique. Tout d’abord, la figure d’Olivier Cormwell, le « Protecteur », dont les références à la révolution anglaise du XVIIIème siècle le relie à la décennie 1789 – 1799 ; ensuite, Gracchus Babeuf incarnant le « héros gracchien » jusqu’aux relations complexes qu’il entretînt avec les Robespierristes ; enfin, les décalages entre l’image idéalisée des Girondins qu’ils se donnèrent lors de leur chute puis les jugements sans complaisance de plusieurs générations d’historiens à leur égard.
HEROS ET HEROINES DE LA REPUBLIQUE
Le second chapitre se distingue par sa nature en ce sens qu’il concerne l’étude d’un nouvel objet historique, celui de la création intellectuelle du mythe du héros…et de l’héroïne. Les études menées dans cette partie de l’ouvrage nous démontrent qu’un héros peut très bien se passer de panthéonisation. C’est même l’exclusion quasi systématique qui semble prévaloir. La figure du héros populaire émerge alors lentement, fruit d’une culture révolutionnaire efficace, rendue possible par l’action d’une presse nouvellement débridée. L’opinion publique se repaît des images, gravures et autres récits alors véhiculés jusqu’au plus profond des campagnes. On assiste donc à la naissance d’une culture républicaine qui puise également dans ses ancrages locaux et anciennes solidarités de villages. On peut donc parfaitement, même en tant qu’obscur inconnu, rencontrer la gloire et le martyre (les deux situations sont souvent réciproques) et devenir l’objet d’un culte républicain. Exemple type de Charlotte Corday, illustre inconnue mais dont l’acte meurtrier va la propulser, pour un temps, sur le devant médiatique de la scène. Elle cristallise l’image de l’héroïne révolutionnaire type, efficace et courageuse. Le trépas et le martyr deviennent par conséquent incontournables. Certes, tous les héros locaux n’ont pas connu cette même fin, tel le petit tambour du pont d’Arcole, Jean Estienne, natif du Lubéron.
LES SOLDATS CITOYENS, DES HÉROS EN ARMES ?
Les historiens du colloque abordent ici les actions et sacrifices consentis par les militaires de la Nation, notamment lors des période de grande tension, l’an II et l’an VI (1793 – 1794 et 1797 – 1798). La question est donc posée de savoir si, peu à peu, un glissement s’est opéré en direction d’un élitisme directorial au dépit d’une conception démocratique du service. Le Directoire n’a pas en effet lésiné sur les moyens afin de commémorer en grande pompe les généraux tombés au combat. Les cérémonies funéraires pour les « défenseurs de la patrie », morts au champ d’honneur, se complexifient, se densifient. Désormais, sous le Directoire, il ne suffit plus d’avoir accompli un quelconque exploit militaire, même pour un inconnu qui, au demeurant, reste célèbre pour un cercle étroit d’initié. Pour atteindre les honneurs et la culte du martyre, il faut dépasser le simple courage au combat, essence même de la classe nobiliaire. A ce titre, les morts prématurées de Hoche, puis Marceau, les propulsèrent vers la postérité. Le sacrifice ultime deviendrait-il, finalement, la seule voie par excellence du passage vers la célébration héroïque ?
LES ANTI-HÉROS, D’AUTRES HÉROS ?
On touche ici à l’antithèse de la Révolution française, avec ses anti-héros aux particularités géographiques, spatiales, politiques et sociales. Ces figures reflètent une sorte de miroir inversé du portrait idéal du héros. L’anti-héros naît aussi de la réputation que ses adversaires lui forgent, ne voyant alors que cabales et intrigues à son égard. La figure de Robespierre semble épouser les contours de cette double filiation, si j’ose dire, du héros puis de l’anti-héros, des bancs de la Constituante, futur marche-pied vers la dictature. Ailleurs, dans les régions où la guerre civile fit rage comme en Vendée, les historiens peuvent nuancer les contours des anti-héros, qui exécutent froidement des héros locaux. Et a contrario, édifier un mythe pour le tirer vers la légende, doré ou pas du héros. Mais la réputation du héros dépend aussi étroitement des caprices et/ou des variations de la mémoire. Des figures locales tombent peu à peu dans l’oubli. Il faut dire que les vicissitudes de l’histoire, combinées aux mutations contemporaines d’une part, de la hiérarchie de l’église catholique d’autre part et de l’esprit républicain y sont pour beaucoup. Ainsi en est-il de Fabre d’Eglantine, acteur essentiel, en ce sens qu’il a marqué depuis la prise de la Bastille jusqu’à son empreinte sur le calendrier républicain. Tour à tour diabolisé, victimisé puis réhabilité, il bascule dans une héroïsation paradoxale le disputant entre amnésie nationale et postérité locale. Alors que, par contraste, il ne semble pas en être de même en pays chouans où les « tombes de mémoire » restent vivaces.
CONSTRUCTION DE LA MÉMOIRE LOCALE ET RÉGIONALE
Les figures du héros ou du anti-héros peuvent varier à l’infini. Ainsi en est-il de la commémoration de l’enfant-héros originaire de la ville de Palaiseau, en 2008 et qui a donné lieu à une polémique haute en couleur avec le département de Vendée. La focale départementale reste très suggestive. Le département de l’Eure a célébré ses « grands révolutionnaires », tels Lindet, Buzot et Turreau, preuve en est de la trace restée dans l’onomastique ou bien encore les monuments. Se dégage ainsi progressivement les caractères constitutifs de l’héroïsation et de la pérennisation des mémoires. Tel pour le rebelle mûlatre Louis Delgrès, déchiré entre son dévouement loyal à la République et le rétablissement de l’esclavage en Guadeloupe en 1802 ; ou encore Toussaint Louverture, par son sacrifice qui lui confèra la stature d’un homme ayant lutté contre la « l’oppression ».
HISTORIOGRAPHIE ET MÉMOIRE LONGUE
Le colloque s’achève sur les pièges de l’historiographie et les crédits de l’histoire longue. Reste la confrontation de deux modèles d’héroïsation. Les héros vendéens et chouans, unis par la foi et la fidélité, sont-ils régionalement célébrés comme des chefs de guerre victorieux ou bien comme martyres ? Bien entendu, à l’opposé, on trouve le regard porté sur la Révolution française par la mémoire et la culture d’obédience communistes, déclinant ses héros et anti-héros selon les poids des héritages et ce, portant une influence décisive des années 1920 à nos jours.
Un ouvrage très dense et de très haute tenue. A mettre entre toutes les mains !