Pascal Butterlin est professeur d’archéologie du Proche-Orient ancien à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne. Ancien élève de l’École Normale supérieure et agrégé d’histoire, il participe à des recherches archéologiques en Syrie et en Irak. Il dirige la mission archéologique française de Mari en Syrie et la mission de Khorsabad en Irak.

Longtemps les archéologues ont fouillé avec à l’esprit les lieux mythiques des légendes arrivées jusqu’à eux, surtout ceux de la Bible ou de la tradition gréco-romaine. L’auteur montre qu’aujourd’hui, au regard des fouilles et des sources traduites, les historiens s’attachent à comprendre comment les anciens mésopotamiens forgent leur histoire conçue comme une succession de suprématies urbaines, cycliques, faite de translations du pouvoir suprême. Il s’agit de s’interroger sur la manière dont le jeu triangulaire entre royauté, cité et monde du divin, a donné lieu à d’extraordinaires constructions dans la matière comme dans l’esprit. Cet ouvrage cherche à montrer par quelques exemples ce qui s’est tramé entre traditions et recherche moderne, entre mythe, épopée traditionnelle et travail scientifique.

Le chapitre 1 évoque la liaison entre le jardin d’Éden et les premiers pas de l’agriculture. Apparaissent des divinités tutélaires, lions ou taureaux, en lien avec des maisons communes comme sur le site de Jerf el Ahmar en Syrie. La transition néolithique et ses changements seraient liés au souvenir d’un temps des chasseurs, temps béni lié à un autre monde paradisiaque.

Les chapitres centraux décrivent les récits des Sumériens en lien avec la naissance de la civilisation urbaine. On y évoque le dieu Enki, dieu civilisateur et constructeur des cinq cités avant le déluge. La cité d’Uruk présente les transformations majeures qui se produisent avec l’apparition de l’écriture. Ses rois s’inscrivent dans un véritable cycle épique, dont le plus connu est celui de Gilgamesh qui rencontre le vieux sage du déluge. Akkad et son roi fondateur Sargon, a généré un corpus légendaire très important, notamment grâce à son petit-fils Narâm Sîn qui a fait marteler un grand nombre de stèles narrant ses exploits guerriers (voir la stèle de la victoire au Louvre). L’archéologie montre qu’en haute Mésopotamie, la période akkadienne marque un tournant majeur avec des couches de destruction impressionnantes. Le chapitre 6 conjugue les récits et les fouilles pour reconstituer le destin d’Ur, cité du dieu lune Nana.

Au tournant du IIIe et IIe millénaires, des chefs amorrites (issus des tribus bédouines) s’imposent progressivement dans les cités syro-mésopotamiennes. Ils s’efforcent de se rattacher à la grande histoire des rois qui les précèdent en cultivant le souvenir de Gilgamesh ou des Akkadiens, à travers le culte des ancêtres et la construction de généalogies fictives. Cette mémoire cunéiforme est utilisée dans les rituels pour fédérer la cité au roi, alors que la réalité politique s’avère fragmentée avec une profonde hétérogénéité ethnique. Des savants ont établi des liens entre des textes sur la chute d’Ebla en Syrie et la description de la fin de Troie dans l’Iliade. Le vecteur de transmission serait le peuple hittite et sa capitale, Hattucha (au centre de l’Asie mineure).

Les derniers chapitres s’intéressent à Babylone, capitale pendant 1400 ans, lieu de la tour de Babel et théâtre de l’exil des Hébreux dans la Bible. Au sein de cette cité, s’étend l’une des merveilles du monde pour les Grecs, les jardins suspendus. Les dernières recherches sur les tours-temples appelées des ziggurats sont ensuite présentées dans une étude comparative.

Pascal Butterlin publie un ouvrage très instructif pour qui connaît déjà les légendes sumériennes. Le corpus central en couleur est bienvenu pour renouveler les documents à présenter aux élèves (plan d’Uruk, ziggurat d’Ur, dessins de sceau cylindre, reconstitution en 3 D de temples). Il contribue à enrichir l’histoire antique de la Mésopotamie, période moins connue que celle de l’Égypte, mais tout aussi passionnante.