Anne-Marie Sicotte est auteure de romans historiques1, c’est pourquoi elle a fait quelques recherches dont elle livre ici les résultats à propos d’un fait historique cher aux Québécois qui selon elle a été longtemps occulté dans l’historiographie notamment anglophone. Le récit des événements de 1837–1838, l’insurrection des « ceintures fléchées » est soutenue par une très abondante documentation iconographique.

Au premier chapitre l’auteure traite de la situation du « pays français » au début du XIXe siècle : une société francophone soumise à l’élite britannique depuis le traité de Paris en 1763, avec un régime parlementaire à partir de 1792 qui permit la naissance du « parti patriote » composé de Français et d’immigrants irlandais. L’auteure décrit les réalités politiques, économiques, l’instruction et la place des femmes au Canada.

Encore

Dans le second chapitre, un pays souverain, elle montre les limites du parlementarisme et le poids de l’exécutif dominé par une oligarchie anglaise. Entre les parlementaires dont Joseph Papineau et le gouverneur et son entourage se développe suspicion et hostilité quant à la gestion de la colonie. Le récit est délibérément favorable aux Canadiens par exemple dans les mots choisis par l’auteure comme la « clique du château » pour désigner l’entourage du gouverneur. La tension est croissante dans les années 1820 jusqu’à des pétitions envoyées au roi d’Angleterre2.

Un pays frondeur, en 1834 les députés votent les 92 Résolutions qui dénoncent les malversations et abus de pouvoir ainsi que la répression militaire. L’auteur rapporte les élections sous tension de mai 1832. La peinture reproduite3 symbolise la cassure sociale et politique entre haute et basse ville de Québec. L’adoption des 92 Résolutions marque une nouvelle fois l’hostilité entre les assemblées élues et le gouverneur Alymer qui ne se manifeste pas seulement dans les villes mais aussi dans les districts ruraux où les violences électorales sont fréquentes.

Un pays trahi. L’auteur montre comment la crise grandit entre une incompréhension de la situation par les autorités à Londres, l’arrivée de nouvelles troupes, au Canada, le jeu des groupes d’influence anglophones4 et les députés qui refusent de siéger dans un climat de les violences électorales.

L’auteure évoque ce qui va provoquer la révolte : l’autorisation faite au gouverneur d’utiliser le produit des taxes, ce qui est considéré par les députés comme anticonstitutionnel.

Le 7 mai 1837 une première manifestation a lieu à Saint Ours, la contagion de la révolte gagne peu à peu Chambly, Terrebonne avec des mots d’ordre de boycott des produits taxés d’importation anglaise et la mode de « se vêtir à la canadienne » devient un acte politique de résistance.

Un pays condamné. Septembre 1837 marque le début de la répression après une provocation des troupes anglaises destinée à prouver que la résistance est une révolte armée. On assiste à la rafle de nombreux opposants à Québec, Saint Athanase, Chambly, Sorel ce qui entraîne la mobilisation des patriotes contre les troupes anglaises, les habits rouges. L’auteure détaille le mois d’octobre et la volonté de l’exécutif colonial de faire plier toute opposition en ce début de règne de Victoria.

Un pays terrorisé. L’auteure décrit les échauffourées entre troupes régulières, milice et patriotes qui entraînent le 5 décembre 1837 la proclamation de la loi martiale, une répression violente contre les patriotes qui veulent protéger leurs élus. Cette véritable guerre civile en campagne, une répression sanglante.

Un pays enchaîné. La victoire du pouvoir est totale, le gouverneur met fin à l’acte constitutionnel au profit d’un « conseil spécial » avec exil de nombreux patriotes vers les États-Unis, de nombreux emprisonnés. Le bas Canada est décrit comme un pays occupé. Les autorités se mettent à l’abri de toute poursuite judiciaire pour pouvoir.

Un pays insurgé. Ce chapitre relate la tentative de soulèvement des comités proches de la frontière avec les États-Unis, tentative montée en épingle par le pouvoir afin de réprimer. C’est le retour en 1838 des exactions de Colborne et sa « Volunteer Militia » avec pillages et destruction systématique des villages notamment du 11 au 16 novembre 1838 dans la région entre Châteauguay et de Beauharnois.

Un pays pétrifié. L’année 1839 marque le sommet de la terreur militaire et policière sous l’autorité du gouverneur provisoire Colborne : nombreuses condamnations à mort, déportation en Australie. L’idée est de réunir le Haut Canada anglophone et le bas Canada francophone pour assimiler les francophones se concrétise dans la proclamation d’une nouvelle constitution du Canada Uni qui préfigure la confédération de 1867. Le bas Canada connaît un appauvrissement réel, de nombreux Canadiens s’exilent vers les usines textiles de Nouvelle-Angleterre, la population restante est très soumise au clergé.

Dans sa conclusion l’auteur appelle à un vrai travail d’historien qui reste à faire en dépit de la popularité de la devise : « je me souviens ».

Un cahier central strictement iconographique la luxuriance des saisons de n’avoir à la fois les paysages et le quotidien de la vie au Québec.

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1Romans parus aux éditions Fides : Anne-marie Sicotte, Le pays insoumis : Le pays insoumis. Les chevaliers de la croix (T1) , Rue du Sang (T2) , Les Tuques Bleues Le charivari de la liberté (T1) Le règne de la canaille (T2)

2Voir la reproduction page 83

3pages 116–117

4Ceux que l’auteure nomme les Britons sont les descendants des migrants britanniques arrivés après 1763, souvent orangistes qui affirment la supériorité des protestants face aux catholiques français et irlandais. Ils sont influents par leur milice.