Grégory Célerse a publié en 2011 un précédent ouvrage consacré à l’occupation allemande dans le nord de la France, qui a fait l’objet d’une recension dans cette même Cliothèque, suivie de remarques qu’il m’avait fait parvenir : on s’y reportera donc.Passionné par cette période, il investit à nouveau ce thème, sous un titre qui pourra être perçu comme excessivement réducteurLa même remarque s’applique à l’ouvrage de Jacques Delarue, Histoire de la Gestapo, Fayard, 1962, mentionné par l’auteur., sachant que la Gestapo n’est que l’un des services de la Sipo-SDLa Sipo-SD est le résultat de la fusion de deux organismes : la Sicherheitspolizei — le service de police relatif à la Sûreté — et la Sicherheitsdienst — le service de la Sûreté. La Sipo-SD relève elle-même d’un ensemble plus vaste : le Reichssicherheitshauptamt (RSHA), ou bureau central de sûreté du Reich.. La répression est d’ailleurs aussi menée (sans concertation, parfois, et en concurrence, , au moins jusqu’en 1944) par l’armée, par le biais de son service de renseignements et de contre-espionnage, l’Abwehr, et plus particulièrement de la Geheime Feldpolizei (GFP), dont l’action est très précisément de lutter contre les mouvements de résistance. Mais l’opinion publique a retenu le thème générique de Gestapo, et on comprend donc aisément le choix de ce titre, d’autant que Grégory Célerse propose des éclaircissements sur ce point (p. 14 et suiv.).
Si l’auteur reprend le thème de la répression, il élargit son champ d’investigation à un espace beaucoup plus large. Comme le titre l’indique, l’étude se porte non seulement sur le Nord-Pas-de-Calais, mais elle cherche à recouvrir la Picardie, la Belgique et aussi l’Île-de-France. La raison tient à la cohérence de l’appareil répressif que l’auteur voit dans cet ensemble géographique. Le pari est risqué, d’autant que, malgré le très important travail documentaire qu’on avait déjà souligné, on retrouve les mêmes défauts que dans La Traque des résistants : qui trop embrasse mal étreint. Les causes en sont identiques, la principale tenant à un plan chronologique qui, certes, permet au lecteur béotien de suivre un récit (un échange avec l’auteur a permis de faire ressortir ce souci très louable), mais qui désorganise le propos. La dernière partie, notamment, présente une succession de faits mal reliés les uns aux autres. Même si Grégory Célerse se présente sans fard comme un historien amateur, une approche délibérément thématique, respectant la chronologie (le fameux plan thématico-chronologique des dissertations d’histoire), aurait été beaucoup plus efficiente, quitte à proposer un résumé des principaux faits en fin d’ouvrage.
Malgré ce problème structurel, le lecteur curieux pourra néanmoins trouvé beaucoup de satisfaction à lire ce livre sérieux. Ne serait-ce, comme on l’a déjà dit, par la masse d’informations que l’auteur propose, reflet de ses nombreuses lectures, des entretiens qu’il a pu mener, des archives qu’il a pu consulter, et notamment les archives judiciaires. Cette Histoire de la Gestapo abonde en détails très utiles. Je ne parvenais ainsi pas à savoir pour quelles raisons des résistants FTPF de Guise avaient été fusillés dans la Somme, à Vraignes-en-Vermandois, le 29 août 1944 ; l’auteur mentionne une source que j’ignorais, qui m’apporte une réponse (p. 133). En outre, à condition de bien utiliser l’index des personnes et de compulser l’ouvrage, elle nous permet de suivre le destin de personnages comme Emmanuel W., alias Jaspart, qui n’est autre que Wickenden (l’«homme à la verrue»). Cet indicateur français de la Sipo-SD de Saint-Quentin avait réussi à infiltrer des groupes de résistance dans le nord de l’Aisne, et provoqué l’arrestation de nombreuses personnes. Une partie des fusillés de Saint-Quentin et de Laon, en avril 1944, sont la conséquence de son action malfaisante, sans compter les déportés. Wickenden, capturé et jugé, a été fusillé en 1947. Non seulement cela, mais l’ouvrage de Grégory Célerse nous permet de voir qui sont ces personnages : on a ainsi plusieurs photographies de Wickenden (extraites d’une collection privée et d’un fonds des Archives départementales de l’Aisne).
Frédéric Stévenot, pour Les Clionautes