Le rôle central de la nourriture dans l’identité française est plus que manifeste. C’est ce que montre ce livre écrit par Stéphane Hénaut et Jeni Mitchell. Stéphane Hénaut est français et grand amateur de fromages tandis que Jeni Mitchell est américaine et diplômée d’histoire. Comme ils le disent dans l’introduction, une histoire d’amour les relie avec, entre autres, comme conséquence cet ouvrage.
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Les chapitres sont courts, comme autant « d’historiettes à croquer ». Chacun propose de replacer l’aliment dans son contexte historique et social. Mine de rien, cela permet en même temps de réviser des pans entiers de l’histoire de France. Les 51 entrées sont chronologiques et font voyager le lecteur de l’Antiquité à aujourd’hui. Une des leçons les plus évidentes est que la gastronomie du pays résulte d’un mélange de goût et de coutumes provenant du monde entier.
Des Gaulois au Moyen Age
Cette période est illustrée par une vingtaine d’entrées. Au fur et à mesure de leur romanisation, les Gaulois ont adopté les coutumes romaines en matière de consommation de vin. Cette boisson était très différente à l’époque et il faut bien mesurer que les notions de millésime et de terroir n’existaient pas encore. Une autre entrée porte sur la chabichou. Son nom viendrait du mot arabe « chebli », la chèvre, preuve que cette spécialité est le fruit de la rencontre entre différentes civilisations. Charlemagne a participé au progrès de l’agriculture et notamment au développement du miel. Le livre évoque également les vins de Bordeaux, mais aussi ceux de la vallée du Rhône avec le Châteauneuf-du-Pape. Si l’on quitte le domaine des boissons, les auteurs parlent du cassoulet, du roquefort ou du rôle essentiel du sel. A chaque fois, le produit est replacé effectivement dans son contexte ce qui permet d’élargir agréablement le propos.
De la Renaissance à la Révolution française
Le tour de table se poursuit avec les fruits ou encore les sauces. Bien des sauces françaises tirent leur origine d’évènements historiques et datent de la fin du XVI ème siècle. En comparaison, les sauces médiévales étaient souvent pauvres en graisse. Le lecteur apprendra peut-être l’amour de Catherine de Médicis pour l’artichaut, au point de risquer d’en mourir d’une indigestion. Les auteurs parlent ensuite de l’importance du sucre et des fortunes accumulées autour de ce produit. Nantes importait ainsi au XVIIIe siècle entre 20 et 30 000 tonnes de sucre par an. Un autre article évoque l’amour de Louis XIV pour les primeurs avec notamment le rôle de La Quintinie. Plusieurs entrées sont ensuite consacrées à la Révolution à travers l’importance des cafés, du pain ou de la pomme de terre.
L’évolution des techniques
Un article s’intéresse aux huîtres. Jusqu’au XVII ème siècle, elles étaient principalement mangées cuites. L’émergence du chasse-marée changea la donne. Il s’agissait d’une charrette légère qui transportait huîtres et poissons frais dans la glace entre la Manche et Paris. Les convois s’arrêtaient tous les trente kilomètres pour permettre de changer d’attelage et d’utiliser des glacières fixes stratégiquement disposées le long du trajet. Il était possible ainsi de rallier Paris en six à neuf heures. La Révolution industrielle rendit un tel équipement obsolète. On lira aussi avec intérêt la contribution de Pasteur à la vinification.
Le XXe siècle
D’autres boissons comme la fée verte ont connu une longue période d’interdiction avant d’être à nouveau autorisée en 2010. Les auteurs racontent également la genèse du guide Michelin, initialement prévu pour aider les conducteurs automobiles. Ce n’est qu’à partir de 1926 que le guide commença à décerner des étoiles aux meilleurs restaurants. C’est après la Première Guerre mondiale que le camembert devint une référence nationale. Inclus dans les rations, il représentait pour les soldats ce morceau de France rurale dont ils étaient issus. Juste après le conflit, Léon Bel connut un succès retentissant avec « La vache qui rit ». Aujourd’hui, elle est vendue dans 136 pays et 10 millions de portions sont consommées chaque jour. Pour finir ce tour d’horizon, on peut signaler également des entrées, si je puis dire, sur le couscous, les légumes oubliés ou le kir.
En conclusion, Stéphane Hénaut et Jeni Mitchell pointent le fossé qui existe entre les différentes classes sociales sur le plan de l’alimentation. Ils insistent également sur le rapport entre Paris et la province et la notion toujours forte d’appartenance régionale. On soulignera la conclusion humaniste des auteurs : « Il n’existe pas de gastronomie française « pure » : elle a toujours composé avec des ingrédients et des idées venues de la planète entière. Le lecteur peut donc plonger avec gourmandise dans cet ouvrage informé et au ton plaisant.