Tout le monde connait Jean-Paul CHARVET : professeur émérite en géographie agricole et rurale à l’Université de Paris-Ouest-Nanterre-La Défense, auteur prolifique et réputé d’ouvrages de référence sur l’agriculture et l’alimentation, voire, plus généralement, sur la géographie humaine. Son Atlas de l’agriculture paru dans l’excellente collection Atlas chez Autrement était donc attendu avec autant d’impatience que d’intérêt, surtout après la lecture de l’excellente et monumentale étude de Stéphane Dubois sur les agricultures mondiales, dont nous avons eu le plaisir de rendre compte récemment , et dont le rare défaut était précisément de manquer de cartes !

L’ouvrage est structuré en deux parties principales : Les défis du présent et du futur – Agriculture et développement durable.

Quelques pages d’introduction font le point de la situation agricole et alimentaire mondiale et en rappellent les enjeux. Une carte rappelle à quel point les superficies consacrées à l’agriculture occupent une place finalement assez restreinte sur la planète : moins du tiers des terres émergées ! La double page suivante remet en place les différents stades de l’évolution des systèmes alimentaires, de l’agricole à l’agrotertiaire.

La première partie, sur les défis du présent et du futur, fait d’abord le point de la consommation et des régimes alimentaires : géographie des excédents et des déficits en grains, sous-nutrition et surnutrition, transition nutritionnelle, consommation alimentaire des Français. Des pages spécifiques traitent des carburants « verts », mais aussi des rapports entre l’urbanisation ou la croissance démographique et l’alimentation. L’accroissement de la production alimentaire est ensuite envisagé : terres cultivables, y compris offshore, révolution verte, puis des pages plus spécialement consacrées à la production de viande et de produits laitiers. Enfin, les échanges agricoles sont examinés, notamment à travers les exemples du blé et du soja, mais aussi du commerce équitable, ce qui permet une transition subtile vers la deuxième partie.

Cette deuxième partie consacrée au développement durable fait d’abord le point sur les différents types d’agriculture : on commence par mesurer les retombées de l’agriculture productiviste, puis par présenter les agricultures durable, biologique, raisonnée et enfin les OGM. Viennent ensuite les pages consacrées aux politiques agricoles menées à travers le monde : UE, États-Unis, Brésil, Afrique, Chine et Inde ; quelques analyses nationales plus détaillées, sur l’Allemagne, l’Italie et la France, concluent l’atlas.

Un glossaire et une bibliographie de près de 70 titres – auxquels s’ajoutent des références de films et de sites web – permettront d’aller plus loin sur le sujet, nécessairement contraint par les dimensions restreintes de la collection.

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Saluons la qualité et la pertinence du propos ! Les analyses sont aussi précises et détaillées que le permet le format de l’ouvrage. Les problèmes sont mis en perspective avec une acuité remarquable, sans céder aux effets de mode si souvent présents dans les médias, donc le discours ambiant. Ainsi, la question de l’acquisition de terres cultivables offshore par certains États fait l’objet d’une analyse des risques dépourvue des sentences moralisatrices habituellement rencontrées. Le commerce équitable est étudié sans complaisance, ni parti pris. Le bilan de l’agriculture productiviste, si souvent décrié, fait bien l’équilibre entre les externalités positives (« une nourriture abondante et le plus souvent de qualité ») et négatives (effets environnementaux). Il ne faudrait pas trop, en effet, « cracher dans la soupe » et oublier que c’est ce système qui nourrit la planète car, comme le dit fort justement Jean-Paul CHARVET, « l’agriculture biologique présente beaucoup de vertus, mais pas celle de pouvoir nourrir le monde » ! Quelle bouffée d’oxygène intellectuel ! Concernant les OGM, dont le procès est instrumentalisé dans notre pays par divers groupes de pression, on est ainsi en droit, avec l’auteur, de se demander si « l’Union européenne (n’est pas) en train de passer à côté d’une révolution agricole majeure » !

Quelques points pourront cependant prêter le flanc à critique :

Les données ne sont pas toujours actualisées finement. L’auteur recycle certains de ses ouvrages précédents (sa Géographie agricole et rurale de 2004, notamment) et, si on peut le comprendre, on peut aussi le regretter. Les cartes des pages 12 et 13, par exemple, présentent des données de 2006. 2005 pour la carte p. 22, 2004 pour celle p. 25. Péché véniel, dira-t-on. On peut certes en convenir.

En revanche, beaucoup plus ennuyeux est le parti pris cartographique adopté. Après quelques jours de réflexion – et un rendez-vous en urgence chez l’ophtalmologiste de garde – on continue de se demander quel démon malin a bien pu pousser la cartographe, dont les compétences ne sont manifestement pas en cause, à choisir ces représentations illisibles ou, mieux, invisibles.

Tous les graphiques en barres comportent ces fameux effets pseudo-3D avec luminosité centrale qui s’efforcent à tout prix de rendre l’information la moins lisible possible. Le grand prix de l’effet vibratoire revient sans nul doute au graphique page 61, sur le développement rural, où une demi-page et deux minutes génèrent une pénible nausée optique. Et que dire des cartes ? De ces fonds pâles qui se confondent avec une information à peine plus contrastée ? On se croirait en cours de camouflage ! A voir – pour rire, ou pleurer, c’est selon – la carte de la France fromagère, page 35, ou celle des régions agricoles américaines, page 62 (essayez de compter les items dans la légende), celle des cultures au Brésil, page 65, où l’on se demande pourquoi, des trois cultures représentées, on a choisi ces trois couleurs si peu différentes, ce vertige qui vous prend à vouloir distinguer, sur cette même page, les cercles jaunes aux bords blancs sur fond rose pâle de la canne à sucre… Mention spéciale pour ces frontières en blanc sur des couleurs si pâles qu’on peine à les définir…

Alors s’agit-il d’un parti pris éditorial ? Peut-on imaginer que ces variations infinitésimales des couleurs rendent la photocopie ou la numérisation impossible ? Franchement, c’est difficile à dire. Mais ce qui est manifeste, c’est que beaucoup de cartes à voir sont devenues des cartes à lire, quelques unes à déchiffrer. Et que l’exercice va à l’encontre du but premier d’un atlas. Heureusement, la plupart des cartes sont de bonne facture et le bilan cartographique n’obère qu’assez peu la qualité de l’ouvrage.

Au final, on ne peut donc que vivement recommander la lecture de cet atlas : la mise au point sur les problèmes agricoles est remarquable tant dans la pertinence que dans la concision du propos. Au risque de nous répéter, les ouvrages de Stéphane Dubois et de Jean-Paul CHARVET forment un tandem particulièrement efficace pour qui, parmi nos collègues, veut se former ou s’informer sur ces problèmes cruciaux. On complétera utilement le trio par l’ Atlas mondial des cuisines et gastronomies de Gilles FUMEY, toujours chez Autrement. Un trio à consommer sans modération !

Christophe CLAVEL

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