En ce qui concerne ce 5ème volume, aucune indication ne précise la date de publication de sa première version. Cependant, sur 19 pages de bibliographie, seuls 2 titres sont postérieurs à 1985 et la préface est signée par M. M’Bow, directeur général de l’UNESCO de 1974 à 1987. On peut donc supposer que la première mouture date de la 2ème moitié des années 1980. Il s’agit d’un ouvrage collectif rédigé par une trentaine d’universitaires, en majorité africains. Trois de ces chercheurs exercent en France : Elikia M’Bokolo, spécialiste renommé de l’Afrique Noire à l’EHESS et l’IEP Paris, JP. Chrétien, de Paris I, et M. Izard, du CNRS.
Le découpage du plan fait apparaitre deux segments d’inégale dimension : six chapitres proposent une vision synthétique des phénomènes démographiques, économiques, politiques et sociaux de l’évolution du continent durant la période, en accordant une place centrale à la traite des esclaves. C’est en effet la période où, sous l’impulsion pionnière des portugais (pays européen le plus actif en Afrique durant les siècles concernés), le commerce triangulaire se met en place et s’épanouit. L’ampleur de ses conséquences démographiques est soulignée : on évalue à 22 millions le nombre d’individus ainsi déportés entre 1500 et 1890, 15 millions par la traite transatlantique et le restant via le Sahara, la mer Rouge et l’Océan Indien. Cependant ceux-ci sont peu évoqués : est-ce lacune des sources, ou parce que s’intégrant à des circuits économiques et des édifices sociaux « traditionnels » qui n’en tirent aucun bénéfice apparent en termes de décollage économique ? Or, si le fait que la traite est le facteur-clé du sous-développement et de la dépendance d’une large portion de l’Afrique sub-saharienne, s’étiolant dans une économie de pillage polarisée par les comptoirs occidentaux, est souligné avec force, cet argument est-il également pertinent pour l’Afrique méditerranéenne ? La traite est en outre présentée comme un moteur primordial de la mutation capitaliste qui assure la suprématie européenne, interprétation trop exclusive pour ne pas être sujette à caution. Il y aurait donc un lien direct à établir entre l’exploitation de la main d’oeuvre servile qui en est issue et l’expansion économique atlantique et par contrecoup la Révolution Industrielle : débat historiographique stimulant à approfondir. Un intéressant chapitre consacré à la diaspora africaine sur les autres continents recense présences pionnières (les participants Noirs à l’expédition de Pizarro au Pérou), réussites individuelles (le mathématicien et astronome afro-américain Bannecker, l’esclave éthiopien Ambar devenu en Inde roi du Dekkan) et affirmations identitaires (marronnage ou indépendance haïtienne, même si celle-ci est un peu trop réduite au raccourci abrupt et factuellement inexact d’une victoire de Toussaint Louverture sur les troupes de Napoléon !).
Les vingt-trois autres chapitres présentent en allant du Nord vers le Sud des monographies régionales de facture assez conventionnelle, qui conjuguent le développement de la trame événementielle de la période avec une présentation des évolutions économiques et sociales et des idéologies du pouvoir de chacun des sous-ensembles étudiés; une attention non négligeable est accordée aux flux commerciaux et religieux (diffusion du christianisme et de l’Islam) et le cas échéant à l’expression artistique. Malgré un canevas assez répétitif, cette série monographique rend le précieux service de faire le point sur des peuples et des civilisations généralement mal connus, en particulier pour ce qui concerne l’Afrique Noire. On y découvre la place tenue par le maraboutisme dans l’Islam noir, le lucratif rôle d’intermédiaires du mercantilisme européen joué par les peuples compradores de la côte de Guinée et les royaumes prédateurs des chasseurs d’esclaves de l’intérieur, le système de colonisation foncière para-féodale des prazos portugais, etc… On observe l’intégration dans l’économie mondiale d’une civilisation de l’âge de fer irriguée par les réseaux du colportage, qui diffusent aussi de nouvelles cultures vivrières d’origine américaine dès le XVIème siècle. Mais l’apport historiographique majeur de ce panorama régional est sans nul doute de faire définitivement justice de l’imagerie d’une Afrique Noire restée dans l’enfance politico-tribale jusqu’à la colonisation. En effet, nombreux sont les états qui ont su affirmer une suprématie territoriale sous des formes politiques originales et souvent complexes, même si le caractère conquérant de leur édification les a souvent précarisés; certains surent même à l’occasion tailler des croupières aux européens. Ils furent les matrices de la plupart des peuples actuels et de certains antagonismes contemporains (région des Grands Lacs).
La conception et la vision d’ensemble de l’ouvrage souffrent d’une certaine confusion (on se perd un peu dans la multitude des peuplades, clans et ethnies évoqués), voire d’une contradiction informulée (n’y aurait-il pas en fait deux Afriques ?), mais c’est sans doute inhérent au présupposé unitaire de tout projet d’histoire continentale, parfois bien en peine de transposer l’unité géographique en une aléatoire communauté de destin historique (l’Asie et l’Europe sont-elles mieux loties ?). Est-ce pour cela que la problématique complexe des relations Nord-Sud entre l’Afrique du Nord arabo-musulmane et l’Afrique Noire donne l’impression d’être pour partie éludée ? Il est significatif que la conclusion, modèle de réflexion problématisée et de clarté, oublie pratiquement la première dans son effort de synthèse. Mais ces regrets assez bénins ne remettent pas en cause l’intérêt de ce volume, qui doit être considéré comme un riche et solide ouvrage de référence.
Guillaume Lévêque © Clionautes.