Cet ouvrage, paru en 1959 en anglais, décrit à la fois l’histoire des Iroquois et leur situation dans les années 1950 mais cela a-t-il vraiment changé ?

Ce recueil d’articles est parus initialement dans le New Yorker sous la plume d’Edmund Wilson est un témoignage ethnographique. Il est introduit par un article de Joseph Mitchell sur une spécialité professionnelle des Mohawks.

Les Mohawks, charpentiers de l’acier

Joseph Mitchell, journaliste au New Yorker1, décrit la réserve Caughnawaga, connue aujourd’hui sous le nom de Kahnawà:ke, située en amont de Montréal : ses paysages, ses habitants et le refus, exprimé par les jeunes, des images folkloriques fausses. Ce premier témoignage montre un retour à des croyances non-chrétiennes, exprimées au début du XIXe siècle par Handsome Lake, un Sénéca qui propose un corpus de préceptes. Ses idées gagnèrent peu à peu toutes les réserves iroquoises tant aux États-Unis qu’au Canada.

Joseph Mitchell rappelle l’histoire de cette réserve qui regroupe depuis la seconde moitié du XVIIe siècle un groupe d’hommes et de femmes, convertis au catholicisme par les Jésuites, issus de toutes les ethnies de la fédération iroquoise. Ils furent dépossédés d’une grande partie de leurs terres dès 1830. Peu intéressés par l’agriculture les Kanawake participèrent à la traite des fourrures puis au flottage du bois. En 1866 ils trouvèrent un nouveau débouché professionnel avec la construction du pont métallique du chemin de fer. Nombreux parmi ces Amérindiens devinrent des charpentiers du fer, des riveteurs dans des équipes bien rodées, indispensables à toute construction métallique en Amérique du Nord, des ponts sur le saint-Laurent au Rockefeller center. Un quartier caughnawaga existe à Brooklyn. L’interview de l’un d’eux : Orwis Diabo, dit cette vie de chantiers et de déplacements et le lien avec la réserve au Canada.

Standing Arrow

Edmund Wilson découvre que le sol de sa maison de vacances est revendiqué par une bande d’Amérindiens sous l’autorité du chef Standing Arrow au nom du traité de Fort Stanwix de 1764.

Ce premier chapitre est celui de la rencontre avec ces Iroquois dont il ne sait rien2. Il rappelle à grands traits l’histoire de la Confédération iroquoise à l’arrivée des Européens dans cet espace qui est devenu l’État de New York, entre lac Érié et Hudson, leur expansion aux XVIIe et XVIIIe. Siècles, leurs contacts avec les Hollandais et les Anglais et leur opposition aux Français et leurs alliés algonquins.

Malgré le traité de 1764 qui rendait le sol inaliénable sans l’accord de la Ligue iroquoise, des 9 millions d’hectares de leur territoire il ne reste en 1958 que 39 000 hectares.

Le chef Standing Arrow expose aussi le système de clan et l’organisation de cette société matrilinéaire.

Onondaga

L’auteur est invité à un grand conseil dans leur village en banlieue de Syracuse, une réserve de 3 000 ha où vivent environ 900 Onondagas, un autre groupe iroquois. Les Onondagas siègent au grand conseil de la Confédération depuis le XVIIe siècle comme gardien du feu et du wampun. Ce collier symbolise les lois et traités. L’auteur rapporte ici les mythes fondateurs du groupe.

C’est l’occasion d’une rencontre avec Louis Papineau, un mohawk dont les ancêtres s’étaient réfugiés au Québec au moment de l’indépendance américaine. Malgré le bon accueil de ce jeune amérindien qui souhaite médiatiser leur combat, les vieux restent inflexibles : pas de blanc au conseil alors même que du sang blanc coule dans les veines de la plupart d’entre eux.

Saint-Régis

Nouvelle réserve, nouvelle rencontre et pour l’auteur le moyen de s’informer sur le mouvement nationaliste iroquois. Il s’intéresse aux traditions religieuses et ethniques de la maison longue s à l’honneur par Handsome Lake. Il insiste sur l’influence des Quakers dans le renouveau de religiosité qui a contribué à maintenir une forme de cohésion parmi les Iroquois. Les éléments présentés du « code » d’Handsome Lake permettent de mieux comprendre l’indépendance morale des Iroquois. C’est un code de bonne conduite au sein de la famille, bannissant l’alcool et prônant la solidarité et le respect mutuel, une forme de syncrétisme autour du paradis céleste et de l’enfer.

Edmund Wilson constate que les empiétements sur les terres indiennes lors des travaux d’aménagement concourent au renouveau du code d’Handsome Lake, notamment les litiges frontaliers de la réserve de Saint-Régis ainsi que les lois qui transfert de l’État fédéral aux divers États la juridiction sur les réserves.

Les questions du droit, de respect des traités sont d’autant plus complexes que les organisations étatiques ont changé depuis l’époque coloniale, État de New York, État fédéral, Canada. Cette complexité est bien mise en évidence à partir de quelques exemples comme l’affaire de l’île Barnhart pour l’aménagement du Saint-Laurent.

Les visites à Saint-Régis donnèrent à l’auteur l’occasion de faire le portrait de Philip Cook, charpentier en fer.

Les Tuscaroras

Dans sa recherche d’une meilleure connaissance des Iroquois, Edmund Wilson rencontra un nouveau groupe , les Tuscaroras, les derniers à avoir rejoint la Confédération iroquoise au début du XVIIIe siècle au moment où, menacés de mise en esclavage en Caroline, ils fuient vers le Nord. Après l’indépendance américaine, certains s’installèrent auprès des Anglais, au Canada, d’autres ayant combattu pour les Américains demeurèrent dans la région des chutes du Niagara. Ils sont aujourd’hui présents dans une réserve proche des chutes et en 1958. Ils se battent contre un projet de complexe hydroélectrique. L’auteur relate ce long combat à rapprocher ceux beaucoup plus récents des Cris et des Dénés de Fort Chipewyan en Alberta contre l’exploitation des schistes bitumineux3 ou des Sioux contre l’oléoduc de Standing Rock4.

La république des Sénécas

Installés dans la partie occidentale de l’État de New York au milieu du XVIIe siècle, les Sénécas représentaient la principale composante, environ la moitié des Iroquois. Certains d’entre eux ont eu, au XIXe siècle, des posters à responsabilités dans l’administration des Affaires indiennes. Cette longue tradition de négociation avec les Blancs n’a pas été sans drames comme la destruction de leurs villages sur ordre de Georges Washington qui leur reprochait d’être dans le camp anglais.

Plus sournoisement ils ont été victimes de la spéculation foncière dans les années 1830-1840 qui les priva de leurs terres. Leur histoire est connue grâce aux mémoires du révérend Asher Wright. En 1848, en écho aux révolutions européennes, un groupe de jeunes instruits proclamèrent une république sénéca. Ils rédigèrent une constitution, encore en vigueur dans les années 1950, pour la gestion de deux réserves sénécas. La mobilisation contre les projets d’aménagement hydroélectrique a redonné vigueur à cette république.

Les cérémonies du Nouvel An chez les Sénécas

Dans son souci de mieux comprendre la culture l’auteur participa en compagnie de l’ethnologie William N. Fenton aux cérémonies du Nouvel An chez les Sénécas. Il relate cette expérience particulière, une immersion dans un monde inconnu fait de récits mythiques, de jeux et de danses rituelles. C’est un univers où les Amérindiens vivent leur proximité avec le monde animal. Chaque clan est définit par rapport à un animal totem.

Ce récit détaillé constitue un témoignage anthropologique.

La réserve des Six Nations

Dans ce chapitre on aborde les tentatives de reconstitution de la Confédération iroquoise en 1958 pour lutter plus efficacement contre les projets qui menacent les réserves. L’auteur montre, à la fois, les divergences entre les traditionalistes et les Amérindiens instruits et la coopération entre les Iroquois américains et canadiens. Il présente la réserve de Brantford en Ontario où vivent des Iroquois des six Nations, descendants de ceux qui étaient restés fidèles à la couronne britannique au moment de la guerre d’indépendance américaine. Depuis 1924 un festival y commémore l’histoire iroquoise et cherche à montrer au public leur situation plutôt difficile.

En mars 1959, une tentative nationaliste a cherché à imposer un gouvernement autonome de la réserve sous l’autorité de Mad Bear. L’auteur montre les contradictions des revendications : autonomie mais avec les pensions gouvernementales.

Cause et croissance de la renaissance iroquoise

Ce chapitre est comme une synthèse des différents mouvements de l’éveil du monde Amérindien au-delà des seuls Iroquois. Ces revendications sont replacées dans le contexte général de la décolonisation. L’auteur explique combien profond est le fossé entre l’idéal américain de propriété privée, de réussite sociale et le monde spirituel, l’organisation sociale des peuples amérindiens dont l’idéal de vie st si loin de la modernité des grands travaux quand bien même les charpentiers de fer iroquois en sont les premiers artisans.

La cérémonie de la Petite Eau

Ce dernier texte raconte le rôle fondamental et médical de la cérémonie de la Petite Eau qui rappelle le mythe de la mort et de la résurrection et à la quelle assiste Edmund Wilson le 6 juin 1959. Comme pour le Nouvel An il en fait une description minutieuse qui clôt son hommage aux Iroquois.

Les événements de 1972 que Vine Deloria évoque dans la post-face montrent que la situation des Amérindiens n’a guère évolué.

« Dans les cimetières des esprits indiens, les lumières brillent aujourd’hui haut et clair, mais la bataille est loin d’être gagnée. A bien des égards, le monde de l’homme occidental a encore à demander « pardon aux Iroquois ». »5.

Cet ouvrage informe à la fois sur la culture et l’histoire des Iroquois et sur l’histoire et la société américaine des années 1950.

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1  L’article initial est disponible sur le site Diaphanes

2  La démarche est assez semblable à celle que rapporte Emanuelle Dufour dans « C’est le Québec qui est né dans mon pays ! », Québec, Ecosociété éditions, collection Ricochets, 2021

5  Citation p. 292