« Celui qui ignore l’histoire est pareil à qui monte une bête aveugle, et hésite à trouver son chemin », d’après Suyuti, érudit égyptien du XVe siècle.

Mouna Hachim n’est pas une historienne mais une docteure en littérature comparée, un écrivain passionné d’histoire. Elle commence son livre en reprenant les mots de Fontenelle, « l’histoire est une fable convenue ». Au niveau temporel, l’ouvrage débute à la Préhistoire et se prolonge jusqu’au Protectorat français en 1912 et au niveau géographique, il dépasse largement les frontières artificielles du Maroc actuel mais il parle de toute l’Afrique du Nord en débordant sur le Sahara.

Dans l’introduction, Mouna Hachim présente l’objet de son ouvrage qui est de prendre le contre pied de l’historiographie marocaine officielle baignée de nationalisme et de proposer une relecture dépassionnée de l’histoire, loin de toute instrumentalisation, tout en gardant le souci de la rigueur scientifique. Voici un aperçu des chapitres qui m’ont semblé les plus novateurs.

D’où viennent les Berbères ?

Le terme barbarus, qui englobe tous les peuples situés dans le Barbaricum, terres extérieures au limes, est repris par les Arabes sous la forme Al-Barbar pour désigner les populations autochtones du Maghreb. En Égypte ancienne, sont nommés les Tehenu, les fidèles de la déesse Tanit, ceux qui habitent à l’ouest de la vallée du Nil. Les auteurs grecs et romains divisent les peuples en Numides, Garamantes, Maures, Gétules. Aujourd’hui certains préfèrent utiliser le terme Amazighe,  au pluriel Imazighen qui signifierait « homme libre »ou « marcher d’un pas altier » ou « dresser la tente » suivant les racines linguistiques qui s’y rapprochent. Quel que soit leur nom, d’où viennent les Berbères ? Beaucoup leur accordent une filiation orientale, yéménite, palestinienne ou sémitique (descendant de Cham, fils de Noé). L’auteur se rapproche des historiens africains qui pensent que la berbérité émerge au Maghreb il y a 11 000 ou 12 000 ans, issue des foyers les plus anciens du peuplement d’Afrique centrale. Le Sahara d’avant le désert, n’est pas une barrière entre l’Afrique « noire » et l’Afrique « blanche » mais un lieu de brassage d’un ensemble de populations. La grande civilisation néolithique du Sahara serait liée à celle des protoberbères, apparue vers 7000 ans dans cet espace autrefois humide. Les sources égyptiennes parlent des Temehu vers 2 300 avant notre ère. Certains sont même devenus pharaon en 945 BC, inaugurant le XXIIIe dynastie d’origine libyenne. C’est d’ailleurs cette date qui est choisie comme point de départ du calendrier berbère par les militants amazighes. Les auteurs grecs parlent de ces tribus, grands conducteurs de chars, maîtres d’une civilisation urbaine dans le Fezzan au sud-ouest de la Libye.  Ces chars légers sont figurés sur les gravures rupestres de la Maurétanie aux confins du Tibesti, de l’Atlas à la boucle du Niger. Autres caractéristiques : les armes et les outils de fer et les inscriptions dites libyques, ancêtres du tifinagh qui s’orientera vers une forme scripturaire pour donner les premiers caractères d’écriture. Pour le linguiste et historien congolais Théophile Obenga, l’Afrique a donné naissance à l’humanité mais aussi à l’écriture. Il démontre les racines communes entre l’égyptien ancien, le copte, les langues négro-africaines modernes en classant les langues africaines en trois familles : le négro-égyptien, le khoisan d’Afrique du sud et le berbère. Les signes géométriques se retrouvent sur les tatouages, les poteries et les bijoux. Les Touaregs descendants des Garamandes nomadisaient plusieurs siècles avant l’islam, connus pour leur voile qui ne laissait voir que leurs yeux. Réputés pour leurs activités caravanières, ils monopolisaient le commerce de l’or et des esclaves venant des pays noirs à travers la grande route commerciale du sud. Le mot touareg vient de targa, nom berbère qui signifie canal et par extension jardin au pluriel. Puis se mêlent les Yéménites, les Saâdiens, les Alaouites.

Héritage africain de  la Grèce antique

Mouna Hachim cherche à montrer l’apport des Amazighes dans la construction de la culture grecque. Les Hellènes rattachaient une myriade de dieux d’origine africaine comme Baal-Amon surnommé Saturne l’Africain, associé au culte du bélier attesté dès le néolithique. Cette divinité occupait un rang central dans le panthéon berbéro-carthaginois. Certains héros de la mythologie grecque ont vécu en Afrique. Le géant libyen Antée (fils de Poséidon et de la Terre) serait enterré dans le fameux cromlech de Mzora (près de Larache) après avoir été vaincu par Héraclès qui épouse sa veuve Tingi (Tanger). Cette dernière lui donna un fils, Syrax dont certains rois libyens revendiquaient la descendance. Les anciens plaçaient le jardin des Hespérides, nymphes du couchant et filles d’Atlas, à la limite occidentale du continent africain. On visite aujourd’hui au Maroc, le grotte d’Hercule près de Tanger et les colonnes d’Hercule  détroit de Gibraltar). Enfin selon Hérodote, les Grecs ont emprunté aux Libyennes le vêtement et l’égide des statues d’Athéna.

Les Royaumes antéislamiques

Cette période antique est occultée au Maroc ou très peu évoquée. Les historiens antiques français distinguent la Maurétanie (de mavroï, peau noire) tingitane (Tingi future Tanger), le Maroc actuel et la Maurétanie césarienne (de Caesarea, Césarée, Cherchell en berbère), l’ouest de l’Algérie, puis la Numidie, l’est de l’Algérie et la Tunisie. On connaît également la légende de la fondation de Carthage par la reine Didon sur les côtes de l’actuelle Tunisie. L’existence de peuples différents est largement évoqué par les écrits grecs et romains, des descendants des libyens, les berbères qui forment des royaumes multiples, très peu connus parfois en jouant sur les alliances avec les envahisseurs, comme celui de Jugurtha au IIe siècle BC ou celui de Juba II, envoyé enfant à Rome dans le cortège victorieux de César, après la défaite de son père, dernier roi de Numidie orientale. Son fils, roi de Maurétanie est assassiné par les Romains pour faire de l’Afrique du nord des provinces romaines. Mais les royaumes berbères subsistent dans les territoires peu contrôlés par les dominateurs, ce qui entraîne des révoltes qui ont pour conséquence des destructions de lieu comme Lixus proche de Larache, ancien comptoir phénicien.

De la civilisation libyco-phénicienne

L’auteur parle de civilisation libyco-phénicienne expliquant l’acculturation des Phéniciens (Des sémitiques orientaux du Liban actuel) qui ont fondé Carthage vers -814 et des peuples libyques, ancêtres des Berbères. Il s’agirait d’une hybridation, les Puniques étant nés de la rencontre de deux mondes, l’un autochtone et l’autre oriental. Elle renie une simple transplantation de la civilisation phénicienne sur la terre africaine libyco-berbère. Suivant certains historiens, Mouna Hassim emploie le double adjectif libyco-punique  pour prendre en compte la part des naturels du pays entre les occupations phéniciennes ex-nihilo et les autres déjà habitées. Prenons l’exemple de Mogador (Essaouira) où l’archéologie confirme une présence punique en quête de la précieuse pourpre qui laisse son nom aux îles Purpuraires. Auprès de la langue libyque, ancêtre du berbère actuel, et de la langue grecque considérée comme la langue internationale du commerce s’impose le punique. Certaines cités frappent monnaie comme Lixus et produisent des textes bilingues punico-libyques. L’écriture, dont l’origine serait endogène pour les uns ou phénicienne (comme l’alphabet grec ou araméen) se nomme le Tifinagh, de Tafniqt, la Phénicienne.

Rôle des Berbères dans les guerres puniques

Ce chapitre montre l’importance des Berbères dans ce conflit meurtrier qui a duré plus de 100 ans et fait certainement des milliers de morts. L’attitude des Berbères (dits dans les sources anciennes, Libyens, Numides ou Maures) présents dans toutes les étapes du conflit montre l’importance de leur appui sur le plan politique ou militaire grâce à leur maîtrise de la charrerie de guerre et leur habile cavalerie. Ils sont pris comme mercenaires ou comme alliés. On pourrait même imputer la victoire carthaginoise d’Hannibal à Cannes en -216 au sud de l’Italie à l’appui des 3500 cavaliers numides. Les chefs berbères entrent en scène en faisant alliance avec Rome et portant la guerre en Afrique. La bataille décisive de Zama au sud-est de la Tunisie en -202 donne la victoire aux Romains alliés à Massinissa, chef des Massiles et Baga roi des Maures. La destruction de Carthage en -146 n’est due qu’à cette obsession des Romains exprimée par la formule célèbre de Caton : il faut détruire Carthage !

Africanité et romanité

Cet ouvrage voudrait qu’on parle de l’association libyco-romaine, dans le cadre d’une civilisation commune enrichie des apports des deux cultures. Les premiers accords entre Romains et Berbères sont l’œuvre de Scipion devenu l’Africain qui réussit à saper les forces carthaginoises. Il a déjà été question de la séparation de l’Afrique du Nord en provinces romaines, les deux Maurétanie et la Numidie. Administrée par un procurateur, la Tingitane est rattachée à la Bétique (sud de l’Espagne) en 285 sous Dioclétien approfondissant les liens entre les deux rivages des colonnes d’Hercule. Plusieurs villes romaines font place aux comptoirs puniques ou aux villes berbères, un syncrétisme que Rome fait facilement. Rome a réussi à installer sa pérennité par sa politique d’intégration des élites locales. La Table de Banasa, texte juridique gravé sur une plaque de bronze exposée au musée de Rabat, révèle ce processus d’octroi de la citoyenneté à l’élite locale avant le fameux édit de Caracalla en 212. L’armée joue aussi ce rôle d’intégration et de romanisation. Lusius Quietus, un grand général est un maure de naissance. L’empereur Septime Sévère (193-211) ,né à Leptis Magna, est libyen.

Le berceau nord-africain du christianisme du christianisme latin

Le christianisme se répand progressivement en Afrique du Nord depuis l’orient et s’étend jusqu’aux extrémités de la Proconsulaire. L’Afrique a contribué au développement du christianisme latin. Elle a même donné trois papes dont saint Miltiade, un pape berbère au IVe siècle.Tertullien, né à Carthage, père de l’Église et surtout l’évêque d’Hippone, saint Augustin marquent profondément l’Église latine. Le latin est la langue religieuse du christianisme africain dont le foyer est Carthage alors que l’Église romaine reste attachée au grec jusqu’au IIIe siècle.

Les Juifs marocains

Deux thèses s’affrontent. Les Juifs marocains seraient des migrants venant de Canaan ou des berbères convertis. L’auteur pense que les deux cas de figure ont dû exister. De toute façon, les croyances véhiculées par les Juifs eux-mêmes évoquent un lointain exil ce qui les différencient de l’islam dominant. Ceci n’empêche pas une symbiose culturelle avec l’usage de langue commune comme l’arabe et le berbère, l’adoption de rites, de costumes, des traditions comme le culte des saints parfois vénérés communément par les Juifs et les musulmans. Les mellahs (quartiers juifs) sont nés dans un contexte commercial. Certains Juifs ont eu des rangs élevés notamment à Essaouira, où ils bénéficiaient d’allègements d’impôts.

Le royaume de Nekour : premier État du Maroc musulman

Le point de départ de la fondation du premier État musulman au Maroc serait une concession foncière accordée par le calife omeyyade Al-Walid en l’an 91 de l’Hégire (710). On l’appelle l’Émirat de Nekour ou l’Émirat des Ben Salih. Ce premier État introduit le rite orthodoxe malikite. Il occupe une situation privilégiée au bord de la Méditerranée, riche de son port, de son essor économique et de ses ressources agricoles. Fragilisé par des luttes intestines, la capitale est saccagée par les raids vikings en 858. Des agressions répétées aux siècles suivants marquent la fin du prestige de l’Émirat.

Révoltes berbères contre la conquête arabo-musulmane

Les populations autochtones amazighes ont embrassé l’islam dès les premières conquêtes arabes sous le règne du troisième calife Othman (644-656). Mais les historiens montrent que les Arabes conquérants ont été peu nombreux, amenant dans leur sillage des Berbères orientaux qui résidaient en Libye et en Tunisie. Ces derniers ont contribué à l’expansion musulmane. Mais cette conversion n’a été ni générale, ni définitive. Mouna Hachim montre que des groupes ont apostasié plusieurs fois au gré des alliances. Les gouverneurs d’Afrique du Nord ont pratiqué le népotisme et ont utilisé les rivalités tribales pour asseoir leur pouvoir. Par exemple, un certain Koceila (VIIe siècle) dit Aksil en amazigh désignant le guépard, chef des Aurès, tout converti qu’il fut, a subi de nombreuses humiliations publiques. Certains chefs berbères s’opposent aux dominateurs en adoptant un courant religieux différent, comme le Kharidjisme, branche de l’islam apparue après l’assassinat d’Othman,  « les sortants » qui ne veulent pas se déterminer entre Ali ou un autre calife . Ainsi les Berbères ont fondé des principautés indépendantes dont certaines ont duré plus de quatre siècles, signant l’indépendance du Maghreb face aux califes d’Orient. En 711, le passage des colonnes d’Hercules’effectue, appelé ensuite Gibraltar (le monde de Tarik), la Conquista s’opère au Sud de la péninsule ibérique grâce aux alliances avec les chefs berbères.

Les premiers Idrissides étaient-ils chiites ?

Cette dynastie est fondée par Idriss Ier, descendant d’Ali, au nord du Maroc de 789 à 985. Fès devient la capitale royale, un centre intellectuel et religieux de première importance. Idris a fui les longues guerres religieuses qui suivent l’assassinat d’Othman et arrive à Volubilis en 787, ville considérée comme la plus importante de la région. Il épouse une Amazighe et il est reconnu comme imam par un grand nombre de tribus. La première dynastie Alide est née ce qui signifierait qu’elle est chiite mais certains auteurs pensent qu’elle est sunnite, malakite ou zaydite ce qui semble être confirmé par la numismatique.

La parenthèse oubliée des principautés zénètes

On trouve souvent dans les histoires du Maroc qu’aux Idrissides succèdent les Almoravides. Un siècle cependant les séparent. Il s’agit du règne des tribus berbères Zenata, fondatrices de plusieurs cités et principautés totalement indépendantes et très prospères : les Meknassa ont fondé Meknès, dite à l’origine « Meknassat az-Zaïtoun », Meknès aux oliviers.

Les gens du Ribat – Réformateurs almoravides et almohades

Les Ribats, ancêtres des zaouïas , sont des sortes de monastères militaires qui s’égrainent sur le littoral méditerranéen. Ils ont un rôle capital dans l’enseignement des sciences ésotériques. Le géographe Idrissi en cite un grand nombre. Un des premiers serait le Ribat de Monastir dans le Sahel tunisien construit sur ordre du calife abbasside Haroun Rachid. Connaissant un grand essor au Maghreb dès le VIIIe siècle, les Ribats ont une importance capitale sous la dynastie almoravide (mot signifiant les gens du Ribat), issue de réformateurs religieux venus du Sahara, berbères nomades, parents des Touaregs. Ces Almoravides commencent la conquêtes des tribus alentour et leur islamisation. Ils forment un empire qui s’étendra du fleuve Sénégal à l’Espagne et de l’Atlantique à Alger dont la capitale est Marrakech fondée en 1062. L’unification de cet espace grâce à une réforme politico-religieuse est soutenue par l’esprit de clan, la fameuse Asabiya. Les Almoravides sont supplantés à la tête de l’Empire par les Almohades issus des montagnes de l’Atlas. Marrakech est prise en 1147 et ses fondateurs sont massacrés tandis que d’autres membres des Beni Ghania partent aux Baléares appelés par les auteurs arabes, les îles orientales de l’Andalousie.

Les Mahdis , agitateurs politico-religieux et faux messies

Au Maghreb, la croyance au Mahdi, un sauveur eschatologique, est très ancienne, ancrée dans la mémoire populaire. Prenons l’exemple d’Ibn Houd, sous le règne du premier calife almohade Abd-al-Moumin, qui se proclame imam infaillible et Mahdi lui-même. Ibn Houd se retire au Ribat de Massa, grand lieu de dévotion car ce serait l’endroit où Jonas a été craché par la baleine. Il fomente une révolte très suivie contre les Almohades qui mettront plusieurs années à mater les insurgés.

Les Mérinides, de la conquête politique à la conquête symbolique

Au pouvoir de 1244 à 1465, les Mérinides ne portent pas de projet religieux. D’origine berbère zénète, les Béni Merine nomadisent, puis destituent les Almohades, très affaiblis par la désastreuse bataille de Las Navas de Tolosa qui ouvre la voie à une irrémédiable Reconquista. S’ensuit le morcellement des acquisitions almohades avec l’émergence de nouvelles taifas conquises (Petits États indépendants) peu à peu par les royaumes de Castille et d’Aragon. Au Maghreb, se dessinent  des territoires morcelés. Pour assurer leur conquête militaire, les Mérinides se sont appuyés sur des démonstrations de force mais aussi sur des tribus qui les ont soutenus dès le début, et qu’on trouvera dans l’armée et dans l’organisation du Makhzen et de l’administration centrale. Une ville comme Salé connait son apogée avec l’affluence de nombreuses tribus zénatiennes de la région. Une légitimation religieuse s’opère en faveur du malikisme sunnite, suivie de la construction de mosquées et de médersas. Fès-Jdid devenue capitale est construite. Une série de calamités accompagne la fin des Mérinides : déliquescence du pouvoir, crises économiques, famines, occupation ibérique. Mais le fléau le plus terrible a été l’arrivée de la peste noire au Maghreb entre 1347 et 1340. Loin de se conscrire à une époque, elle revient de manière cyclique assimilée à une malédiction, en 1441-42 puis en 1468. Les conséquences démographiques sont dramatiques. Dans ce contexte, les expéditions militaires sont teintées de messianisme et de guerre sainte.

Une femme dans l’histoire, Al-Hurra, reine de Tétouan, qu’elle gouverne pendant 30 ans

Sayida Al-Hurra (la Dame libre) est née à Chefchaouen, au nord-ouest du Maroc vers l’an 900 de l’hégire (1494-1495) Pour allier les familles puissantes de la région, cette femme épouse en 1510, le neveu d’un gouverneur puissant de Grenade prise par les chrétiens en 1492, émigré à Tétouan qui devient terre d’asile. Al-Hurra trouve dans cette cité un raffinement urbain propice à son engagement politique. Certains auteurs pensent qu’elle a co-régné sur Tétouan avec son mari, le remplaçant dans la gestion de la cité lors d’opérations militaires. Puis à sa mort en 1518, elle gouverne avec son frère qui la laisse gérer seule à partir de 1525. A l’aide de son armée et de son arsenal, elle dirige le trafic naval et les entreprises corsaires après avoir conclu des accords avec le fameux Barberousse basé à Alger et qui contrôle l’est de la Méditerranée. Évincée du pouvoir en 1542, la noble fille de Chefchaouen a battu en brèche l’image fantasmagorique de la femme musulmane.

Genèse de la dynastie saâdienne, soutiens et turbulence

Cette dynastie s’est illustrée par la libération des côtes de la présence portugaise, le contrôle des routes sahariennes, la conquête du Soudan et la résistance aux velléités conquérantes ottomanes, en donnant quelques règnes glorieux comme celui d’Al Mansour, victorieux de la célèbre bataille d’Oued Al-Makhazine, dite la bataille des trois rois (1578, fin du projet d’invasion du Maroc par le roi portugais Sébastien Ier) imposant le Maroc comme une nation forte. Les zaouïas sont des lieux d’adoration divine et d’audition spirituelle où les aspirants et cheikhs sont retirés du monde. Héritières des Ribats, les zaouïas galvanisent les foules et s’érigent en puissance depuis le XVe siècle. Elles ont favorisé la prise de pouvoir et les victoires des Saâdiens, même si leurs relations n’ont pas été un long fleuve tranquille. Al-Mansour dit le victorieux adopte le titre d’Aurique, suite au rachat des nobles portugais capturés pendant la bataille permettant d’enrichir les caisses royales bien pourvues aussi de l’or guinéen qui transitait avec le commerce du sucre. Un chef-d’œuvre de la renaissance saâdienne est le palais Bahdi (l’incomparable) de Marrakech doté de 360 salles et de 100 fontaines où sont employés les matériaux les plus précieux. Moulay Ismaïl démantèlera cet ensemble pour garnir son palais de Meknès. La conquête du Soudan a entrainé la chute de l’empire des Songhai (1430-1591) qui dominait globalement le Mali, le Niger et une partie du Nigeria actuel.

Face à l’Empire ottoman, une totale indépendance

L’histoire marocaine prétend que le Maroc est le seul État arabe à avoir échappé à l’emprise ottomane (du nom Osman chef d’une principauté d’Asie). Rien n’est si simple. Les Turcs interviennent dans les luttes de pouvoirs, le jeu d’alliances de clans, les échanges de prisonniers chrétiens et musulmans.

Principautés ethniques et religieuses et avènement des Alaouites

Avec la fin de règne des derniers princes saâdiens et les crises politiques, économiques et sociales qui l’accompagnent, le pays emprunte la voie de l’éclatement. Des principautés dirigées par des roitelets s’organisent. Moulay Rachid, troisième prince de la dynastie des Alaouites (descendant d’Ali) de Tafililet réussit l’unification du royaume grâce au prestige chérifien (descendant de la famille du prophète) entre 1664 et 1669. Son fils Moulay Ismaïl lui succède et fait de Meknès sa capitale avec ses haras légendaires de 12 000 chevaux. Comparé au roi soleil, il imposa son autorité à l’aide de sa puissante armée de métier composée d’esclaves noirs, édifiant plus de 76 forteresses à travers le pays. Il entreprend des relations diplomatiques d’égal à égal avec les chrétiens. La tradition impute à ce sultan 1060 enfants et petits enfants dont 500 qui arrivent à l’âge adulte, ce qui présage une crise de succession sans précédent.

Cet ouvrage, nourri de littérature mais aussi de nombreuses références d’historiens, entend confronter le roman national marocain basé sur l’avènement de l’islam et l’histoire plus populaire qui émane des textes. Cette histoire du Maroc s’avère d’une lecture facile quand on connaît bien l’histoire de l’Afrique du Nord. Le titre semble cependant mal choisi pour qui fréquente un peu l’histoire marocaine en France. L’auteur veut surtout montrer l’importance des Berbères dans le destin du pays. Rien de vraiment inattendu…sauf peut-être si on se place d’un point de vue marocain.