1789-1870, De la Révolution française à la Commune de Paris
Le premier épisode part de la crise de l’armée d’Ancien Régime, due à l’impossibilité pour les hommes du rang de faire carrière. La naissance de l’armée nationale est bien expliquée et analysée dans ses conséquences politiques et militaires (le rôle nouveau de la masse), avec naturellement le rôle fondateur de Valmy, victoire dont on apprend qu’elle est aussi liée à la supériorité de l’artillerie française sur l’artillerie prussienne – les canons français tiraient bien plus loin. Les réformes napoléoniennes mettent l’accent sur la rapidité et la concentration des forces et créent le corps d’armée, unité de 20 à 30 000 hommes, autonome et rendue cohérente par de fortes solidarités internes. L’Armée devient à l’époque le modèle, la référence de la société civile.
Louis XVIII tente de revenir à l’armée d’Ancien Régime en abolissant la conscription, mais elle est rapidement restaurée avec tirage au sort et possibilité de remplacement, tout comme sont réintégrés des des officiers napoléoniennes pour pallier aux déficiences des officiers royalistes (comme Chaumareys, commandant de la Méduse lors de son naufrage en 1816). La conquête de l’Algérie donne à l’armée française de nouveaux horizons et des responsabilités politiques larges alors qu’en métropole, elle est dorénavant chargée du maintien de l’ordre contre les révoltes et insurrections diverses, mission qui nécessite une discipline totale et absolue ainsi qu’une soumission aveugle au pouvoir politique.
On retiendra des passages consacrés au Second Empire l’introduction des cuirassés, donc aussi de nouveaux métiers comme des mécaniciens qui n’étaient traditionnellement des marins : les progrès de la technique entraînent une transformation profonde de l’organisation de la marine, ainsi que le développement de la politique de la canonnière dans les colonies. Les défaillances de l’armée française et surtout de l’Etat-Major durant la guerre de 1870 sont également présentées.
1871 à 1939 ; de l’affaire Dreyfus à la ligne Maginot
Après 1871, l’armée prépare la Revanche ; la « force noire » est censée compenser le déficit démographique par rapport à l’Allemagne et la promotion de polytechniciens dans l’artillerie doit permettre de rattraper le retard technologique, mais l’Affaire Dreyfus y met paradoxalement un terme : les nostalgiques de la guerre à l’ancienne l’emportent et pas seulement dans l’État-Major puisque la population civile refuse l’abandon du fameux pantalon rouge porté en 1870. Les rapports entre l’armée et la nation sont alors étroits avec la généralisation du service militaire et la construction de casernes partout en France.
Les illusions de 1914 et l’enlisement dans la guerre de tranchées sont bien présentées, ainsi que le développement des avions et des chars, et le développement de grandes entreprises modernes capables de répondre aux immenses besoins en armes. Toutefois, la modernisation entamée se heurte au pacifisme général qui entraîne l’adoption d’une stratégie défensive, que symbolise la ligne Maginot, équipée de tout le confort possible, jusqu’aux lampes à UV pour bronzer.
1940 à 1962 : le temps des défaites
Les conséquences de cette stratégie se révèlent le 10 mai 1940 et dans les semaines qui suivent. Outre Pétain, c’est toute l’armée (dont les juifs sont écartés) qui, bien que réduite à 100 000 hommes par l’armistice, doit régénérer la France : elle fournit non seulement des cadres à l’État nouveau mais aussi un modèle que conteste bientôt l’armée gaulliste. Après la l’annexion de la zone sud, l’armée est dissoute et la flotte de Toulon se saborde. Nombre d’officiers et de sous-officiers rejoignent l’Organisation de Résistance de l’Armée ou l’armée de Giraud en Afrique, qui fusionne avec les Français libres en août 1943. C’est cette armée, essentiellement composée d’Africains, qui participe à la conquête de l’Italie puis, après le débarquement de Provence, à la libération de la France.
L’armée, qui prend ensuite part aux conflits coloniaux, s’incarne dans la figure du para, soldat autonome et débrouillard. Les passages consacrés à l’Indochine et l’Algérie sont parfois contestables, mais pour cette raison très intéressants : se focalisant sur l’armée, les réalisateurs tendent naturellement à prendre le parti des militaires (sans omettre pour autant la question de la torture) face aux civils. Ils montrent comment les militaires, qui avaient dû abandonner les populations locales à leur sort en Indochine et craignaient de devoir le faire de nouveau en Algérie, ont pu en arriver au putsch de 1961. Hélie de Saint-Marc, l’un des putschistes, explique ainsi que c’est la défense de l’honneur qui l’a conduit à cette solution extrême et vient nuancer l’image du « quarteron de généraux en retraite » propagée par le pouvoir gaulliste. Les conséquences de cet épisode furent lourdes : dissolutions d’unité, purges ou démissions d’officiers après l’abandon des harkis.
Les analyses montrent l’importance de l’acquisition de l’arme nucléaire dans la politique algérienne : la guerre d’Algérie engloutissait des sommes trop importantes pour que la France puisse s’en doter, or c’était là que se jouait pour De Gaulle la grandeur de la France.
1963 à nos jours : de la dissuasion nucléaire à l’armée de métier
Ces années 1960 marquent en effet une rupture fondamentale dans l’histoire de l’armée, dont la taille est drastiquement réduite : l’entrée dans l’âge nucléaire implique pour nombre de militaires un retour sur les bancs des universités et des grandes écoles. Ils s’y forment non seulement aux nouvelles technologies mais aussi aux relations internationales car la guerre froide est celle des stratèges. La nucléarisation accroît également le rôle de l’État, qui alloue des moyens colossaux (presque 25% du budget, sur cinq ans) pour le développement du programme des Mirages 4, mis en service en 1964. Suivent les missiles stratégiques du plateau d’Albion, les premiers sous-marins lanceurs d’engins et les missiles Pluton pour l’armée de terre. Cette révolution entraîne également d’intenses réflexions sur la manière de mener le combat en cas d’attaque non-nucléaire, d’autant que la France se retire du commandement intégré de l’Otan et doit élaborer seule ses plans.
En mai 1968 Pierre Messmer, ministre des armées, s’oppose à l’utilisation de l’armée pour le maintien de l’ordre, mettant un terme à une longue tradition, mais la mauvaise image de l’armée rebute les recrues : Michel Debré décide alors de permettre aux femmes de s’engager. Ces années sont aussi marquées par un engagement croissant en Afrique dont les modalités techniques sont bien analysées.
L’inquiétude que fait naître dans l’armée l’élection de François Mitterrand est levée avec la nomination à la Défense de Charles Hernu, proche des militaires, à qui est en outre attribué la responsabilité de la mobilisation, traditionnellement du ressort du ministre des Transports ; on ne voulait pas la laisser à un communiste, Charles Fiterman.
Progressivement, l’image de l’armée dans l’opinion s’améliore. Les événements de 1989 puis la première guerre du Golfe transforment la guerre, qui devient guerre de projection et guerre technologique, et qui implique une coopération poussée avec l’OTAN : c’est bien François Mitterrand, suivi par Jacques Chirac, qui entame le processus de réintégration dans le commandement de l’OTAN. Le nouveau soldat est un casque bleu, au service de la paix, qui tente tant bien que mal de s’interposer durant des guerres civiles. Il ne peut plus être un appelé, ce dont Jacques Chirac tire les conséquences en suspendant le service militaire en 1996.
Très riche, ce documentaire pourra être utile pour tous les niveaux où l’on enseigne l’histoire contemporaine. Le regarder dans son ensemble permet également au spectateur lambda, comme l’auteur de ces lignes, de se familiariser avec des aspects divers et parfois insoupçonnés de l’histoire militaire. Naturellement, tous les points ne sont pas abordés (par exemple, on ne dit rien du service de santé des armées ni, curieusement, de l’épisode Boulanger), mais on réalise les implications financières, logistiques et culturelles de certains événements bien connus comme le développement de l’arme nucléaire. Toutes les personnalités interviewées parlent un français d’une qualité rare, bien éloigné de la « novlangue » politico-journalistique omniprésente dans les médias. On regrettera seulement que les bonus fournis par les DVD soient très réduits par rapport à l’émission même et qu’aucun livret n’accompagne l’ensemble, mais il s’agit là d’un détail.
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