Les croisades font l’actualité de l’édition en ce début d’année 2010, puisque deux éditeurs publient des ouvrages aux finalités et au format semblables : une centaine de pages et donc juste une première approche du sujet. Alors que les éditions du cavalier bleu y consacrent un volume de leur collection idées reçues, les éditions Flammarion nous livrent ici une traduction de l’ouvrage de l’historien et romancier italien Alessandro Barbero.
L’ouvrage est moins dense que ses ouvrages sur Waterloo ou Andrinople par exemple, mais on retrouve le même style agréable à lire et le souci de clarté. L’auteur est manifestement guidé par le désir de replacer les croisades dans leur contexte économique, politique, mais aussi spirituel.
Une volonté d’expliquer les croisades
Barbero aborde d’emblée la question du lien que les chrétiens médiévaux avaient avec la religion en rappelant que les croisades sont avant tout une forme de pèlerinage en armes. Et que pour les chrétiens, la dimension religieuse de la croisade est plus importante que son aspect militaire. Un choix osé compte tenu de la connaissance du monde de l’époque et qui peut surprendre au vu de la place de la religion dans nos sociétés contemporaines. Mais qui explique l’ampleur du phénomène des croisades et sa permanence durant près de deux siècles.
Un choix qui est replacé dans le contexte de l’essor de l’occident médiéval dans son ensemble. La lutte contre le monde musulman s’inscrit aussi dans une volonté de conquête territoriale : constitution des états latins d’orient, reconquista espagnole.
La volonté de la papauté de se placer à la tête de l’Occident médiéval n’est pas à négliger. Elle contribue à institutionnaliser la croisade pour mieux la maîtriser et l’orienter (contre les cathares…). Mais se faisant, elle perd en spontanéité et en ferveur religieuse et finit par éteindre toute vocation.
La croisade fabrique de héros ?
A partir de l’étude de quelques cas, Barbero montre comment la croisade a contribué de manière essentielle à façonner des personnages quasi- légendaires car ils sont représentatifs des différents croisés.
Le cas extrême étant celui de Godefroi de Bouillon qui n’existe qu’à travers la croisade. L’étude de Louis IX est intéressante, car faîte par un italien et pour des italiens qui connaisse peu ce roi de France. L’auteur insiste donc sur la profonde piété du roi, mettant en évidence le décalage existant entre la manière profonde dont celui-ci ressent la croisade et la société dans laquelle il vît où l’idée de croisade a quasiment disparu. Une approche radicalement différente de celle de Richard Cœur de Lion, ce roi guerrier, immortalisé et idéalisé par Walter Scott. Non que sa vaillance ou ses capacités militaires soient mises en doute, mais plutôt parce que ce roi est avant tout un guerrier et un seigneur craint plutôt qu’aimé par ses sujets. Mais le fait qu’il se croise change l’opinion porté sur lui. Il est en cela bien représentatif de ces turbulents chevaliers envoyés combattre outremer avec la bénédiction de l’Eglise alors que pour les mêmes actes ils seraient condamnés en Occident.
Les Montferrat sont l’exemple de ces chevaliers attirés en Orient par l’appât du gain et la quête du pouvoir. Ils se trouvent mêlés aux luttes d’influence entre des seigneurs francs plus soucieux de défendre leurs biens que le tombeau du christ.
Guerre sainte et Djihad
Une comparaison qui est désormais classique dans les ouvrages de vulgarisation sur les croisades. Un retour sur les origines du christianisme pour mettre en évidence le refus de la violence chez les premiers chrétiens. Leur position sur le service militaire change avec la christianisation de l’empire romain mais ils restent hostiles à la violence. Une question que saint Augustin finit par trancher en distinguant des cas où l’usage de la violence est légitime tout en refusant d’excuser le meurtre. Les combattants doivent donc faire pénitence. En sanctifiant la guerre, la première croisade change le regard de l’Eglise sur la guerre. C’est une véritable révolution qui se retrouve alors dans els œuvres littéraires comme la chanson de Roland. Cela débouche sur la création des ordres militaires religieux.
La Djihad musulmane est également étudié. Barbero revient sur les différences d’interprétation du terme selon les époques. Il montre que cette forme de guerre sainte n’a pas empêché la persistance de communautés chrétiennes ou juives dans le monde musulman. Et que c’est l’arrivée des croisés qui provoque un retour du terme.
Le regard des autres
La dernière partie de l’ouvrage porte sur la vision qu’avaient Byzantins et Musulmans des croisés. L’occasion pour l’auteur de présenter ces civilisations avec lesquelles les croisés entrent en contact.
L’héritage romain des byzantins est mis en évidence avant que Barbero ne nous livre la vision des croisés par Anne Comnène. Les Byzantins pensent tirer parti de ces « Celtes » barbares auxquels ils reconnaissent seulement des qualités guerrières semblables aux héros de l’antiquité.
Dans le monde musulman, désormais dominés par les Turcs, les qualités militaires des croisés sont appréciées à leur juste valeur. Mais un émir syrien comme Ousâma Ibn Mounqidh insiste sur les déficiences de la médecine des croisés. Une médecine qui diffère surtout par son côté pratique et chirurgical selon Barbero. La place des femmes dans la vie publique ou les représentations de Jésus enfant sont d autres sujets d’étonnement pour l’émir syrien.
Au final, ceux qui cherchent un ouvrage très synthétique sur les croisades et couvrant un grand nombre de points se tourneront vers l’ouvrage de Jean Flori paru dans la collection idées reçues des éditions du cavalier bleu. L’ouvrage d’Alessandro Barbero se révèle cependant plus agréable à lire, développant davantage les aspects qu’il aborde, et surtout, présentant le regard des « autres » sur les croisades.
François Trébosc ©