Souvent cité, souvent invoqué, Jean Zay est probablement l’un des hommes politiques dont l’œuvre littéraire et la réflexion sont les plus méconnues et ce, en dépit de sa panthéonisation le 27 mai 2015. C’est pourquoi la publication de cet ouvrage dans la collection Bouquins intitulé Jean Zay jeunesse de la République, édition établie et présentée par deux spécialiste Pierre Allorant et Olivier Loubes, est bienvenue.
Elle est accompagnée d’une préface signée Pascal Ory. Pierre Allorant est historien, docteur en droit, professeur et doyen de la faculté de droit, d’économie et de gestion de l’université d’Orléans, Il est également président du Cercle Jean Zay. Olivier Loubes est historien et enseigne aux classes préparatoires aux grandes écoles littéraires à Toulouse. Spécialiste de l’histoire de la République, de l’école et des imaginaires politiques, il a déjà consacré trois ouvrages à Jean Zay.
Comme le rappelle le résumé au verso : « Jean Zay est reconnu comme un homme d’État qui a fait de l’école un pilier de la démocratie sociale en réformant l’enseignement, en développant le sport et la culture. » Né à Orléans le 6 août 1904, fils d’un père juif laïc, Léon Zay, rédacteur en chef d’un journal, le Progrès du Loiret, et d’une mère, Alice Chartrain, institutrice et protestante, Jean Zay devient avocat et journaliste. À 21 ans, il s’engage au parti radical tandis qu’en parallèle, il adhère aux Jeunesses laïques et républicaines. Jean Zay fréquente les cercles républicains, devient membre de la Ligue des droits de l’Homme et entre en franc-maçonnerie. À 28 ans, il devient avocat. Élu député du Loiret en 1932, Jean Zay a aussi une plume très active comme en témoignent ses nombreux écrits. C’est donc une véritable somme que propose cet ouvrage qui, sur plus de 1000 pages, se propose non de publier une intégrale de son œuvre, (ce qui serait, dans l’absolu, impossible en un seul tome), mais plutôt de réunir un ensemble représentatif de son action et de sa pensée.
Un républicain en herbe
La première partie intitulée un républicain en herbe revient sur ses écrits de jeunesse dont les tous premiers datent de la Première Guerre mondiale. En 1914, lorsque la guerre éclate, Jean Zay a 10 ans. C’est entre 1916 et 1918, qu’il rédige des journaux avec sa sœur Jacqueline et devient ainsi journaliste en herbe. Ces écrits témoignent déjà d’une grande maîtrise, d’une capacité à structurer sa pensée et à narrer les événements, principalement ceux liés à la guerre. Son patriotisme éclate et son admiration pour Clémenceau également. Un autre texte, un poème intitulé « le drapeau » considéré comme : « le soleil noir de l’œuvre de Jean Zay », est rédigé plus tard en 1924 alors qu’il a 19 ans. Ce pastiche est saisissant par son approche et sa critique virulente du drapeau en tant que symbole nationaliste justifiant la guerre, ses morts et ses misères. C’est à ce titre que ce texte fut retrouvé et instrumentalisé par l’extrême droite à partir des années 30 Jean Zay, devenu député puis Ministre du Front populaire.
Enfin, sont proposés quelques extraits des Chroniques du grenier publiées en 1925 et 1926 d’où émergent notamment une analyse consacrée à Jeanne d’Arc et deux portraits particulièrement saisissants de Charles Péguy et de Maurice Genevoix.
Député et Ministre du Front populaire
La seconde partie, une république ressourcée, correspond aux années 30 et donc à la période où Jean Zay, désormais engagé en politique, est élu député radical du Loiret en 1932 puis devient Ministre du Front populaire en 1936. C’est durant cette période qu’il commente l’actualité locale, nationale et internationale dans le journal de la France du centre, dirigé par son père. Ses éditoriaux permettent de saisir ses lignes politiques sur le plan national où il affirme ses convictions républicaines et des idéaux de gauche assumés sur la question de la défense des retraites ou le problème du chômage. Les réflexions sur l’autorité de l’État, sur la machine parlementaire et les jeux diplomatiques offrent d’ailleurs une mise en abîme qui montre une pensée qui n’a pas vieilli, bien au contraire. Bien sûr, tous ne sont pas reproduits, seule une vingtaine d’éditoriaux a été sélectionnée avec la volonté de montrer sa ligne politique. Les événements internationaux ne sont pas occultés, comme le prouve son éditorial du 12 août 1933 consacré à une analyse des six premiers mois d’Hitler à la tête de l’Allemagne. La situation l’amène par la suite, dans un élan de lucidité rare, à renoncer au pacifisme de ses 20 ans pour sauver la démocratie.
Cette partie comprend également des discours écrits et prononcés par Zay en tant que Ministre de la République chargé de l’enseignement et de la culture entre 1936 et 1939. Le premier choisi est consacré à la réforme de l’enseignement et aux questions d’orientation ; il démontre combien Zay fut un pionnier sur ces questions. Certains textes trouveront un usage certain en classe comme par exemple l’hommage rendu en juin 1936 à John D. Rockefeller en tant que mécène principal du château de Versailles, par exemple.
Mais les parties les plus poignantes de cet ensemble débutent avec les carnets secrets de Jean Zay. Volés puis publiés contre son gré car instrumentalisés par la presse collaborationniste, ces carnets sont des recueils de notes prises par Zay en marge du Conseil des ministres et des diverses réunions et rencontres qui se tiennent entre le 19 septembre 1938 et le 14 septembre 1939. La marche vers la guerre et les tentatives du gouvernement pour tenter de préserver la paix, les opinions des uns et des autres sont rapportées par un Jean Zay lucide devant l’issue, entre Mandel qui estime que ce serait une erreur de faire rentrer Pétain au gouvernement et Daladier qui, le 13 septembre 1939, pense que la guerre durera sept ans. « Et maintenant la guerre », note-t-il.
Deux discours, prononcés devant le Comité secret de la Chambre des députés le 19 avril 1940, complètent et achèvent cette deuxième partie.
C’est avec la troisième partie « Une république captive et retrouvée » que les écrits de Jean Zay prennent une épaisseur nouvelle et tragique. Comme l’écrit dans l’introduction Pierre Allorant, « avec le piège du Massilia qui se referme sur lui comme sur Mendès-France et Mandel, c’est bien la République qui est mise aux fers, à la fois la République triomphante de 1918 […] et la République ressourcée du Front populaire […], Jean Zay est arrêté le 15 août 1940, puis jugé, à tort, pour désertion. Il est emprisonné à la prison militaire de Clermont-Ferrand tandis qu’une virulente campagne antisémite se déchaîne contre lui. Puis Jean Zay est finalement incarcéré à la prison de Riom à partir de janvier 1941, où il est assassiné par des membres de la Milice le 20 juin 1944.
Souvenirs et solitude
29 janvier
Parmi les otages fusillés cette semaine à Paris figure, dit-on, Gabriel Péri : « faut-il donc mourir pour prouver qu’on est sincère ? » demandait Briand.[…]
Contrairement à Pierre Mendès France, Zay ne cherche pas à s’évader. Ayant la possibilité de recevoir son épouse Madeleine et leurs filles Catherine et Hélène, et d’écrire à ses amis, Jean Zay finit par renouer avec son activité d’écrivain. Il rédige un roman policier, la bague sans doigt, un roman le château du silence, plusieurs contes (re)publiés ici pour la première fois (petite préférence pour les contes intitulés L’homme qui dort et L’assassin trop soigneux) mais aussi et surtout le journal personnel de sa captivité de décembre 1940 jusqu’à son assassinat, intitulé Souvenirs et solitude et qui compose à lui seul la quatrième partie de l’ouvrage. Des réflexions parfois courtes, parfois plus longues, où Jean Zay s’interroge comme Marc Bloch sur les raisons de la défaite, analyse de sa cellule la société française qui vit désormais sous le régime de la Collaboration, l’évolution de la vie culturelle, les événements politiques qui lui parviennent, mais aussi sa vie quotidienne, son enfermement et ses difficultés (une crise de conjonctivite le prive de la vue pendant 48 heures en novembre 1941) et la solitude du prisonnier qui en découle. Le tout dans une analyse lucide et sensible à la fois, où l’ironie n’est, parfois pas loin, comme le 19 octobre 1941 où il apprend que le Maréchal Pétain, de visite dans une école, apprend avec bonheur que les instituteurs emmènent une fois par semaine les élèves dans les champs « pour prendre contact avec la nature« . Pétain ignore que ces derniers ne font que suivre les instructions ministérielles datant de 1937-1938 quand Zay était Ministre de l’Éducation nationale et des Beaux-Arts !
On ne sort pas indemne d’une telle lecture, assurément.