Cette histoire de la Mésopotamie a été publiée en inédit dans la collection folio histoire. Le livre est publié en édition de poche, et, comme on se plaît à le souligner, à un prix très accessible, Sans doute est-ce la prise de conscience par l’inspection du faible pouvoir d’achat des enseignants contraints de se rabattre sur les éditions de poche pour reprendre la formule de Jacqueline Chabrol, IA-IPR d’histoire-géographie sur l’Académie d’Aix Marseille. Pourtant, cet ouvrage de 536 pages est extrêmement complet. Quatre cartes de localisation, huit illustrations en couleurs, un index des noms et des lieux, une bibliographie très complète, permettent de disposer d’un ouvrage de référence indiscutable.
Ce livre en édition de poche est même le seul à notre connaissance à présenter le cliché couleur original de la fresque de l’investiture du palais de Mari (XVIIIe av.) qui se trouve dans le fonds Gallimard. Les autres reproductions plus récentes ont des couleurs plus passées et sont même le plus souvent en noir et blanc.
Lorsque l’on se plonge dans cet ouvrage, surtout lorsque l’on n’a pas de connaissance très précise de l’histoire du Proche-Orient ancien, on serait a priori un peu rebuté. La période qui est traitée s’étend des dynasties archaïques du quatrième millénaire à l’empire perse achéménide qui s’effondre sous les coups d’Alexandre en -331 avant notre ère.
Dès l’introduction, l’auteur inscrit l’histoire de cette région du monde dans la vision que les occidentaux ont pu en avoir à différentes époques. Terre d’élection supposée du « despotisme oriental et d’une sexualité débridée » avec la référence à Babylone prostituée, ce Moyen-Orient reste encore pour la plupart des professeurs d’histoire chargé de mystères.
Dès l’introduction également, Véronique Grandpierre appuie sur le rapport entre les recherches archéologiques et l’évolution des conditions géopolitiques. En 2003, alors qu’il n’y avait pas une seule vitre cassée sur le ministère irakien du pétrole, protégé par les troupes américaines, le musée de Bagdad, un des plus importants du monde était littéralement mis à sac.
Archéologie et politique
Dans le premier chapitre, archéologie et politique, l’auteur décrit les différentes vagues d’explorations qui se sont succédées. Dès le XIIe siècle, avant que ce territoire ne passe sous le contrôle des Turcs seldjoukides, des voyageurs cherchent à situer les lieux évoqués dans les récits bibliques. Pendant toute la période suivante les ottomans étendent leur contrôle sur un très vaste territoire qui s’étend de l’Europe balkanique, une partie de l’Europe centrale, le Proche-Orient arabe et l’Afrique du Nord à l’exception du Maroc. La mer Méditerranée reste pour quelques siècles une mer ottomane.
Ce sont d’abord des Français qui dès le XVIe siècle cherchent à tisser des liens avec la sublime porte, l’alliance à revers contre l’empire des Habsbourg permet de passer au-dessus des préventions contre l’islam. Richelieu, Colbert s’intéresse également aux « antiquités » du Moyen-Orient, avant même que les Anglais, soucieux du développement de la compagnie des Indes n’y établissent leur réseau. L’orient est à la mode dans la littérature et dans la décoration. Pour célébrer ses campagnes militaires en Égypte et en Syrie, Bonaparte passe des commandes et l’orientalisme devient très à la mode dans les milieux littéraires et artistiques. Avant que le canal de Suez ne soit percé, les résidents anglais de la compagnie des Indes en poste dans l’empire ottoman, le point de passage obligé vers le sous-continent, s’intéresse à une archéologie prédatrice, visant essentiellement à ramener des objets. À partir de 1842, la France, sans doute pour concurrencer l’Angleterre s’intéresse aux recherches dans cette région et l’État apporte des subventions pour les expéditions.
L’auteur décrit, dans un style très vivant les rivalités franco-britanniques qui se traduisent par quelques affrontements dans les tranchées de fouilles. Dans le même temps, les travaux de déchiffrement de l’akkadien qui ont été menés à partir du repérage de certaines titulatures royales finissent par aboutir après 1850.
Le partage franco-britannique
Dans le dernier quart du XIXe siècle, ce sont les Allemands et les Américains qui interviennent également sur les chantiers de fouilles en négociant directement avec les autorités ottomanes. Celles-ci avaient été échaudées par les pratiques de Heinrich Schliemann qui avait fait sortir clandestinement de l’empire les objets en or retrouvés sur le site présumé de la ville de Troie. Il est vrai que son épouse aimait les bijoux… Au passage ces pièces qui se sont retrouvées dans un musée en Allemagne ont été récupérés par l’Armée rouge lors de la prise de Berlin. Mises à l’abri pendant la période soviétique, elles sont l’objet d’une négociation depuis que Boris Eltsine a reconnu que la Russie les possédait effectivement. Mais les successeurs de Eltsine semblent peu pressés de restituer ce précieux dépôt. Et encore faut-il savoir à qui ?
Les Grecs et les Turcs les revendiquent également !
Dans l’entre-deux-guerres, comme après la seconde guerre mondiale, l’archéologie au Moyen-Orient est marquée par de très nombreuses découvertes, mais toujours sur fond de rivalités entre les grands pays. Il n’en reste pas moins que c’est pendant cette période que se sont formés les chercheurs syriens et irakiens qui ont été amenés à diriger le service des antiquités de leurs pays respectifs. Le partage des dépouilles de l’empire ottoman entre la France et la Grande-Bretagne se traduit également par un partage du site de fouilles. La France a dominé l’archéologie en Syrie tandis qu’elle était quasiment totalement absente de l’Irak et faiblement présente en Turquie.
Il faut attendre la fin de la seconde guerre mondiale, l’indépendance des états du Moyen-Orient et la montée du nationalisme et du panarabisme sous l’impulsion de Nasser pour voir les états à prendre conscience de l’importance de leur patrimoine. Au-delà des vicissitudes politiques et des troubles que la région a connus, les conflits israélo-arabes, les deux guerres du Golfe, les recherches archéologiques ont pu se poursuivre et ont permis de compléter les connaissances que l’on peut avoir de l’histoire de cette Mésopotamie, comme berceau des grandes civilisations. Notons au passage, avec l’auteur, que le tourisme, dans des pays comme la Syrie ou la Jordanie, a très largement favorisé le développement de programmes de recherches archéologiques, ne serait-ce qu’en apportant des ressources aux pays concernés.
Les sources et l’histoire
Dans le deuxième chapitre, les sources et l’histoire, Véronique Grandpierre propose à ceux qui ne sont pas familiers de ces questions une petite cinquantaine de pages de vulgarisation sur la spécificité de cette archéologie moyen-orientale. Celle-ci est marquée par la présence que l’on a pu qualifier d’obsédante du récit biblique. Pendant très longtemps, les recherches archéologiques ont été très largement influencées par la volonté de trouver sur le terrain des confirmations de ce que l’on pouvait trouver dans la Bible. Par ailleurs, si l’on se réfère aux sources antiques, notamment aux auteurs grecs et latins, les sources écrites auxquelles ils ont pu accéder, se mélangent souvent avec des récits et des légendes.
Les fouilles archéologiques demandent également des précautions particulières dans cette région du monde. La rareté du bois et de la pierre a conduit à utiliser l’argile crue comme principal matériau de construction. Les premiers fouilleurs ont sans aucun doute commis des dégâts considérables par méconnaissance de la fragilité de ce matériau. De plus, sur près de quatre millénaires d’histoire avant notre ère, depuis l’utilisation de l’écriture, le temps a fait son œuvre avec son cortège de destruction et de réemploi des matériaux.
L’écriture cunéiforme, dont les signes sont obtenus par incision dans de l’argile modelable est également une source précieuse puisque les chercheurs ont pu non seulement la déchiffrer mais en constater les évolutions. Plusieurs langues utilisent cette forme d’écriture, comme le sumérien, l’akkadien avec ses deux dialectes comme le babylonien et l’assyrien, voire le hittite comme langue indo-européenne.
Les spécialistes du cunéiforme travaillent en permanence à la reconstitution des textes qui sont ramenés à la surface lors des chantiers de fouilles. Les plus anciennes traductions sont parfois remises en question et de nouvelles publications s’imposent parfois. On notera au passage, parce que cela semble être une originalité de cette civilisation, que la maîtrise de l’écriture n’était pas simplement une affaire d’hommes ; il semblerait en effet que des femmes aient pu accéder à la fonction de scribe.
L’épopée des Rois
Les textes qui sont conservés, sont aussi bien des inscriptions royales des textes religieux mais également des documents issus de la pratique économique comme les livres comptables, les inventaires et même ce que l’on appellerait aujourd’hui les actes notariés. Si beaucoup de documents ont été détruits, il arrive parfois que la chance sourit aux archéologues. Un incendie comme dans la ville assyrienne de Dûr Sharrukîn en Irak a pu à la fois conserver les matériaux par cuisson des tablettes d’argile et en même temps préserver le site grâce au départ de la population.
Toujours dans ce deuxième chapitre, l’auteur nous livre une synthèse très utile sur les différentes techniques de datation et sur les précautions indispensables. Si globalement les niveaux de fouilles les plus près de la surface sont les plus récents, les archéologues ont parfois des surprises puisque les occupations de sites ne sont pas forcément homogènes dans leur intégralité. De plus, les réemplois postérieurs viennent parfois brouiller les pistes. On trouvera également dans cette partie une explication extrêmement claire sur l’utilisation du carbone 14 ; le procédé de datation utilisée depuis les années 50. Ce procédé maintenant ancien a permis d’affiner très largement les différentes périodes, ce qui amène parfois à réviser certaines affirmations dans des intervalles de 10 ans. Le carbone 14 ne suffit pas dans la région du proche et du Moyen-Orient pour dater de façon précise. Le matériel organique pu disparaître, dans la région du croissant fertile ce qui amène à utiliser la thermoluminescence à partir des cristaux de quartz présent dans l’argile.
Des faussaires antiques
Enfin, dans cette quête de la connaissance, les chercheurs sont parfois confrontés à la fabrication de faux antiques dont les motivations sont parfois très prosaïques. Une inscription datée du XXIIIe siècle avant Jésus-Christ s’est finalement révélée être un faux fabriqué au sixième siècle avant Jésus-Christ permettant au clergé de la ville de Sippar d’obtenir du roi une nouvelle donation. Enfin, on peut trouver dans ce chapitre un des éléments de périodisation, permettant de situer dans le temps l’apparition de l’agriculture sèche, le développement de l’urbanisation et enfin vers 3200 avant Jésus-Christ les premières traces d’écriture. Il semblerait que l’organisation de ce territoire repose sur un foisonnement de cités états entre le quatrième et le deuxième millénaire. C’est dans la seconde partie du troisième millénaire, que les anciennes cités deviennent les sièges de gouvernements provinciaux avec un territoire plus vaste dirigé par un Roi. Une période d’invasion et d’occupation par un peuple de nomades sémites, les Amorrites, marque la fin de la civilisation sumérienne, avant qu’en 1792 avant Jésus-Christ, à Babylone, Hammourabi n’unifie toute la Mésopotamie. Parallèlement à la montée en puissance du royaume et principautés associées de Babylone on trouve au sud l’Égypte, et au nord sur les plateaux d’Anatolie, les hittites qui sont indo-européens. Entre cette période et le premier âge du fer, sans doute au début du XIIe siècle avant Jésus-Christ, on assiste aux invasions des peuples de la mer qui semble avoir détruit toutes les cités de la côte méditerranéenne. Les sources sont pour l’instant extrêmement rares concernant cette période mais il n’est pas exclu que de nouvelles fouilles ne permettent de lever les inconnus.
On peut consacrer en effet beaucoup de temps à la découverte de cet ouvrage. La présentation qui est ainsi faite e cette Mésopotamie, comme berceau de grandes civilisations suscite forcément l’intérêt. Le lecteur peu familier de ces questions y trouvera sans aucun doute des informations très utiles pour élargir l’horizon de ses élèves, y compris au collège, et surtout une belle occasion de sortir des sentiers battus de la présentation de l’Égypte antique. De plus, le choix des illustrations permettra de montrer les différents apports des civilisations du proche et du Moyen-Orient.
Royaumes urbains, aménagement des territoires
Les chapitres trois et quatre présentent d’ailleurs les caractéristiques en matière d’organisation de ces royaumes, des civilisations urbaines sophistiquées d’ailleurs, basées sur la maîtrise de l’eau, mais également le rôle central des palais et des temples. Ces derniers ne doivent pas être simplement présentés comme des lieux à caractère religieux mais bien comme des entités à caractère économique. On pourra également trouver dans le chapitre sept de très précieuses indications sur les savoirs, et au passage on pourrait parfaitement imaginer une ouverture pluridisciplinaire avec l’enseignement des mathématiques, tant l’apport de ces civilisations qui se sont succédées en Mésopotamie a été important. On apprendra notamment que le comptage ne se fait pas en base 10 mais en base 60 et que les systèmes de comptage varient en fonction de la nature des produits. En matière de médecine, il semblerait qu’un système assez sophistiqué se soit développé, associant la pharmacopée et des exorcismes. Pour ce qui concerne la chirurgie, on se rapproche davantage de l’artisanat, avec parfois des pratiques assez « motivantes » pour le praticien, puisque en cas de décès du patient, selon le code d’Hammourabi, la main du chirurgien peut être coupée.
En ce qui concerne les croyances, évoquée dans le dernier chapitre, les sumériens et les Akkadiens élaborent une cosmogonie à l’intérieur de laquelle ils répartissent les rôles les fonctions de ceux qui la peuplent, qu’il soit de nature humaine ou divine. On retrouve d’ailleurs des récits de la tradition sumérienne dans le récit biblique.
À ce propos, on pourra compléter la lecture de cet ouvrage par celle du numéro 356 de la revue l’histoire de septembre 2010, consacré à Gilgamesh.
On y lira au passage l’article de Brigitte Lion, professeur à l’université de Tours, rencontrée il y a plusieurs années lors des rendez-vous de l’histoire de Blois. Elle avait eu la gentillesse de transcrire en cunéiforme, à la fois le nom de l’auteur de ces lignes et celui des Clionautes. http://www.mae.u-paris10.fr/arscan/Brigitte-LION.html
En ce qui concerne les croyances dans la religion mésopotamienne, Véronique Grandpierre montre d’ailleurs la proximité avec le récit biblique, évoquant dans une oeuvre babylonienne du dernier quart du deuxième millénaire l’affrontement de deux masses d’eau, une d’eau douce et une autre salée qui s’affrontent dans les ténèbres. Comme dans la mythologie grecque, les divinités sont affectés par des sentiments très humains, et notamment le désir de vengeance. Le Dieu Enlil a provoqué le déluge pour faire disparaître l’humanité.
C’est donc un ouvrage très complet que Véronique Grandpierre nous propose ici, en déclenchant chez celui qui a eu le plaisir de cette découverte une irrépressible envie de retour aux sources, vers ce croissant fertile qui a fait rêver les conquérants, les bâtisseurs, et plus près de nous les découvreurs d’histoire.
Bruno Modica
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