Benoît ROSSIGNOL est maître de conférences en histoire romaine à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Ces dernières années, ses principales publications portent sur l’histoire militaire, politique et environnementale de l’Empire Romain. Il nous propose dans cet ouvrage une biographie de l’empereur et philosophe Marc Aurèle, souvent considéré comme un idéal politique et historique. Mais il importe « d’aller au-delà de la statue, de l’image impassible et hiératique. […] Pour comprendre. ». Benoît ROSSIGNOL s’intéresse donc à la trajectoire individuelle sociale et politique d’un homme, considéré comme le « meilleur des empereurs ». Se pose toutefois, comme toujours en histoire romaine, la question des sources. L’auteur l’avoue : « le résultat sera comme les ruines que l’on peut visiter dans tant de sites antiques. Incomplet, disparate, suggestif. […] il s’agira d’une reconstruction ». Dans ce cadre, le choix, logique, a été fait d’une progression chronologique.
Marcus Annius Verus naît le 26 avril 121. Il possède déjà de nombreuses (bonnes) cartes en main : libre et citoyen, il est issu d’une des plus grandes et riches familles romaines (les Annii) ; c’est un garçon ; il naît à Rome, centre du monde. L’année de sa naissance, son grand-père paternel, sénateur, devient préfet de la Ville à 60 ans. Par sa famille maternelle, Marcus Annius Verus serait proche parent de l’empereur Hadrien. Il passe ses premières années « au soin des nourrices ». L’éducation est l’affaire d’un tuteur, affranchi ou esclave. Durant l’année du troisième consulat de son grand-père, à 6 ans, il reçoit le cheval public, devenant ainsi chevalier romain. Son adolescence est ensuite marquée par la mort de son père en 128 et par l’influence de ses maîtres. Vers 12 ans, il découvre la philosophie par l’intermédiaire de son professeur de peinture Diognète. Il entre dans l’âge adulte à 15 ans et se trouve alors au centre du plan dynastique d’Hadrien pour lui trouver un successeur. Il est désigné pour la questure à 17 ans, ce qui nécessite alors une dérogation du Sénat.
L’empereur Hadrien meurt en 138 et Marc se charge alors d’organiser les premiers honneurs funèbres. Antonin, adopté par Hadrien un peu plus tôt dans l’année, et qui possède déjà l’imperium et la puissance tribunicienne, reprend la charge d’empereur. Marc attend son heure et renforce ses liens matrimoniaux avec Antonin en se fiançant avec sa fille, Faustine. Il porte le titre de Marcus Aelius Aurelius Verus Caesar. Il vit à la cour, à proximité de l’Empereur. Il parfait son éducation en fréquentant de nombreux maîtres tant en littérature qu’en philosophie ou en droit. Le nom de Fronton ressort de cette période. Des relations entre le maître Fronton et l’élève Marc Aurèle naissent des sentiments qui transparaissent dans leurs échanges épistolaires. En 145, à 24 ans, il commence son second consulat à l’âge où beaucoup de fils de sénateurs ne sont même pas encore questeurs. Il faut toutefois constater que si Marc, à partir de 147, se trouve dans une position de pouvoir visible au Sénat, Antonin se réserve exclusivement, et jusqu’à son décès, un élément essentiel du pouvoir impérial : l’imperium.
En 161, Antonin meurt d’une intoxication alimentaire et, à 40 ans, Marc devient Marcus Aurelieus Antonius Augustus, le maître du monde. Contre toute attente, il propose d’associer à son pouvoir son jeune frère adoptif : Lucius Aurelius Vérus. Pour la première fois, l’empire est dirigé par deux empereurs partageant le même titre. Marc décide ainsi de partager les tâches judiciaires, administratives et militaires de l’empire devenues écrasantes, tout en s’inscrivant dans une tradition romaine de collégialité du pouvoir. Dans ce contexte, la naissance de jumeaux mâles est vue comme une confirmation divine de la prospérité qu’allait apporter le nouvel empereur aux habitants de son empire.
Pourtant les difficultés se multiplient : crue centennale du Tibre à Rome, défaite contre les Parthes en Arménie, soulèvements en Bretagne et en Germanie. Ces évènements poussent les empereurs à intervenir et à se rendre sur les lieux. La situation militaire ne s’améliore qu’à partir de 164. L’Humanitas de Marc se développe alors, notamment dans sa législation sur les esclaves et la torture. En 166, Vérus revient de ses expéditions orientales. Sa manière d’être empereur se distingue nettement de celle de Marc. A la via Clodia, Vérus vit comme à Antioche, entouré de troupes de musiciens et d’acteurs ramenées d’Orient, de ses affranchis et de ses amis. Le style de Marc s’appuie sur une tradition plus aristocratique et sévère, suivant l’héritage d’Antonin et une philosophie stoïcienne. Malgré un Orient stabilisé, la disette frappe l’empire, comme par exemple au nord de l’Italie. On peut l’expliquer par une augmentation de l’activité volcanique à cette période. La pestilence (la peste? la variole?) le touche aussi, notamment à Rome où « l’on évacuait les cadavres en chariot ». Entre 165 et 168, des historiens estiment que la maladie a causé entre 3,5 et 5 millions de morts. « Face aux Barbares au moins, Marc pouvait agir. Face aux autres facteurs de crise, ses capacités d’action étaient très mesurées, voire inexistantes ».
Au sortir de la crise, l’empire est différent de ce qu’il est au début. Vérus meurt d’apoplexie en 169, de retour d’une expédition avec Marc en Illyricum. Marc se retrouve seul à la tête de l’empire et doit écarter les rumeurs d’empoisonnement. De retour à Rome, il continue à exercer ses devoirs auprès du Sénat, manifestant son respect de l’institution et son zèle. La situation financière est toutefois désastreuse et empêche de préparer sereinement la reprise des hostilités au nord de l’empire. Il se refuse pourtant d’augmenter la pression fiscale, y préférant les économies.
Les affrontements contre les Germains (Marcomans, Quades,…) va marquer les dix dernières années de son règne, l’amenant à quitter Rome plusieurs fois et à passer de longues années sur le Danube et même en territoire barbare. Sa capacité de nommer des responsables et des officiers est un de ses principaux leviers d’action. Il devient l’empereur des soldats. Mais, même s’il accompagne la marche de ses troupes, la présence de Marc au plus près des combats semble très exceptionnelle. « il fut parfois incapable de s’adresser aux soldats », d’après Dion Cassius. Après l’annonce (fausse) de sa mort en 175 et la proclamation du gouverneur de Syrie Avidius Cassius rapidement déclaré ennemi public par le Sénat, Marc s’attache à contrôler Rome et à protéger Commode, seul descendant mâle encore vivant. Son voyage dans les provinces orientales en 175-176 est l’occasion d’une répression et d’une épuration. A son retour à Rome en 178, arcs et statues sont érigés, la construction d’un temple est votée pour Faustine (morte en 176) et pour le futur divus Marcus, ainsi qu’une colonne à l’image de celles de Trajan et d’Antonin. Elle doit être l’exposé détaillé de ses relations à l’armée, à la guerre, de son action de généralissime, de diplomate, de souverain. Il s’intéresse aussi à l’éducation de son fils Commode. En 177, à 16 ans, ce dernier est déjà titulaire de tous les titres impériaux, dont celui de Père de la Patrie. Il est le successeur naturel et incontestable de son père à sa mort le 17 mars 180.
Au final, quels sont les legs à l’histoire du Divus Marcus ? Le règne de son fils Commode est opposé à celui de Marc. « Le Sénat s’ingénia à le faire entrer dans l’Histoire comme un gladiateur fou ». Après son assassinat en 192, les Sévères cherchent des moyens d’appartenir à la lignée de Marc. Son règne est célébré tout au long du IIIe siècle, notamment par le biais de ses écrits philosophiques. Après la chute de l’Empire romain d’Occident en 476, la postérité de Marc évolue de manière différente de part et d’autre de la Méditerranée. Dans l’Occident latin, son souvenir s’efface ou semble plus souvent être celle d’un persécuteur de chrétiens. La figure du bon souverain reparaît avec les débuts de la Renaissance. A la veille de la Révolution française, Marc garde « son potentiel d’étalon politique du prince parfait ». Au XXème siècle, un intérêt renouvelé pour Marc Aurèle en philosophie émerge enfin à partir d’une nouvelle compréhension de la philosophie antique.
Cette biographie de plus de 500 pages est plus que complète. Elle retrace de manière pointilleuse la vie de Marc Aurèle de sa naissance à sa mort, et même au-delà. Autour de lui, sont brossés des portraits de contemporains et l’atmosphère de l’âge d’or de la Rome Antique se dégage. Cette, ou ces, Histoire(s) plaira(ont) à la fois aux enseignants intéressés par la période et cherchant des anecdotes pour agrémenter leurs cours (sur la santé de Marc par exemple), aux amateurs de la matière et aux spécialistes qui apprécieront les 3 pages de glossaire, la centaine de pages de notes, la bibliographie conséquente et l’index. En tout cas, cet ouvrage donne envie de se replonger dans les Pensées pour soi-même, afin d’encore mieux cerner l’empereur et le philosophe Marc Aurèle.
Retrouvez au lien suivant une autre biographie de Marc Aurèle, récemment recensée sur la Cliothèque.