Bien que nous n’ayons pu obtenir de cette maison d’édition le dernier ouvrage sur Jean Moulin, en service de presse, malgré notre détermination à traiter avec le soin qu’il convenait, un événement éditorial sans doute important, la Cliothèque a reçu toute une série d’ouvrages dans la collection texto, la collection de poches des éditions Tallandier. Ces ouvrages seront bien entendu traités avec le soin et l’exigence qui nous caractérise.

Cet ouvrage sur l’histoire de la Chine des origines à nos jours et une réédition traduite de l’anglais, l’édition originale ayant été publiée en 1992. La traduction et l’édition en langue française a été proposée pour la première fois en 2010. Cette réédition au format de poche la rendra sans doute plus accessible à des petits budgets.
Cela a déjà été évoqué pour les éditions Tallandier, mais leurs rééditions format de poche sont, il faut le souligner, de très bonne qualité en matière de réalisation graphique. Cet ouvrage ne fait pas exception.

La présentation de 4000 ans d’histoire chinoise est envisagée de façon chronologique, et dans la première partie, les auteurs proposent une présentation de la Chine au paléolithique et au néolithique.
Mais ce qui est important, et qui rappelle sans aucun doute l’influence braudélienne, est cette introduction, « pour mieux comprendre l’histoire de la Chine », et notamment la présentation géographique avec le contraste entre le Nord et le Sud. On retrouve d’ailleurs cette opposition entre le Nord et le Sud à plusieurs reprises, dans la continuité historique de l’histoire de la Chine, et notamment lorsque cet immense territoire était touché par des mouvements centripètes. C’est évidemment un solide pavé de près de 700 pages mais dont le petit format permet de l’avoir avec soi, et de découvrir au fil des chapitres, des épisodes passionnants de l’histoire de la Chine, notamment sur la première période d’unification, marqué par le confucianisme impérial.
C’est sous cette période que la dynastie des Qin a réalisé l’unification, et mis en place aussi les grandes bases de la structure politique et administrative du territoire.
Cet ouvrage permet de comprendre l’importance pour les Chinois eux-mêmes de leur propre histoire, et notamment lorsque au début du Xe siècle de notre ère, la dynastie des Song faisait de l’empire du milieu la première puissance mondiale durant les trois siècles que leur règne a duré.

Des constantes dans la longue durée

Encore une fois, on retrouve les grandes tendances en matière d’organisation politique, et déjà la méfiance du pouvoir impérial à l’égard de ses généraux, qu’il faut périodiquement remplacer par des lettrés, qui apportent au pouvoir impérial des éléments de contrôle du territoire. C’est également pendant cette période que la Chine s’ouvre au monde, qu’elle diffuse le livre imprimé qui constitue la clé technologique du développement, et qui permet d’ailleurs de mettre en place un système d’État basé sur une sorte de méritocratie que l’on a pu retrouver à d’autres époques, bien plus récentes. C’est pourtant pendant cette période que la Chine s’est également divisée avec les empires Song du Nord et du Sud, comme le montre une carte présentant la situation de division du territoire en 1142. Les auteurs rappellent à juste raison que la Chine, ce n’est pas simplement les territoires contrôlés directement par l’empire, mais également ses zones de l’extrême ouest dans lesquelles réside une forme de pouvoir sur lequel l’empire exerce une autorité lointaine, à savoir les tribus guerrières d’Asie centrale qui contribué en tant que modèle du nomadisme pastoral et militaire à la constitution du pouvoir impérial. C’est également pendant cette période de la Chine des Song que de grands travaux ont été réalisés, et notamment la construction du Grand Canal qui assurait une continuité en matière de navigation de Pékin jusqu’à Hangzhou. On comprend bien l’importance d’une réalisation de ce type, en matière d’unité territoriale.
Cette lecture de la période médiévale, si l’on se base sur la chronologie européenne de l’histoire de la Chine montre à quel point la réflexion sur l’histoire de ce pays est au cœur des perspectives de développement de cette ancienne/nouvelle puissance mondiale. La gestion d’un immense territoire, et d’une population qu’il est tout autant, même si durant les 276 années que dura la dynastie des Ming, bien connue des amateurs de porcelaines anciennes, la population de la Chine double, de 80 à 160 millions d’habitants, entre 1368 et 1644.
Cette période a souvent été présentée comme l’âge d’or de l’histoire de la Chine, en raison du faible nombre de troubles qui ont été connus pendant cette période. Le fondateur de cette dynastie, Zhu Yuanzhang, et un ancien paysan, instruits par des prêtres bouddhistes, et membre d’une secte religieuse hostile aux Mongols. Seigneur de la guerre pendant un temps, il parvient à expulser les princes mongols qui contrôlaient le pays, et fait construire sa capitale à Nanjing.

Les paradoxes des Ming

La période Ming est caractérisée par les auteurs de paradoxale, en raison de sa croissance globale en termes de quantité, mais sans véritable développement. C’est sans doute pendant cette période, que la Chine rate peut-être les grandes mutations technologiques qui commencent en Europe.
À la fin du XVIIIe siècle, la pression démographique rend la population plus vulnérable aux sécheresses, aux inondations, aux famines et aux maladies. La machine gouvernementale commence à se gripper, et les rébellions intérieures, alternent avec les tensions aux frontières, et notamment l’irruption des britanniques, lors de la première guerre de l’opium. C’est également au tout début du XIXe siècle qu’une révolte communautaire, la révolte du Lotus blanc, à partir d’une secte issue de la lutte contre les Mongols s’étend. C’est également pendant cette période que la pression démographique favorise les migrations vers l’outre-mer, et par voie de conséquence la constitution de la diaspora chinoise en Asie du Sud-Est. Enfin, au tournant du XVIIe et du XVIIIe siècle les compagnies de commerce hollandaises et britanniques commencent à établir des bases commerciales sur le territoire chinois, essentiellement dans les villes côtières. Enfin, entre 1826 et 1835, à partir de la frontière du Turkestan, une véritable guerre se déclenche qui révèle la fragilité de l’empire.
La dynastie mandchoue des Qing, cherche à réagir en s’engageant dans un début de modernisation, sans doute prometteur, mais qui ne parvient pas à mobiliser suffisamment la population, pour qu’elle puisse produire des effets analogues à ceux que l’empereur Meiji, avait pu accomplir au Japon. La révolte des boxers en 1900 constitue sans doute un tournant, puisque celle-ci, basée sur des principes traditionnels, montre ses limites face à la puissance européenne.
Pourtant, entre 1901 et 1916, la révolution républicaine marque la renaissance d’un esprit modernisateur, remettant en cause le conformisme et l’immobilisme d’une partie des élites. Pourtant, la réforme de la fin de la dynastie Qing, postérieure à 1901, est largement inspiré du Japon, avec une action importante de l’État, même si ce dernier ne dispose plus de moyens suffisants de rendre les changements perceptibles dans la grande masse de la population. Il n’empêche que cette période réformatrice jette les bases d’une volonté de reconnaissance, intégrant dans le domaine politique la remise en cause de l’autocratie impériale. La révolution de 1911, la dictature de Yuan Shikaï, constituent toutefois un tournant important, mais qui rappelle toutefois cette confrontation entre le pouvoir politique et l’armée qui est également un des fils conducteurs de l’histoire chinoise. Lorsque bien plus tard, Mao Zedong rappelle que : « le parti commande au fusils », c’est sans doute parce qu’il mesure la place que des généraux disposant de troupes extrêmement nombreuses peuvent vouloir occuper. Et puis, l’histoire de la Chine le montre, un Seigneur de la guerre peut-être tenté par le poste impérial.

De la République Nationaliste aux Communistes

La république chinoise, de 1912 à 1949 est une période marquée par des guerres intérieures, une occupation étrangère, à partir de 1931, avec l’occupation de la Mandchourie par le Japon, et à partir de juillet 1937, avec ce que l’on peut appeler, le début de la guerre en Asie.
Cette période de l’histoire chinoise est également marquée par l’irruption de la modernité, introduite par l’étranger, une modernité qui suscite une réaction nationaliste qui sera le terreau aussi bien du communisme chinois que du nationalisme républicain incarné par le docteur Sun Yat Sen et son gendre Jiang Jiesi. L’histoire de la Chine républicaine ne se limite pas à l’affrontement entre ces deux formes du nationalisme chinois, une forme de réformisme chrétien d’inspiration anglo-saxonne se diffuse également dans le pays. La diffusion d’une nouvelle presse, l’aspiration des étudiants dans les universités à remettre en cause le carcan mandarinal, le mouvement pour la nouvelle culture, débouche sur cet épisode majeur qu’est le mouvement du 4 mai 1919. Ce mouvement est dirigé par des intellectuels qui mettent au service de la lutte contre l’impérialisme occidental, qui refuse de rétrocéder à la Chine les concessions allemandes de la province chinoise du Shandong, les nouvelles idées sur la science la démocratie, sur fond de patriotisme.
Les auteurs évoquent également la montée de la bourgeoisie chinoise, une bourgeoisie commerçante qui a fait son apparition lorsque la Chine a été contrainte de s’ouvrir au monde, par le commerce avec l’étranger. Cette bourgeoisie chinoise active et entreprenante maintien des liens très forts avec les fonctionnaires de l’État chargé de leur contrôle. On peut retrouver ici une situation que l’on observe dans la situation actuelle de la Chine, avec des liens extrêmement forts, familiaux pourrait-on dire, entre les élites dirigeantes du parti communiste et les milieux d’affaires.
Le développement économique réel de la Chine, y compris manufacturier, se déroule sur fond de révolution nationaliste, avec le Guomindang mais aussi avec la naissance du parti communiste chinois. Les relations entre nationalistes et soviétiques sont d’ailleurs assez ambigües, du moins jusqu’en 1922. Son gendre, Jiang Jiesi est très clairement anticommuniste, mais utilise la capacité de mobilisation du parti communiste dans sa lutte contre les seigneurs de la guerre. À la mort du Docteur Sun en 1925, son gendre Jiang Jiesi fait le choix de la confrontation avec les communistes à Shanghai, et au final décide de leur élimination. Le gouvernement nationaliste établi sa capitale à Nanjing, tandis que le parti communiste commence sa traversée du désert, ou plutôt sa longue marche vers le nord.
C’est l’agression japonaise à partir de 1931 et surtout à partir de 1937 qui renforcent le nationalisme chinois. Bien que les communistes réfugiés dans leurs bases du Yunnan cherchent simplement à se défendre, ils sont en mesure de se réorganiser sous la poigne de fer de Mao Zedong qui entame pendant cette période son ascension, par l’élimination d’un certain nombre de ses proches. Entre 1942 et 1944 il mène une campagne de « rectification » dans laquelle on voit apparaître quelques-uns des travers que l’on a pu observer lors de la « grande révolution culturelle ».

L’orient est rouge

La quatrième partie de l’ouvrage est consacrée à l’histoire de la république populaire de Chine. Les différentes phases de cette histoire, la Chine qui prend en main l’État et les campagnes, avec la création d’un nouvel État entre 1949 et 1953, le tout avec des liens étroits avec l’Union soviétique s’inscrit dans la continuité d’un effort de modernisation qui avait commencé avant-guerre. On notera page 502, la partie consacrée à la collectivisation de l’agriculture et à son fonctionnement, qui permet de comprendre comment, à partir de 1978, dans le cadre du programme des quatre modernisations, la des collectivisations des terres a pu être conduites.
Cette réorganisation de l’État est toujours conduite par le parti, et une fois lancée à la campagne des 100 fleurs, et la rectification avec la campagne anti droitiers, de 1957 et de 1958, le parti reprend en main les « intellectuels », en faisant peser sur eux le poids d’une nouvelle génération, aux origines plus « prolétariennes et paysannes », beaucoup moins critique à l’encontre d’un parti totalitaire qui s’affirme par un culte de la personnalité directement inspirée du modèle stalinien.
Le chapitre 19 est consacré à l’étude détaillée de cette période du grand bond en avant, entre 1958 et 1960 qui voient périr entre 20 et 30 millions de Chinois par la malnutrition et la famine. Sur fond de stagnation de la production agricole, alors que la population ne cesse d’augmenter, une forme d’hystérie collective engage les masses dans un effort d’industrialisation diffuse qui sacrifie encore plus la production agricole. Alors que les indicateurs économiques sont au rouge en 1959, Mao Tsé toung s’obstine à maintenir les objectifs, ce qui aggrave la situation est finalement conduit à sa marginalisation temporaire, et à une réorganisation du pays sous l’impulsion de Deng Xiaoping et de Liu Shaoqi.
La révolution culturelle, permet à Mao Zedong de reprendre la main, même si la Chine poursuit un effort de modernisation, mais qui reste strictement encadrée par le parti. Au tournant des années 70, la disparition physique du premier ministre Zhou en Laï et celle de Mao lui-même en septembre 1976, marque le début d’une guerre de succession dont Deng Xiaoping, l’inoxydable, finit par sortir vainqueur en 1978.

Le pragmatisme autoritaire

Une nouvelle ère de l’histoire de la Chine commence, marquée par le pragmatisme autoritaire, mais aussi par un retour aux fondamentaux de l’organisation de l’État chinois, avec une bureaucratie organisée par le parti communiste et ses cercles dirigeants, et une nouvelle catégorie d’entrepreneurs, fortement liée à l’état, dépendante de lui, et qui tire sa légitimité de sa capacité à permettre aux masses de voir leur niveau de vie moyen s’élever.
L’ouvrage se termine par un épilogue, la Chine au début du XXIe siècle, de Merle Goldman, qui évoque l’arrivée au pouvoir de la quatrième génération de dirigeants, « les fils de ».
Le choix de l’ouverture économique n’implique en aucune façon l’ouverture politique. Pourtant, des forces profondes sont à l’œuvre, favorisées par une circulation aisée de l’information, par le biais de l’Internet de masse. Mais dans le même temps, les dirigeants du parti communiste chinois sont capables de mobiliser la population en jouant sur la fibre nationaliste. Cela se voit à propos de la question de Taiwan, et même tout récemment, à propos du Japon et de son passé militariste, mais également à l’encontre de l’Europe, si d’aventure elle venait à pratiquer à l’encontre de la Chine une sorte de protectionnisme. La question qui est sans doute mal abordée à notre sens, est celle de la Chine des États-Unis. Les relations ont été tumultueuses, sur fond de guerre de Corée et de guerre du Vietnam, avant que la politique de Richard Nixon ne permette un rapprochement tourné contre l’Union soviétique. Mais du point de vue des dirigeants chinois, qui ont aujourd’hui bien conscience d’être la tête de la deuxième puissance économique mondiale, la question qui est posée est celle de maintenir ses liens privilégiés avec la première économie mondiale, dont la consommation permet de faire fonctionner « l’atelier du monde » que la Chine est devenue. Cet atelier du monde a également vocation à devenir un pôle d’excellence et d’innovation. Et c’est sans doute là que réside la possibilité d’une confrontation directe, que l’on pourrait qualifier de nouvelle guerre froide, entre la Chine et les États-Unis. C’est un scénario, celui de la régionalisation conflictuelle, qui verrait des ensembles économiques puissants, organisant leur sphère d’influence, les États-Unis avec l’Alena, l’union européenne, l’Asie orientale, sous la houlette chinoise, s’opposer. Il peut exister à notre scénario possible que la régionalisation conflictuelle qui serait celui de l’harmonie pacifique, sur fond de développement respectueux de l’environnement, et de coopérations transcontinentales. Les prochaines décennies verront l’un ou l’autre de ces scénarios se réaliser.

Bruno Modica