Simone Mazauric, Histoire des sciences à l’époque moderne,
Armand Colin, Coll. U, 2009, 344 pages.

Écrire une « Histoire des sciences à l’époque moderne » est un projet extrêmement ambitieux, presque une gageure lorsqu’il s’agit de « tenir » en un peu plus de trois cents pages, ce qui est l’un des standards usuels de la collection U chez Armand Colin. L’auteure, Simone Mazauric, professeur d’histoire des sciences à l’Université de Nancy 2, est donc contrainte à faire un choix dans le foisonnement de l’émergence des savoirs et des « pères » de la science moderne de cette époque. L’exhaustivité étant exclue, l’auteure se focalise moins sur les « grands hommes » que sur l’analyse globale de la transformation remarquable des pratiques savantes , véritable révolution scientifique moderne aux siècles « classiques ».

Après un avant-propos précisant le vocabulaire et les choix de l’auteure, l’ouvrage se déroule suivant un plan chronologique et thématique.
La première partie est consacrée à la naissance des sciences modernes. En abordant « Les sciences à la Renaissance », sans bornes chronologiques strictes toutefois, l’auteure les place sous la problématique « des sciences introuvables ? ». Le XVIIe siècle étant tenu habituellement pour le siècle de la révolution scientifique de l’âge moderne, le siècle précédent, rupture avec l’obscurantisme du Moyen Age, siècle des arts et des lettres, paraissait avoir ignoré les sciences. Il semblerait cependant que les hommes de savoir de cette époque ne se soient pas seulement contentés de faire renaître les analyses scientifiques des Anciens, mais qu’ils aient aussi largement anticipé la pensée scientifique du Grand siècle. Après tout, tandis que les expéditions scientifiques partent à la découverte du monde, les penseurs européens redécouvrent l’expérimentation et l’établissement des vérités scientifiques s’en trouve profondément modifié. L’auteure débute son étude, comme de juste, par l’astronomie copernicienne, confrontée aux connaissances antiques et médiévales, puis consacre son chapitre suivant à la médecine et aux médecins, Vésale, Ambroise Paré et Paracelse avant d’étudier la diffusion du savoir par les cabinets de curiosité, les universités, les collèges.

De l’astronomie copernicienne

Le survol de la Renaissance se poursuit par la diffusion des idées de Copernic à Galilée, à Tycho Brahé, à Keppler ; les deux pages consacrées à Giordano Bruno, théoricien de la pluralité des mondes, copernicien un peu insolite, semblent étonnantes ici, mais s’expliquent probablement par la double qualité de l’auteure : philosophe et historienne.

Cette première partie se termine par l’étude de la République des Lettres et de ses vecteurs de communication savante, voyages, correspondances ou académies.
La révolution scientifique du XVIIe siècle, qui marque la construction de la science moderne, constitue la partie la plus importante de l’ouvrage et suit, du moins dans un premier temps, la même thématique que la partie précédente de l’ouvrage. L’astronomie avec Galilée et le combat pour le copernicianisme, puis Descartes et le mécanisme, enfin la conception cartésienne du vivant et de l’animal-machine inaugurent le deuxième volet de l’ouvrage. Après une courte étude concernant les académies et la révolution scientifique, l’auteure consacre ensuite, de façon étonnante, un chapitre particulier à la « question du vide » qui sert d’exemple des querelles et controverses entre tous les penseurs scientifiques de l’époque, de Galilée à Blaise Pascal, mais aussi de celles d’une époque très proche de la nôtre puisque une série d’articles retentissants de Félix Mathieu concernant la sincérité de Pascal a paru en … 1906 ! Après cette digression, l’auteure poursuit son schéma thématique par la suite de l’étude sur la République des Lettres au Grand siècle et la naissance des premiers périodiques savants. Entre la condamnation de Giordano Bruno, le procès de Galilée, les déclarations d’hérésies, etc…on sait les rapports entre l’Eglise et les scientifiques évoqués par l’auteure qui aborde ensuite « frontalement » la question du conflit entre sciences et religion à l’époque moderne. La seconde partie de l’ouvrage se termine par l’influence de Descartes et la remise en question, par Leibniz et surtout par Newton, des principes du mécanisme tels qu’il les a énoncés.

La troisième et dernière partie de l’ouvrage, consacrée au siècle des Lumières, pose dans la problématique d’ensemble choisie, deux problèmes à l’auteure. Ils sont en premier lieu d’ordre chronologique : faut-il considérer le XVIIIe siècle de manière mathématique (1701-1800), ce qui n’a évidemment aucun sens, faut-il commencer le siècle en 1715 à la mort du Grand Roi – ce qui n’a pas d’incidences sur le propos -, faut-il débuter en 1727 à la mort de Newton ou en 1751 à la publication du premier volume de l’Encyclopédie ? L’auteure choisit finalement « une périodisation fluctuante, au gré des champs disciplinaires… »( p.233) , escamotant au passage le problème de la fin du siècle et le foisonnement révolutionnaire. Ils sont en second lieu d’ordre didactique « parce que la difficulté croissante, sur le plan proprement scientifique, (…) décourage toute tentative de présentation sous une forme simplifiée ». Face à cette double difficulté, l’auteure fait le choix de sélectionner quelques champs disciplinaires considérés comme étant « particulièrement représentatifs de ce qui constitue la spécificité du XVIIIe siècle par rapport aux siècles précédents » (p.267).

À la postérité de Newton

En quatre chapitres, l’auteur s’interroge sur la postérité du newtonianisme, puis sur la diffusion des découvertes scientifiques par l’intermédiaire des périodiques, des correspondances et des académies ainsi que leur perception dans le grand public, pour terminer sur la percée des sciences du vivant – botanique, zoologie, animisme, vitalisme,…- et la révolution chimique due à Lavoisier. Si les deux premières parties de l’ouvrage sont très novatrices, la dernière laisse le lecteur parfois quelque peu dubitatif ; on prendra comme exemple la différence de traitement réservée sous forme d’un développement important sur Mesmer et une page sur Marat rapprochés dans l’étude pour leur intérêt sur l’électricité médicale, d’une part, et d’autre part, la simple mention de Carnot, Berthollet, Monge – père de la géométrie descriptive- et de Chappe – père des télécommunications modernes – tous fils du siècle des Lumières, évoqués pour avoir participé « …à l’œuvre de la défense nationale » (p.300).
La conclusion de l’ouvrage fait le point rapidement sur les sciences de l’homme ainsi que sur l’Encyclopédie.

Tout lecteur trouvera son compte à la lecture de l’ouvrage ; le jeune historien y trouvera une bonne base qu’il lui appartiendra d’approfondir en fonction de ses affinités ; le grand public ou le lecteur plus au fait de l’histoire des sciences y découvrira une vision originale éloignée des catalogues et inventaires des découvertes, davantage en usage en historiographie contemporaine. On terminera en soulignant que si le XVIIIe siècle aurait mérité un développement bien plus important , souligné d’ailleurs à plusieurs reprises par l’auteure elle-même, il était peut être impossible compte tenu des caractéristiques de la collection. Il reste à souhaiter que Simone Mazauric s’attache un jour à le rédiger avec le brio du présent ouvrage.

Jean-Claude Bastian 28/12/2009