L’histoire des enfants, avec cet ouvrage, Eric Alary, entreprend de défricher un terrain jusque-là peu abordé. Spécialiste de l’histoire sociale des Français, l’auteur rappelle d’abord que le terme « enfant » vient d’infans c’est-à-dire « celui qui ne parle pas ». Le mot recouvre des réalités différentes puisqu’avoir 3 ans ou 14 ans n’est pas vraiment comparable. Cette histoire se fonde peu sur les témoignages d’enfants car ces traces sont rares. « Les enfants et les enfances se construisent bel et bien dans une histoire globale, mais aussi une histoire qui leur est propre ».
La Belle Epoque
L’enfant est un enjeu au moment où la IIIe République se met en place. Le regard sur l’enfant change. Etre un enfant à la « Belle Epoque », c’est être le produit à la fois d’une éducation familiale encore assez traditionnelle et d’une éducation étatique en dehors du foyer pour apprendre à vivre en collectivité. Peu à peu, deux idées s’imposent : le recul de la pratique de la foi catholique et des traditions religieuses et l’image différente que l’on a de l’enfant. La mortalité infantile est alors importante. A la fin du XIXe siècle, la puériculture fait ses premiers pas. S’il n’ y a pas encore de manuels, une nouvelle littérature voit le jour mais s’adresse encore à des initiés. Des médecins commencent à relayer ces nouvelles idées. Eric Alary évoque aussi les rapports avec les grands-parents, tout en sachant que l’espérance de vie s’établit à 48 ans en 1900. A partir de 1882, l’hygiène est un enseignement obligatoire à l’école. A la même date paraissent également les premiers ouvrages de psychologie de l’enfant. Entre 1890 et 1910 l’enfant a gagné une place nouvelle dans la société de la « Belle Epoque » grâce à la scolarisation ou la législation sur le travail des enfants.
Enfants de la Grande Guerre
La guerre constitue forcément pour les enfants une rupture. « Entre 6 et 13 ans, ils sont invités à s’engager dans le conflit par leurs écrits scolaires, leurs lettres ». La guerre, c’est l’annonce d’une vie familiale éclatée. Les enfants participent à l’effort de guerre en se faisant main-d’oeuvre ou instruments de la propagande politique et guerrière. Le nombre de naissances passe de 600 000 à 386 000 en 1915. Il faut aussi mesurer l’importance du courrier entre les pères et leurs enfants. Dès 1915, le ministère de l’Instruction publique exige que « l’ensemble des programmes scolaires soit constitué en lien avec les évènements militaires. » Ce qui demeure, c’est que l’avenir des enfants est incertain à l’issue de la guerre.
Enfants de l’entre-deux-guerres
On commence alors à voir l’enfant comme autre chose qu’un « adulte en miniature ». A l’école, le « certif » est l’objectif à atteindre. Il est un rite obligatoire pour les enfants des années 1880 jusqu’aux années 1960. La place accordée aux activités ludiques reste faible. On compte 986 000 orphelins au lendemain du premier conflit mondial. Une politique nataliste est lentement mise en oeuvre. L’Etat crée le statut de « pupille de la nation ». Avec l’école, l’Eglise est l’un des acteurs essentiels de la vie des enfants de l’entre-deux-guerres. Les fillettes restent conditionnées dès leur plus jeune âge à des rôles stéréotypés. Parmi les pédagogues qui font évoluer la façon de considérer l’enfant, il y a Jean Piaget et aussi Henri Wallon. Ils restent des précurseurs encore peu entendus à l’époque.
Les années noires
La Seconde Guerre mondiale atteint un « niveau de cruauté rarement observé dans l’histoire de France ». Des milliers d’enfants se perdent pendant l’exode. Rappelons que la France compte alors près de 1,5 million de prisonniers de guerre, dont 600 000 pères de famille. Les enfants sont éprouvés par le rationnement et on constate que le poids moyen des filles et garçons est inférieur de 1 à 7 kilogrammes selon l’âge par rapport à la moyenne de 1938. Les enfants sont aussi victimes de la politique du régime de Vichy, comme le montre le nombre d’enfants raflés lors de l’épisode du Vel d’Hiv. Les enfants sont au centre de la propagande de Vichy. La situation sanitaire des enfants est catastrophique à la sortie de la guerre.
Les enfants du bonheur
Durant les années 1950-1960, la place de l’enfant est repensée au sein de la société française et son cadre légal plus précisément défini. Parmi les créations d’après-guerre, il faut mentionner le « juge des enfants ». Le premier salon de l’Enfance est inauguré en 1950. A cette époque, il ne faut pas oublier pourtant que la tuberculose continue de frapper. Les enfants profitent, à leur niveau, des bénéfices des Trente Glorieuses avec, par exemple, des séries télévisées qui les concernent. Les années 1945-1965 représentent l’âge d’or des colonies de vacances. En 1948, près d’un million d’enfants partent en colonie de vacances contre 420 000 sous le Front Populaire. La mixité à l’école est un autre signe des temps de la modernisation sociale bénéfique aux enfants. La vulgarisation massive de l’information sanitaire se développe dans les années 1950-1960. L’ouvrage de Laurence Pernoud « J’attends un enfant » devient un best-seller. Les années 50 sont également celles d’une banalisation du discours sur la sexualité.
L’enfant-roi
Durant les années 1970-2000, tout s’accélère dans la société française. Les modèles familiaux se multiplient. L’enfance, véritable enjeu politique, envahit les discours des hommes publics au tournant des XX et XXème siècles. Le nombre de divorces augmente : d’un mariage sur dix en 1975 à un sur deux aujourd’hui. Les années 1980 voient apparaître l’expression d’«enfant-roi». Les jouets se démocratisent et des marques emblématiques naissent alors comme Playmobil en 1974 ou Smoby en 1978. L’enfant devient un nouveau consommateur avec un fort pouvoir d’achat par l’intermédiaire de son entourage. Eric Alary relate ensuite quelques tendances récentes comme la volonté de l’enfant parfait ou encore les évolutions des politiques éducatives sous différents ministres. L’école se veut par exemple plus inclusive.
En conclusion, Eric Alary rassemble quelques idées fortes et souligne que, globalement on est passé d’un être réifié à un être personnalisé. Son ouvrage constitue donc une étape importante qui invite à continuer de travailler sur le sujet de l’enfant.
Jean-Pierre Costille