Dès sa prise de pouvoir, Louis XIV cible les protestants et organise leur invisibilité par le biais de la loi et de son interprétation par les juges.

Dès l’Introduction, Jack ThomasJack Thomas, né aux Etats Unis, après des études d’histoire et de français à Hamilton College de New York (1968/72), a fait des études doctorales à l’Université de Michigan à Ann Arbor (1973/76) pour être nommé Teaching Assistant (1974/76). Il s’installe alors comme Boursier du gouvernement français, à Toulouse en 1977, où il est assistant associé en Histoire à l’Université de Toulouse-Le Mirail (1977/85), puis assistant titulaire (1985/90). Il présente sa thèse d’Histoire en 1989 : L’Age d’or des foires et des marchés. Commerce, politique et sociabilité dans le Midi toulousain, vers 1750-vers 1914 (Direction Rolande Trempé), puis son HDR en 1999 : De la place du marché au tribunal : recherches sur les institutions et la société en pays toulousain, XVIIe – XIXe siècles. Maître de conférences à l’UTM (1989/99), puis Professeur des universités. Il est actuellement professeur émérite d’Histoire et membre du laboratoire FRAMESPA, président des Amis des Archives de la Haute-Garonne et vice-président de la Fédération historique de la région Occitanie. précise que « L’image du réformé comme un séditieux, un proto-républicain, resta ancrée longtemps dans les mentalités.

De 1685 à 1787, l’État français organisa l’invisibilité des protestants, mais cette invisibilité fut mise à mal par leur existence même, leur résistance, leur émergence graduelle comme sujets du roi à partir des années 1750-1760 et, paradoxalement, grâce à l’aide du droit qui était censé les effacer ».

« Être protestant en France après 1650-1660 (…) C’est être privé de sa pratique religieuse (…) C’est craindre que l’état de son conjoint soit contesté après sa mort et ses enfants déclarés illégitimes, bâtards (…) courir le risque de voir ses enfants enlevés et enfermés dans un établissement catholique (…) C’est, à certains moments, être accusé d’assassiner son enfant pour l’empêcher de devenir catholique, comme lors des affaires Calas et Sirven. »

« Être un ministre du saint Évangile chez les protestants, c’est être un homme qui vit dans la clandestinité et dont la tête est mise à prix ; l’arrestation est le plus souvent synonyme d’une condamnation à mort par pendaison ».

La révocation de l’édit de Nantes (1685) parachève ce processus. Plus de culte public, les derniers temples sont détruits, les pasteurs pourchassés, l’état-civil protestant, dont le mariage, doit disparaître, remplacé par les cérémonies catholiques. Malgré tout, pendant le siècle qui mène à la Révolution, les protestants pratiquent une forme de désobéissance civile qui leur vaut peines de galères, d’enfermement, d’amendes collectives et, parfois, d’exécutions.

« Les protestants du Languedoc et de ses alentours, très nombreux, ont eu maille à partir avec la justice du roi depuis le règne de Louis XIV jusqu’à la Révolution. Cette relation avec la justice est asymétrique car les huguenots doivent se défendre contre des attaques qui utilisent la justice royale comme une arme politique et religieuse. »

Pour cette étude, l’auteur a eu recours aux très nombreuses Archives du Parlement de Toulouse, celles de l’intendant du Languedoc à Montpellier principal agent de répression, aux très nombreux mémoires d’avocats (factums). Paradoxalement, c’est cette répression judiciaire qui a le plus contribué « à les replacer au cœur du royaume comme des sujets susceptibles, à nouveau, d’avoir des droits. »

Les plus de 200 arrêts entre 1656/1715 les attaquent sur leur visibilité et leurs manifestations sonores (clochers et cantiques) sont l’objet du premier chapitre.

Le deuxième chapitre examine les écrits de leurs avocats. L’avocat protestant parisien Pierre Loride Desgallesnières est le plus prolixe des défenseurs devant le Conseil du roi. Les affaires toulousaines ont lieu dans les années 1682-1685. Une des affaires les plus dramatiques est celle d’une jeune protestante, Isabeau Paulet, accusée de relaps.

A partir de 1685, les principaux actes de la vie individuelle et familiale (baptêmes, mariages et sépultures) ne peuvent être célébrés, selon la loi, que par des prêtres catholiques. Après 1740, le nombre de mariages célébrés au Désert augmente alors fortement. Par exemple en 1742, le cas des marieurs de Sainte-Catherine. Deux frères, dont l’un curé, montent une filière de bénédictions de noces en faveur de protestants de la région de Montauban et Nègrepelisse. Ils recrutent un marginal pour joueur le rôle du faux curé d’une fausse paroisse. Lors d’une nuit, la présence d’une quarantaine couples provoque l’entrée brutale des villageois et l’arrestation du faux curé. L’affaire se retrouve jusque dans les archives du ministre Saint-Florentin, chargé des affaires protestantes. La question de la répression des mariages réformés par les intendants Le Nain et Saint-Priest constitue donc l’objet du troisième chapitre.

À partir de 1760, des avocats, des juristes et des intellectuels s’engagent à leur côté et transforment un droit d’oppression en droit de reconnaissance. Comme dans le cas de François Rochette, jeune pasteur de Caussade dont l’arrestation provoque une tentative de soutien, durement réprimée. Leur combat en faveur des familles Calas et Sirven, et pour la reconnaissance des mariages protestants marque l’histoire de France. Les trois affaires par leur retentissement au-delà du royaume, sont des moments clés du passage de la question protestante à l’espace public. Parmi les défenseurs des Sirven, Pierre Jalabert, est pourtant un avocat catholique. Avec ses 3 avocats, Voltaire mène de grandes batailles contre le fanatisme et pour la tolérance. L’absence d’un aveu de Jean Calas, les arguments de leurs avocats ont pu prendre alors une autre dimension aux yeux des juges. La question des mariages protestants et de leurs conséquences juridiques joue également un rôle essentiel. Le mouvement philosophique met en avant le droit naturel, notamment de se marier et de créer une famille comme antérieur aux lois religieuses et politiques. C’est le cœur de l’ouvrage puisqu’il représente les chapitres 4 à 7.

Après 1760, avec globalement la même législation antiprotestante qui existait depuis la révocation de l’édit de Nantes, le droit n’a plus été interprété de la même manière et une nouvelle jurisprudence civile s’est imposée. Les écritures s’auto-influencent. Des non-juristes commencent à lire cette littérature juridique, qui elle intègre des techniques empruntées au roman. Cette vision plus positive ne doit pas faire oublier les grandes souffrances des protestants français depuis Louis XIV (galères, Tour de Constance à Aigues-Mortes, assassinats, exils). Elle précède et annonce le célèbre édit de Tolérance de novembre 1787 sous le règne de Louis XVI. Cette nouvelle loi n’apporte pas une véritable liberté religieuse en France : ce sera le fruit des Lumières lors de la Révolution. Tel est le thème de ce 8e et dernier chapitre.

Jack Thomas analyse cette histoire vue du Languedoc et du ressort du parlement de Toulouse, où vivaient de nombreux protestants. Il esquisse une riche galerie de portraits d’hommes et de femmes pris dans l’étau d’une justice longtemps partiale et de leurs défenseurs qui dénoncent son intolérance. Une analyse qu’il mène jusqu’aux prémices de l’égalitarisme de la révolution française.