Bayard fut-il l’incarnation de l’idéal chevaleresque médiéval ou un homme de la Renaissance ? Une figure européenne de l’humanisme guerrier.

Dans sa préface Philippe Contamine montre l’existence d’une culture de guerre présente à l’époque tant dans la chevalerie que dans la soldatesque.

Benjamin Deruelle et Laurent Vissière dans leur introduction montre Bayard comme un homme de son temps mais peut-être surtout comme un héros littéraire : la légende dorée du chevalier sans peur et sans reproche. Quel doit-être le travail de l’historie ? Est-ce retrouver le véritable Bayard dont on sait en fait peu de chose alors qu’il est resté dans les mémoires comme une figure de la chevalerie et de la Renaissance quand les stratèges militaires de son temps : Gaston de Foix, Louis de La Tremoille… ont été oubliés.

Les ambitions de cet ouvrages sont de faire le point sur l’homme et de voir comment il a été perçu par ses adversaires. Pour tenter un nouveau portrait, comprendre le chevalier et étudier la construction de la mémoire dans le temps et dans l’espace, une équipe internationale et pluridisciplinaire s’est réuni en 2017 lors du colloque au musée de l’armée : Bayard ignoré – Une figure européenne de l’humanisme guerrier.

L’homme d’armes et le chevalier

Amable Sablon du Corail présente Bayard et les compagnies d’ordonnance. Un état des services. Etudier sa carrière militaire entre 1484 et 1524 permet de décrire la nouvelle armée permanente des rois Charles VIII, Louis XII et François 1er : les compagnies d’ordonnances décrites dans les ordonnances royales : effectifs armements et les « monstres » trimestrielles qui les contrôlent.

Ces documents permettent de suivre la carrière de Bayard et ses participations aux guerres d’Italie. Ils permettent aussi une approche sociologique des chevaliers, écuyers et archers qui composent les compagnies d’ordonnances. L’auteur observe des carrières plutôt courtes même si celle de Bayard fut longue, des nobles picards, flamands issus des provinces nord de la maison de Bourgogne mais aussi des étrangers, des hommes d’armes qui peuvent accéder à ascension sociale comme Bayard qui atteint le grade de capitaine en 1522 et recrute des nobles dauphinois.

Giovanni Ricci consacre son article à Bayard, l’Italie et la crise de 1512, ce temps où les « Gaulois » ravagent une Italie francophobe. Il est vrai que les pillages furent nombreux en ce début de XVIe siècle. L’auteur montre cette hostilité affirmée dans les textes poétiques italiens. Il analyse l’épisode de Brescia et l’image d’un Bayard chevaleresque face aux soudards et les pertes humaines de l’armée française malgré la victoire de Ravenne.

Benjamin Deruelle revient sur L’adoubement de François Ier à Marignan (1515). « Car il print lordre de chevalerie de sa main », un des épisodes les plus connus des guerres d’Italie et une véritable image d’Epinal alors même que les historiens ne peuvent attester de la réalité de l’événement au soir de la bataille de Marignan.

L’auteur analyse les récits de l’époque : Symphorien Champier, Jacques de Mailles, Aymar du Rivail, Martin du Bellay… et la controverse sur cet événement. Comment interpréter ce récit ? Une œuvre de propagande ? Ce récit est-il, dans le contexte de Pavie, une manœuvre politique ou simplement une œuvre morale destinée à la formation des jeunes hommes d’armes ?

Le chevalier et le pirate. Bayard au siège de Mézières (1521) Nicolas Le Roux étudie cet épisode de la vie du chevalier. Il est alors capitaine et s’illustre lors du siège contre le « pirate »1 Franz von Sickingen qui ravage la Picardie dans le conflit qui oppose Charles Quint au roi de France. François 1er, meurtri par son échec à l’élection impériale soutient une guerre périphérique contre son grand ennemi. L’auteur replace le siège de Mézières dans ce conflit. Il décrit les mouvements de troupes de l’été 1521 et le siège de la ville. D’après les récits de l’époque, il s’agissait pour Bayard autant de défendre son honneur que la ville. La victoire obtenue grâce aux dissensions du clan impérial est intéressante en ce qu’elle montre la coexistence de deux formes de guerre : la chevalerie et l’usage de plus en grand de l’artillerie.

Séverin Duc cherche à savoir qui était Bayard en guerre d’après sa correspondance (1521-1522). « Bon souldart et bien bon serviteur ». Sa correspondance est une des rares traces directes de l’homme. Il s’y montre fidèle serviteur du roi. L’étude porte sur sept lettres2 classiques dans la forme. Su le fond elles décrivent la vie d’un homme d’armes, chevalier mais aussi chef pragmatique quand il s’agit de commander, loger, nourrir sa troupe. L’auteur rappelle les phases de la guerre aux frontières, Picardie, Flandres, Pyrénées et en Italie du Nord pour les années 1521-1522. Les documents informent sur les relations de Bayard avec la haute aristocratie dont il ne fait pas partie. On le voit défendre la Picardie mais aussi ravager la province impériale du Hainaut à l’automne 1521. Quand l’hiver met fin aux combats, François 1er l’envoie rejoindre les armées qui se battent en Milanais. Une lettre du 7 décembre renseigne sur les difficultés rencontrées pour recruter des troupes en Dauphiné. Bayard va au secours de Gênes mais n’a pas les moyens de reconquérir Milan.

Bayard et l’arquebuse, l’ombre d’un doute, Sylvie Leluc a la charge de traiter de la mort du chevalier, peu évoquée par ses biographes. Fut-il emporté par un tir d’arquebuse, on ne saurait l’affirmer. L’auteure présente donc le développement de l’artillerie à poudre dont elle propose une description très précise : composition de la poudre, forme des « bouches à feu », mobilité nouvelle de cette arme.

Fama et memoria hominum immortales

Joana Barreto évoque La lente fabrique du portrait de Bayard. Contexte pour un nouveau dessin de Joseph Chinard. Elle rappelle d’abord l’absence ou presque de portraits. Elle montre que, dans le corpus iconographique étudié, ce n’était pas la ressemblance qui était recherchée mais le message moral. Sont présentés le portrait dit d’Uriage et une gravure sur bois de 1530. Le personnage est au XVIe siècle représenté tantôt comme un courtisan de cour imberbe tantôt comme un soldat barbu. A partir du XVIIIe siècle on trouve de nouvelles représentations avant que le XIX e siècle offre une iconographie abondante, non étudiée.

Joana Barreto concentre son analyse sur une œuvre particulière de la fin du XVIIIe siècle : un dessin de Joseph Chinard fait pour un monument3 et sa réalisation modèle en terre cuite. A noter la qualité des reproductions des documents iconographiques.

C’est un aspect de la culture populaire : les chants des soldats qu’évoque Laurent Vissière dans Bayard en chansons. Le siège de Mézières et la campagne de 1521. Si leurs conditions de création et de transcription sont mal connues, l’auteur montre que l’année 1521 fut propice à la production. Il analyse treize textes dont six concernent le siège de Mézières. Ce sont des chants de victoire à la louange du roi. On y lit la guerre vue à hauteur de soldat qui vantent leurs capitaines et moquent boire insultent l’ennemi. Les moqueries envers les Flamands portent sur ces buveurs de bière qui viennent chercher le vin français.

Florence Alazard compare dans sa contribution : Un Bayard italien ? Jean des Bandes Noires, entre mythes et réalités, Bayard et Jean de Médicis, deux chevaliers qui ont tous deux combattu en Italie. Jean de Médicis est aussi dénommé Jean des Bandes Noires, qualifié de Bayard italien. Ce chevalier mort jeune est sans doute plus proche de Gaston de Foix que du vieux Bayard. C’est donc à ce chevalier italien dont le nom rappelle la tenue noire de ses troupes4 qu’est consacré ce chapitre. L’auteure rappelle ses origines nobiliaires, sa jeunesse tumultueuse, l’homme de guerre désargenté dont on garde en mémoire qu’il fut le père du Duc de Florence Côme de Médicis. Jean fut moins fidèle que Bayard dans ses allégeances : d’abord le pape Léon X puis des revirements tantôt dans le camp français (1522) puis impérial devant Pavie (1524). La mort, théâtre chevaleresque, a rapproché les deux personnages, Jean de Médicis et Bayard, l’un comme l’autre illustrant la fin du monde des chevaliers.

Eduardo de Mesa retrace la place du chevalier dans les textes espagnols : L’image de Bayard dans l’historiographie espagnole des XVIe et XVIIe siècles. Bayard y est reconnu comme l’incarnation des valeurs de la chevalerie, notamment dans l’affaire qui l’opposa à Sotomayor. On trouve dans les mémoires de Garcia Cerezeda une description de la mort de Bayard. Les textes espagnols le cite fréquemment dans les récits des guerres d’Italie. Il est reconnu tant pour sa valeur morale que pour ses compétences militaires.

Stéphane Gal retrace la carrière alpine de Bayard, un héros des Alpes ? La montagne, territoire ignoré du Chevalier. Ses origines sont peu énoncées par ses biographes. Le Dauphinois est, probablement, né à Pontcharra. L’auteur explique le relatif silence des auteurs du temps par l’image, à l’époque, plutôt négative des montagnards associés aux Suisses, réputés pour leurs embuscades et leur traîtrise. Pour les aventures alpines, l’auteur s’appuie sur l’œuvre de Symphorien Champier et analyse comment celui-ci a concilié son souci de valoriser son héros et ses origines : « né entre deux montages ». Il associe la région natale de Bayard avec les Allobroges, une autre manière de célébrer ses vertus guerrières. On doit à cet auteur une description esthétisante du Grésivaudan, vanté comme le lieu où l’on forge les épées5.

Le « chevalier des montagnes » s’est aussi illustré lors du passage des Alpes par les troupes de François 1er en 15156. Dans ces combats italiens Bayard fut opposé aux Suisses ? Champier présente là deux images opposées des montagnards représentés par l’ours pour les Suisses et terrassés par le moi, de François 1er au soir de Marignan7.

Si Bayard nous était conté

Olivier Renaudeau est parti À la recherche des armures de Bayard. Il rappelle le sort de vieilles armes et les collections qui au fil du temps ont porté témoignage. Trois armures sont, au XIXe siècle, attribuées à Bayard, une à Londres et deux à Paris. Elles sont l’objet de cette étude et ont inspiré nombre d’œuvres picturales.

Jean-Bernard de Vaivre s’intéresse aux tapisseries de Bayard. Au XIXe siècle le médiéviste Achille Jubinal a décrit une tapisserie qui aurait échappée à la destruction d’une partie du château de Pontcharra à la Révolution. On dispose grâce à lui et à Fleury Richard qui l’avait acquis des croquis très précis. C’est sans doute une partie d’une grande tapisserie commandée par Charles VIII pour son château d’Amboise qui a pour thème : l’histoire du siège et de la chute de Troie, sortie des ateliers de Tournai. Cette tapisserie dont l’histoire est difficile a reconstituée est aujourd’hui au Victoria and Albert Muséum de Londres.

Les carnets de Fleury Richard permettent aussi de présenter le château de Bayard, remanié au XIXe siècle, en partie ruiné au XXe siècle8.

Bayard et l’Angleterre. Les échos de la chevalerie, XVIe-XXe siècles – David Potter montre que la réputation du chevalier est ancienne, dès les années 1520. Il la met en relation avec une forme de culte de la chevalerie pour la défense de Dieu et de la Chrétienté très présente en Angleterre autour de 1500. Cet idéal est incarné outre-manche par l’ordre de la Jarretière.

C’est en 1513 que Bayard a été directement confronté aux archers anglais9, événement dont on conserve outre le récit dans les biographies du chevalier, de nombreuses représentations iconographiques étudiées dans ce chapitre.

L’auteur développe le portrait de Sir Philip Sidney, un concurrent qui supplante Bayard comme modèle de la chevalerie anglaise. Les deux hommes ont vu leur popularité réaffirmée sous le règne d’Elizabeth 1ère. C’est surtout au XIXe siècle qu’ils sont présenté comme un « contrepoison » de la révolution industrielle et que le romantisme les met à l’honneur.

Un Bayard romantique ? Le Chevalier en Allemagne au XVIIIe siècle – C’est la question que pose Martin Wrede qui présente une galerie de portraits de Bayards prussiens, allemands, autrichiens dont le Comte de Niepperg. Il définit la société nobiliaire allemande et montre son goût pour l’histoire médiévale, inscrit dans les ordres de chevalerie : Toison d’or autrichienne, ordre de St Hubert dans le palatinat ou de St Georges en Bavière. Cet engouement est repris par la jeunesse prussienne avec l’ordre de Bayard de Frédéric II. La figure de Bayard était familière à l’aristocratie germanique durant tout le XIXe siècle et présente dans de nombreuses publications lues par les officiers prussiens : un guerrier exemplaire.

Elsa Kammerer revient longuement sur une œuvre déjà cité au chapitre précédent Autour du Bayard de Heinrich Wolfgang Behrisch (1777) ce qu’elle nomme La décennie allemande du chevalier français.

Dans les années 1770-1780 de nombreux textes en l’honneur de Bayard sont publiés en Allemagne. Il est devenu un modèle pour la noblesse. L’auteure le compare à la figure du Ritter, le « chevalier-brigand » mis en avant par Goethe. Elle analyse les textes et morceaux choisis qui rendent célèbre le chevalier français jusqu’au XIXe siècle dont certains sont reproduits en français et en allemand (p. 295-302).

Éric Montat et David Nicolas sont Sur les traces de Bayard à Mézières. D’hier à aujourd’hui. Après un rappel de l’histoire de la ville, les auteurs suivent Paul Laurent, un historien local du début du XXe siècle sur le traces de Bayard : lieux, enseignes commerciales mais surtout traces artistiques. L’étude porte sur divers objets ou représentations : la coupe dite de Bayard détruite pendant la Première Guerre10, un portrait de Laurent Levesque peint en 1626 qui a inspiré celui de Jean-Baptiste Couvelet en 1819, une gravure de la mort de Bayard conservée au musée de l’Ardenne et la statue de Croisy (1893). Cet article est un inventaire précis des traces et de leur histoire. Elles constituent un patrimoine méconnu.

Nicolas Lecervoisier étudie la figure de Bayard éducateur du peuple : « Français sans peur, chrétien sans reproche ». Il montre comment après 1870 le personnage est l’objet d’une récupération tant dans l’école laïque comme modèle moral et surtout par les tenants d’une école confessionnelle. C’est ainsi qu’il est célébré du XIX e siècle à nos jours au sein du Collège Stanislas à Paris. L’auteur décrit cette association entre le collège fondé en 1804 et la figure de Bayard. L’abbé Lagarde en fit, au lendemain de Sedan, l’image du patriote chrétien présent sur le blason de l’école11. Présent aussi par des statues la figure du chevalier a influencé les élèves (Guyemer, Henri Bordeaux). En 2015 un concours statuaire fut lancé pour un nouvel hommage.

Hervé Drévillon, dans sa conclusion D’un Bayard à l’autre fait un point sur l’homme du XVIe siècle naissant, sa légende, sa renommée européenne et les traces très actuelles du chevalier « sans peur et sans reproche ».

En annexe

Laurent Vissière présente une édition des sources sur le siège de Mézières : Mémoires et chansons du siège du Mézières (1521).

Un très beau livre par ses illustrations d’une grande qualité que le lecteur pourra parcourir ou dans lequel il pourra piocher selon des envies.

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1C’est ainsi que le nomme Champier

2Reproduites p. 106 à 113

3Jamais réalisé daté de 1787 la commande est oubliée pendant la Révolution

4Il semble que cette tenue ait été choisie après la mort de Jean de Médicis pour lui rendre hommage

5Le fer était extrait à Allevard et transformé par les Chartreux comme on peut le découvrir à Pinsot sur le sentier du fer

6Des chevaliers dans la montagne, Stéphane Gal (dir.), Université Grenoble Alpes éditions, 2021

7Pages 211 et 213 ; deux illustrations très parlantes

8On peut aujourd’hui visiter sur les hauteurs de Pontcharra sur Bréda : https://musee-chateau.fr/chateau-bayard/ et https://www.chevalier-bayard.com/chateau-chevalier-bayard.html

9Lors de la journée des éperons, surnom de la deuxième bataille de Guinegatte, près de St Omer

10Datée de 1626 il n’en reste d’un dessin et une reproduction

11Encore aujourd’hui comme sur celui de son pendant québécois à Montréal