La quatrième de couverture présente l’auteur de ce gros volume comme « l’un des meilleurs spécialistes de la Seconde Guerre mondiale » en précisant qu’il a « consacré une centaine d’ouvrages » à cette période. Disons le d’emblée : ce 101e n’était pas nécessaire. Contrairement à un titre pourtant très explicite et sans aucune ambiguïté, il ne s’agit pas d’une histoire générale de la Résistance française, mais d’une addition plus ou moins cohérente de divers extraits d’ouvrages du même auteur, traitant effectivement de la Résistance, et surtout des événements de la Libération, de manière anecdotique.
Un ouvrage qui ne tient aucun compte de l’historiographie récente de la Résistance
Depuis une trentaine d’année l’histoire de la Résistance a été profondément renouvelée dans ses approches et dans ses thèmes. Des dizaines de thèses, souvent éditées quelques temps après leur soutenance dans une collection les rendant accessibles à un public élargi, des dizaines d’ouvrages scientifiques écrits par des universitaires et autres spécialistes ont été publiés depuis qu’a été pris un tournant historiographique et ont conduit à une approche historisée de la Résistance. Les champs de la recherche ont été nombreux : les mouvements de résistance, les réseaux de résistance, le parti communiste, des biographies, des monographies régionales, des études souvent collectives sur les étrangers dans la Résistance, les femmes dans la Résistance, les Juifs dans la Résistance, la mémoire etc.
Il n’existe pas de synthèse globale de l’histoire de la Résistance en France. On peut par contre considérer l’ouvrage de J.-L. Crémieux-Brilhac, La France libre : de l’Appel du 18 juin à la Libération, comme l’ouvrage de référence sur le sujet. On doit se reporter à des ouvrages de synthèse qui portent sur l’Occupation. L’ouvrage de J.-P Azéma, De Munich à la Libération, paru dans la collection Point Histoire au Seuil en 1979 a été le livre de référence pendant 20 ans. A l’époque de sa parution il traduisait le cours nouveau d’une recherche en plein renouvellement ; il a été plusieurs fois réédité en intégrant les acquis de la recherche. La synthèse la plus solide et la plus récente, qui vient aujourd’hui non pas remplacer mais compléter le livre de J.-P. Azéma est l’ouvrage de Julian Jackson, La France sous l’Occupation. Les 160 pages qui constituent la quatrième partie sont actuellement la synthèse la plus claire qu’on puisse consulter. Un ouvrage très accessible doit être également signalé, bien qu’il ne s’agisse pas d’une synthèse mais plutôt d’une chronique très richement illustrée et écrite à la lueur des acquis de l’historiographie récente est celui publié chez Larousse en 2003 sous la direction de Robert Belot, avec la collaboration d’Eric Alary (auteur d’une thèse sur la ligne de démarcation) et Bénédicte Vergez-Chaignon (auteur d’une thèse sur le docteur Ménétrel et plus récemment d’une étude sur les vichysto-résistants) : Les Résistants : histoire de ceux qui refusèrent.
Au début des années 1990 un groupe d’historiens a souhaité revenir sur l’histoire de la Résistance, chantier un peu délaissé, et organiser sur ce thème un cycle de six colloques. Organisés par plusieurs universités et centres de recherches, ce projet a été conçu d’emblée comme une entreprise originale par son ampleur (150 chercheurs français et étrangers, six colloques étalés sur près de quatre ans), par sa volonté comparative, par son caractère décentralisé. Six colloques thématiques se sont tenus de 1993 à 1997 et ont donné lieu à d’importantes publications. Ces colloques ont marqué et traduit un indéniable effort de conceptualisation de l’histoire de la Résistance en même temps que de diversification des approches, par le recours à l’anthropologie et la sociologie notamment. Le Dictionnaire historique de la Résistance publié en 2006 chez Robert Laffont dans la collection « Bouquins » est l’aboutissement des six colloques dont il constitue le véritable bilan, il est aussi l’ouvrage le plus complet qu’on puisse aujourd’hui consulter et qui expose tous les acquis et toutes les problématiques de l’historiographie récente.
De vastes et profondes lacunes
Cette Histoire générale de la Résistance française ignore cette historiographie. Elle ne propose aucun développement sur le concept de « Résistance » et sur celui de « Résistance civile » ; elle ne traite pas des modalités et des motivations de l’engagement, des débuts de la Résistance intérieure et de la structuration des premiers groupes. Les premiers contacts du BCRA avec les premiers groupes constitués à l’intérieur ne sont pas évoqués solidement. Il est bien sûr question de Jean Moulin mais les orientations et les débats au sein des bureaux londoniens et au sein des états-majors des mouvements à propos de l’unification et de la création du CNR ne sont pas traités. La présentation de la France libre, très conventionnelle, ne tient pas compte des travaux les plus récents de F. Murraciole (cité pour un ouvrage plus ancien) et de S. Albertelli. Les débats sur les stratégies opposées (insurrection nationale ou participation militaire dans le cadre des plans des états-majors alliés) dans les semaines qui suivent et accompagnent la libération ne sont pas abordés. Faire la liste de ce qu’il serait nécessaire de trouver dans un ouvrage qui porte le titre d’ « Histoire générale de la Résistance française » serait beaucoup trop long.
Une compilation peu cohérente et anecdotique
Trois parties composent l’ouvrage : la Résistance intérieure de 1940 à 1944, la Résistance extérieure de 1940 à 1942 et la Libération de 1942 à 1945. A l’intérieur de ces trois parties, on trouve une suite de paragraphes plus ou moins longs et plutôt incohérente, en l’absence de toute idée directrice qui soutienne une démonstration. Chacune de ces trois parties se termine par un paragraphe intitulé : « 10 grandes figures de » : de la Résistance intérieure, de la France libre, de la Libération. On admettra que le choix en soit subjectif, mais on aurait aimé trouver des présentations biographiques moins plates et davantage ancrées dans le sujet.
La première partie est développée en 130 pages, soit moins du quart de l’ensemble. Mais sur ces 130 pages, 30 sont consacrées à « l’affaire Grandclément », qui a fait l’objet d’un précédent ouvrage du même auteur et 10 à Georges Guingouin. La seconde partie est traitée elle aussi en 130 pages, dans une approche militaire et événementielle : plus de 20 pages sur les premier combats des forces aériennes françaises libres, presque autant sur les forces navales françaises libres, 40 pages sur la colonne Leclerc et la bataille de Bir Hakeim. Rien sur les structures politiques et administratives de la France libre à Londres, rien sur les difficiles rapports avec les Britanniques et les Américains, rien ou presque sur les relations entre Giraud et De Gaulle, puis l’évolution politique qui conduit à la formation d’un gouvernement provisoire.
La troisième partie est donc longue de 340 pages, soit plus de la moitié de l’ouvrage. Elle comprend 50 paragraphes, tous mis sur le même plan alors que plusieurs traitent du même sujet. Il s’agit en fait de récits anecdotiques d’événements militaires de la libération, qui eux-mêmes ne tiennent pas la promesse de leur titre : ainsi la libération de la Corse n’en présente pas les enjeux politiques et, par exemple, la libération de la Bourgogne est réduite à quelques combats en Côte-d’Or. Mais c’est visiblement la réduction des poches de l’Atlantique qui passionne l’auteur qui reprend ici très largement le contenu d’ouvrages qu’il a précédemment publiés, consacrant 140 pages à ce sujet, dont 75 pages à la poche allemande du Médoc !
Des présentations et formulations contestables
Les sources citées sont très vagues : à quoi sert-il de mentionner « Archives militaires françaises, Vincennes », « Archives militaires britanniques, Londres », « Archives de la Fondation de la France libre, Paris » etc., si les cotes précises ne sont pas données ? Sur les quelques ouvrages cités, cinq seulement ont été publiés depuis 2000.
Sur le fond, les affirmations ou présentations discutables ne manquent pas. Quelques exemples seulement : dès la quatrième ligne le chiffre de 92 000 soldats français tués pendant la campagne de 1940 n’est pas discuté alors que les études les plus récentes l’ont revu à la baisse ; dans la présentation qui est faite d’Henri Fresnay, il n’est pas fait mention de son adhésion initiale aux thèses de la Révolution nationale, dans celle de Pierre Brossolette, il n’est pas fait mention de sa violente opposition à Jean Moulin à propos de l’intégration des partis politiques dans le Conseil national de la résistance à créer, dans celle de Georges Guingouin, rien n’est dit de la lutte menée contre lui par l’appareil du parti communiste, ce qui est assez stupéfiant. Affirmer que « dès l’automne de 1940, la zone nord voit la multiplication des mouvements de résistance », c’est faire l’économie d’une définition du mouvement (qui se structure plus tard), du réseau et du groupe plus ou moins informel qu’on trouve toujours au départ d’une action résistante. Ce sont ces groupes qui se multiplient et qui donneront naissance aux mouvements ou seront intégrés dans des réseaux. On pourrait aussi se demander ce qui justifie le qualificatif d’ « odieuse agression » à propos de l’attaque de la flotte française par la marine britannique à Mers el-Kébir le 3 juillet 1940, alors que l’intransigeance française en est largement responsable et que le général de Gaulle l’approuvait publiquement dès le 8 juillet en déclarant : « Le gouvernement qui fut à Bordeaux avait consenti à livrer nos navires à la discrétion de l’ennemi. Par principe et par nécessité, l’ennemi les aurait un jour employés, soit contre l’Angleterre, soit contre notre Empire. Eh bien je dis sans ambages qu’il vaut mieux qu’ils aient été détruits ».
En l’attente d’une véritable synthèse historique sur la Résistance française, on continuera d’utiliser les ouvrages cités dans le premier paragraphe de ce compte rendu.
Joël Drogland, pour Les Clionautes®