Cette Histoire du monde au XIXe siècle a mobilisé plusieurs dizaines d’auteurs autour de ses deux maîtres d’œuvre, Pierre Singaravélou et Sylvain Venayre. Elle comprend quatre parties. Dans une première, « L’expérience du monde », grâce à des chapitres portant sur des thèmes attendus (« Transports et communications », « Migration, intégration, ségrégation globale », « L’industrialisation » …) ou plus originaux (« Science et mondialisation au XIXe siècle », « Le règne de l’imprimé »), le lecteur découvre, dans l’ordre qu’il souhaite, les différents aspects qui font l’originalité de ce siècle, en moins de quinze pages, ce qui a induit de la part de chaque auteur, spécialiste du sujet qu’il traite, un sérieux effort de synthèse.
Dans une deuxième partie, « Les temps du monde », le XIXe siècle est abordé à travers une série d’événements et de dates, de l’indépendance d’Haïti (« Haïti, an I » par Bernard Gainot) à la révolution chinoise de 1911 (Hugues Tertrais). L’entreprise n’est pas sans rappeler celle menée dans la récente Histoire mondiale de la FranceBOUCHERON Patrick (dir.), Histoire mondiale de la France, Paris, Seuil, 2017, 800 pages..
Dans la troisième partie, « Le magasin du monde », le XIXe siècle est appréhendé à travers 23 objets ou produits comme le barbelé (Olivier Razac), le charbon (François Jarrige) ou le fusil (Johan Chapoutot). Une introduction, rédigée par François-Xavier Fauvelle et intitulée « Made in the nineteenth century », met en perspective le sujet et une contribution originale fait écho à un champ historiographique en plein essor et à une actualité relativement brûlante : « L’animal n’est pas un objet » (Damien Balmin). Trois critères ont présidé au choix des entrées de cette partie, comme l’expliquent Pierre Singaravélou et Sylvain Venayre dans leur introduction : les objets ou produits retenus devaient « être caractéristiques du XIXe siècle, soit dans leur forme, leur interprétation ou les usages qu’en faisaient les contemporains ; être susceptibles d’appropriations dans une grande partie du monde, avec quelques exceptions régionales ; circuler et s’exposer enfin. » (p. 18). Un cahier d’illustrations vient heureusement accompagner la présentation de chaque objet ou produit. La liste aurait naturellement pu être beaucoup plus longue. Les deux maîtres d’œuvre de l’ouvrage citent du reste les « refusés » les plus notables : « La momie et le parapluie, le cigare et le piano, la médaille et le timbre, le stéréoscope et la bicyclette, le gramophone et l’album, le menu gastronomique et le drapeau, la lanterne magique, le téléphone, l’harmonium, le vaccin, le jeans, l’allumette et l’ampoule. » (p. 19)
Une quatrième et dernière partie est consacrée à une approche géographique du monde au XIXe siècle. Dix aires culturelles ont été retenues pour « échapper à l’européocentrisme » (p. 19), leitmotiv, par ailleurs, de tout l’ouvrage : l’Asie orientale (Kenneth Pomeranz), le « monde malais » (Romain Bertrand), les « mondes du Pacifique » (Isabelle Merle) … On est loin du découpage du monde en aires de civilisation sur des bases uniquement religieuses, à la Huntington, qu’on retrouve dans beaucoup de manuels scolaires, et c’est heureux.
Un mouvement d’historiens ?
Naturellement, cette Histoire du monde au XIXe siècle, par son titre, son format et son éditeur, et en partie par son prix, entre en résonance avec une Histoire du monde au XVe siècle qui a fait dateBOUCHERON Patrick (dir.), Histoire du monde au XVe siècle, Paris, Fayard, 2009, 896 pages. et dont elle est en quelque sorte la petite sœur. Elle partage aussi avec l’Histoire mondiale de la France parue en début d’année une communauté d’esprit : il s’agit de « provincialiser » l’EuropeCHAKRABARTY Dipesh, Provincialiser l’Europe. La pensée postcoloniale et la différence historique, Paris, Editions Amsterdam, 2009, 381 pages. Les références, implicites ou explicites, à ce livre, qui a fait date, sont fréquentes dans l’Histoire du monde au XIXe siècle., de relativiser sa place dans l’histoire du monde sans lui en enlever toute singularité, de pratiquer ce qu’on pourrait appeler une relativisme modéré, autrement dit de mettre en abîme le relativisme en évitant l’écueil de la déconstruction systématique. Du reste, Pierre Singaravélou a été l’un des coordinateurs de l’Histoire mondiale de France et Sylvain Veynayre, ainsi que d’autres auteurs de l’Histoire du monde au XIXe siècle, y ont contribué. Patrick Boucheron, par exemple, traite de l’éruption du Krakatoa (1883).
Le chapitre et la carte sur les migrations, envisagées à l’échelle globale, traitent ainsi aussi bien de l’Atlantique que du Pacifique et de l’Océan indien, de l’Asie que de l’Europe, de l’émigration des Européens que de celle des Chinois ou des Indiens. Dans sa contribution sur l’industrialisation, François Jarrige entend montrer comment le modèle diffusionniste, qui mettait en scène une industrialisation progressive du monde à partir de l’Angleterre et de l’Europe du Nord-Ouest, a été remplacé par la découverte du « caractère protéiforme et polycentré » du développement de l’industrie à l’échelle du monde : « Le cadre national a cessé d’être considéré comme le plus adapté, et l’expérience européenne n’est plus pensée comme unique et exceptionnelle, mais se voit mise en regard d’autres trajectoires. Comme la plupart des autres réalisations européennes, la « révolution industrielle » a été provincialisée, c’est-à-dire réinscrite dans un caractère plus global. » (p. 96) L’origine de l’usine, par exemple, peut être repérée non pas en Europe mais du côté des plantations de cannes à sucre : « Les historiens des plantations sucrières ont ainsi noté que les premiers prototypes d’usine, c’est-à-dire d’espace productif clos où des ouvriers travaillent en grand nombre de façon intense et coordonnée, étaient sans doute à rechercher davantage dans les usines sucrières d’Amérique latine et des Antilles, où le sucre était préparé pour l’envoi en Europe. » (p. 99)
Cette Histoire du monde au XIXe siècle s’inscrit donc dans un courant historiographique ou plutôt dans un mouvement informel d’historiens soucieux, d’une part, de s’adresser à un grand public intéressé par l’histoire et, d’autre part, de ne pas laisser tout l’espace médiatico-éditorial à ceux qui font profession d’une vision plus identitaire de l’histoire de la France, de l’Europe et du monde.
Par ailleurs, cette Histoire du monde au XIXe siècle participe du développement en France de l’histoire globale ou mondiale et elle est présentée comme telle par ses directeurs : « En réunissant des historiens très majoritairement français, il s’agit aussi de faire entendre une autre voix que celle d’une World History massivement anglophone et très largement ignorante de l’historiographie française. Pas de nationalisme pervers ici, qui ferait semblant de congédier la France pour mieux la réintroduire sous la forme du Monde : ce qui est en jeu, c’est la possibilité de faire connaître des travaux qui n’ont pas été pensés en anglais. La francophonie, dans sa meilleure acception, est aussi un effort pour faire reconnaître la diversité. » (p. 14) Cela n’empêche pas les auteurs de citer de très nombreux travaux anglophones dans les bibliographies qui clôturent les chapitres du livre. S’agissant du XIXe siècle, l’histoire du monde se confond en grande partie avec celle de la mondialisation. Cette question, qui court dans tout l’ouvrage, n’apparaît pourtant explicitement que dans un seul titre, celui de la contribution de Sadiah Qureschi : « Science et mondialisation au XIXe siècle. » Elle occupe une large place, cependant, dans de nombreux chapitres, notamment celui de David Todd sur « Les échanges de marchandises et de capitaux » et elle est évoquée dès l’introduction.
Quelques limites
Comme toute entreprise de cette nature, cette Histoire du monde au XIXe siècle présente naturellement des limites. On déplorera, en particulier, l’absence de notes qui n’est que très partiellement compensée par les bibliographies de fin de chapitre. Par ailleurs, après avoir lu l’épilogue de Christophe Charle (« Le long XIXe siècle », p. 677-687), on peut aussi regretter que le plan adopté ne mette pas suffisamment en évidence les dynamiques à l’œuvre entre 1800 et 1914, en particulier l’opposition entre un premier et un second XIXe siècles : « A mesure qu’on avance dans le siècle, discordances et décalages interagissent de plus en plus dans une réaction en chaîne comme dans le bouquet final du champignon nucléaire de la bombe atomique. C’est pourquoi au lieu de parler du « monde au XIXe siècle » il vaudrait mieux parler des mondes des deux XIXe siècles, le basculement se produisant pour la majorité des espaces dans la décennie 1860 : tous les traits que la vulgate historiographique simplifiée attribue au XIXe siècle s’y mettent alors en place et s’imposent non seulement dans « l’autre Europe » mais dans les autres parties du monde qu’elle influence de plus en plus. […] Le second XIXe siècle est incontestablement plus global que le premier (machine à vapeur, électricité et télégraphe y contribuent tout comme les expositions internationales où affluent toutes les marchandises de l’univers). » (p. 686)
Une lecture pour tous
Au total, cette Histoire du monde au XIXe siècle présente plusieurs intérêts pour les enseignants du secondaire. Elle donne accès à des synthèses courtes (un dizaine de pages pour les plus longues) et à jour sur un nombre impressionnant de sujets, d’événements, d’objets et de territoires. A ce titre, elle peut naturellement nourrir de nombreux cours mais aussi être lue et utilisée directement par des lycéens, par exemple dans le cadre des TPE, en lieu et place des « ressources » en ligne auxquels nos élèves n’ont que trop tendance à se limiter. Elle peut, enfin, fournir des cartes en noir et blanc, faciles à reproduire, notamment des planisphères sur les migrations, les villes et les transports.
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