Ce sujet important est au cœur du développement rural, de la sécurité alimentaire dans le contexte des modifications environnementales ; marqueur identitaire, il est source de conflits.

Chaque contribution correspond à une étude approfondie, elle est complétée d’une abondante bibliographie.

Analyser et comprendre les dynamiques foncières rurales contemporaines dans les pays du Sud

Dans leur introduction, Jean-Philippe Colin, Philippe Lavigne Delville et Éric Léonard présente le cadre de cette étude : « une mise en dialogue critique entre les questionnements, les catégories d’analyse et les résultats proposés par la littérature, d’une part, et les réflexions qui ont été produites au sein du Pôle foncier » (p. 14).

Ils décrivent les enjeux scientifiques et politiques de la compréhension des dynamiques foncières. Dans un monde en pleine évolution : croissance démographique, intensification des mobilités, l’accès à la terre est central dans les dynamiques économiques, sociales, et même politiques. Le foncier est indissociable des questions de souveraineté alimentaire, d’intégration sociale et économique des nouvelles générations, de conservation des ressources naturelles, et ce face aux conséquences des conflits violents contemporains. Il touche au droit de propriété et donc à la structure sociale.

Les auteurs justifient le choix d’une entrée par le foncier rural, alors même que les villes se développent partout dans le monde et montrent l’intérêt de l’étude spécifique des Sud, en prenant en compte les rapports entre acteurs et institutions.

Analyser le foncier rural : concepts et méthodes

  • Le foncier rural : droits, accès, acteurs et institutions

Ce premier chapitre propose une grille d’analyse de l’accès à la terre, des droits fonciers. Il montre l’importance des logiques d’acteurs et des processus de changement institutionnel quant à la propriété du sol, de la propriété collective communautaire à un système marchand et les conséquences en matière d’appropriation des ressources.

Les auteurs définissent ainsi le cadre d’analyse pour les chapitres suivants : description des droits fonciers dans leur diversité, démonstration du rapport social inclus dans les droits fonciers : droit et accès. L’encadré : La propriété dans la tradition juridique française et dans la Common Law met en lumière les différences entre deux systèmes qui peuvent avoir des conséquences dans les territoires des anciennes colonies.

Il proposent une grille d’analyse de l’accès à la terre : la nature de la ressource foncière, le contenu des droits (restrictions, obligations), les détenteurs (individuels ou collectifs) des droits, les modes d’acquisition (création par défriche, transferts marchands ou non-marchands), les instances d’autorité, de régulation, de pouvoir, qui disent le droit, avec un exemple dans le sud du Bénin.

  • Les dimensions intrafamiliales du rapport à la terre

L’accès à la terre est traditionnellement structuré par les relations de parenté (contenu des droits fonciers, leur transfert). L’étude montre les transferts intrafamiliaux, mais sans oublier les jeux d’acteurs (femmes, jeunes). Après avoir définit le cadre méthodologique de leur étude, et notamment le concept de groupe domestique.

exemple malgache
Exemple malgache ( p. 98)

Les auteurs décrivent des modes de transfert du foncier : l’héritage, la donation et parfois l’achat-vente (réversible ou non), l’importance de la dimension patrimoniale, différente de la notion d’usage (délégation de droits d’exploitation). Ils abordent le rapport entre famille et organisation productive agricole et les facteurs d’évolution (démographie, normes sociales et religieuses, décisions étatiques). Un paragraphe est consacré à la question du genre : division du travail, modalités d’accès à la terre familiale, contrôle sur la production. Le jeu des marchés fonciers, suivant les exemples, est porteur d’exclusion ou d’émancipation des femmes et des jeunes et peut être générateur de conflits intrafamiliaux. En conséquence, des politiques publiques ont été mises en place pour réguler l’accès à la terre, mais aussi accroître les investissements productifs (projets de développement).

  • Communs et gouvernance des ressources en accès partagé

Ce chapitre envisage les formes d’appropriation et de gouvernance des terres et des ressources (eau, pâturages, forêts, poissons, etc.) qui ne relèvent pas de la propriété. Des espaces échappent à la notion de propriété privée : plaines d’inondation, pâturages de montagne ou en zones arides, irrigation de montagne, de régions sèches ou d’oasis, pêcheries côtières ou d’eau douce, des espaces où s’exercent une coexistence d’usages, simultanés ou successifs, une régulation de la compétition entre usagers, à différentes échelles, locale, supra-locale, voire régionale. C’est ce que l’on nomme des « communs ». Le regard porté sur ces espaces est, selon le temps et le lieu, dévalorisé ou survaloriséDébat sur les causes du changement institutionnel : exemple de la gouvernance des réservoirs d’irrigation au Tamil Nadu (pages 177-178 . Les auteurs présentent les théories à propos des « communs ».

L’analyse proposée se décline selon trois axes : ressources et territoires (exemple encart Caractéristiques de la ressource et enjeux d’action collective en irrigation gravitaire); usagers et modes d’accès (libre, autorisé, exclusif collectif, individuel)Exemple Les terres cultivées comme « commun » d’un groupe de descendance en pays Mossi (pages 211-212) ; autorités, formes de gouvernance, fonctions et modalités de la régulationExemples : La gouvernance des ressources agro-halio-pastorales sur les rives camerounaises du lac Tchad avant l’insurrection de Boko Haram (pages 220-221) – Les régulations de l’exploitation des ressources dans l’élevage pastoral au Sahel (page 224-225).

Les auteurs analysent les différentes formes de régulation, le rôle de l’État et les ambiguïtés de la promotion d’une « gestion communautaire des ressources naturelles » dans les années 1970-1990Les contradictions de la « gestion communautaire » : le cas des marchés ruraux de bois-énergie au Sahel (pages 237-238)..

Si certaines institutions de développement et de défense de l’environnement reconnaissent les formes locales de contrôle des ressources, valorisent l’autonomie des « communautés » locales, comme alternatives à la régulation étatique, souvent peu efficace, le succès de la notion de « communs » s’accompagne d’une survalorisation des capacités régulatrices des sociétés locales. Pour les auteurs, la question de la gouvernance est centrale.

  • Politiques foncières rurales et trajectoires des États

Les auteurs présentent l’évolution des idées sur le développement, et en conséquences les conceptions des développeur sur le foncier. Ces politiques sont au cœur des relations entre les États et les sociétés. Le contrôle de la terre est un enjeu majeur dans la formation des États. Actuellement, la multiplication des acteurs à des échelles variées crée des incertitudes dans la régulation des conflits : intérêts des élites, rapports État/pouvoirs locaux.

Les choix politiques sont aussi des choix économiques : efficience économique, bonne gouvernance, inclusion sociale, développement agricole, recherche d’une clientèle politique ; ces objectifs ne sont pas toujours compatibles. Ce chapitre analyse les cadres de références des politiques foncières et les évolutions ; du référentiel libéral (XVIIIe siècle-années 1930) au développement autocentré (1930-1975) remis en cause à partir de 1975 par le tournant néolibéral, fortement influencé et financé par les institutions internationales, avec depuis les années 2000 la promotion du développement par l’agrobusiness.

Ces politiques foncières doivent intégrer les différents legs coloniaux : système dual de propriété (droits collectifs des communautés et propriété par concession du colonisateur) d’autant que les réformes agraires son un outil de reconfiguration des organisations politico-territoriales (fronts pionniers en Amérique latine).

  • Conduire des recherches ancrées dans le terrain : enjeux et options méthodologiques

Comme l’indique le titre, ce chapitre insiste sur la méthodologie d’étude de terrain : cartographie des recherches empiriques sur le foncier rural, questionnaires et entretien avec les acteurs, Choix d’une méthode quantitative et/ou qualitative. Un chapitre très tourné vers les chercheurs : La question de la preuve, de l’intérêt et des limites des regards croisés dans les études foncières.

Dynamiques foncières : enjeux et processus

  • Dynamiques foncières, dynamiques agraires

Ce chapitre aborde les relations entre les dynamiques foncières (régulation du foncier et de son usage), les dynamiques productives (changements des modes d’exploitation du milieu) et les dynamiques des structures agraires (changement des structures foncières – propriété /exploitation du sol et caractéristiques des exploitations). Ces dynamiques sont influencées par l’environnement social et économique.

Les auteurs décrivent d’abord l’incidence des conditions d’accès à la terre sur l’usage productif qui en est fait et les effets des évolutions techniques sur la dynamique des droitsEncart p. 427 En Côte d’Ivoire, l’introduction de la culture de l’ananas comme catalyseur du marché locatif.

Ils traitent de la place de la ressource foncière dans les dynamiques des organisations productives des exploitations agricoles (kolkhozes, Mexique, acteurs urbains, perspectives entrepreneuriales) .

  • Les marchés fonciers : dynamiques, efficience, équité

Ce chapitre analyse le notion de marché foncier, dans quelles conditions l’accès à la terre est l’objet d’une transaction marchande et quels sont les conséquences en matière de développement. Qu’est-ce qu’une terre non marchande ? Quels sont les droits qui peuvent s’échanger ?

Les formes de marché foncier sont diverses comme le montre la grille d’analyse proposée. Les logiques d’acteurs ont des incidence sur ce marché, sur les coûts engendrés. Le faire-valoir indirect est aussi étudié. Enfin, les auteurs pose la question : les marchés fonciers, sont-ils un moteur ou un frein au développement.

  • Les conflits pour la terre : configurations et trajectoires

Les conflits pour la terre sont courants, il convient donc d’analyser les politiques de reconnaissance des droits coutumiers et des modalités de règlement de ces conflits.

Dans de nombreux pays et des régions rurales les causes de ces conflits peuvent être rapportées à la pression démographique, à la dégradation des conditions agroclimatiques, à l’individualisation des stratégies socio-économiques. Les auteurs proposent leur grille d’analyse. Ils montrent comment les conflitsEncart p. 558 : Les ressorts et dimensions multiples d’un conflit pour la propriété d’une terre familiale en Ouganda peuvent être liés à des obligations sociales associées aux droits fonciers (conflits domestiques, droit coutumier, rapport au propriétaire de la terre). Ils peuvent aussi être des conflits d’usage d’une ressource en accès partagé. La marchandisation des terres est source de conflits. Les migrations sont aussi source de conflits. Les auteurs présentent une grande variété de sources de conflits et cherchent à en montrer les conditions d’émergence, leur extension et les imbrications politiques possibles Exemple au nord du Ghana et encart p. 604-605 : Un conflit pour la reconnaissance d’une souveraineté collective sur des terres en Afghanistan et même les suites violentes.

  • Les grandes acquisitions foncières : réalités, enjeux et trajectoires

Changement d’échelle, ce chapitre s’intéresse à de vastes programmes d’acquisition foncière, depuis les années 2000. Le cas emblématique de l’affaire Daewoo à Madagascar sert d’introduction. Il s’agit de faire une cartographieHélas, les cartes sont si petites qu’elles en deviennent peu lisibles (p. 645, 648) de ce phénomène, parfois difficile à documenter.

Quels sont les acteurs : états étrangers, sociétés privées ? Quelles sont les politiques dans les pays où se situe le phénomène ?

Perrine BURNOD décrit les modes d’accès à la terre, l’écart entre les objectifs annoncés et la réalité et les réactions des populations.

Elle consacre un paragraphe à la dimension historique depuis l’Antiquité et met en lumière le rôle de la colonisation jusqu’à la course à la terre dans un contexte d’économie globalisée de ce début de XIXe siècle. Les résultats sont contrastés entre échecs d’une majorité d’investisseurs et maintien d’une minorité, mais dans bien des cas un renforcement des inégalités sociales.

Politiques foncières : débats et controverses

  • Les politiques et opérations de formalisation des droits sur la terre

Depuis la période coloniale, on constate un dualisme juridique entre appropriation et formalisation des droits coutumiers, c’est-à-dire passage par l’écritEncart p. 729 : La formalisation des droits fonciers dans l’Algérie coloniale.

Les auteurs décrivent des situations variées. Du monopole foncier de l’État, deux positions existent : le remplacement des droits coutumiers, qui sont vus comme des freins à la productivité, par la propriété privée ou une sécurisation des droits fonciers coutumiers à protéger des abus de pouvoir. Les modalités de formalisation des droits sont décrites dans leur variété. Les auteurs montrent que la gouvernance foncière est au croisement du projet politique et des choix économiques.

  • Redistribuer la terre : bilan et actualité des réformes agraires

Ce chapitre est consacré aux réformes agraires, à partir d’une étude historique depuis la crise des années 1930 au milieu des années 1970 : l’âge d’or des réformes agraires, puis du milieu des années 1990 aux années 2000 : démantèlement et nouvelles réformes néo-libérales sans oublier la décollectivisation après l’effondrement du bloc soviétique.

L’analyse montre les débats sur les formes de propriété et d’exploitation.

  • Foncier et dispositifs environnementalistes

Par environnement, champ très vaste, les auteurs retiennent les impacts des activités humaines sur les milieux biophysiques à toutes les échelles et les effets de ces changements.

Les dispositifs de protection et de conservation de la nature ne sont pas sans conséquences sur le foncier et l’accès à la terre. Ils imposent des restrictions d’accès ou d’usage et peuvent avoir des conséquences sur la gouvernance du foncier, plusieurs encarts présentent des exemples localisés : Mexique, Sulawesi, AfriqueSur ce thème, on pourra se reporter à L’invention du colonialisme vert – Pour en finir avec le mythe de l’éden africain de Guillaume Blanc (Flammarion, 2020).

Dans le contexte du changement climatique, de nouvelles orientations sont apparues comme la prise en compte des services écosystémiques, le paiement pour services environnementaux avec des conséquences sur la question foncière. Les auteurs décrivent les dispositifs REDD+Voir : Les relations Nord-Sud pour atténuer le changement climatique, Moïse Tsayem Demaze, L’Harmattan, 2015 – Prédation – Nature le nouvel eldorado de la finance, Sandrine Feydel, Christophe Bonneuil, La Découverte, 2015, les crédits carbone, les adaptations locales au changement climatique et la notion du justice climatiqueJustice climatique – Procès et actions, Marta Torre-Schaub, Editions CNRS, 2020.

  • L’expertise foncière au Sud : entre savoirs, médiation et action publique

Les auteurs analysent le rôle possible des experts dans la définition des politiques publiques sur la question agraire. Ils montrent les relations entre étude et action, les obstacles à la réception des analyses produites. Deux exemples illustrent la réflexion sur la place de l’expert, au Bénin et en Nouvelle-Calédonie.

 

 

Présentation sur le site de IRD : https://lemag.ird.fr/fr/les-enjeux-complexes-du-foncier-rural-au-sud

Institut de recherche pour le développement