Un livre sur les impôts ? Dit ainsi, le sujet pourrait paraitre rébarbatif mais il faut reconnaitre que la plume d’Eric Anceau et de Jean-Louis Bordron entraine le lecteur et propose une approche originale.
Les impôts : une histoire sur le temps long
Il existe environ 480 taxes et impôts en France, chaque création ne se substituant que rarement à une plus ancienne. La fiscalité est quasi consubstantielle aux sociétés et le livre commence par un rappel historique du côté de l’Egypte, de la Grèce et de Rome. Mais il s’en faut de beaucoup que l’évolution de la fiscalité soit uniforme et linéaire. Les auteurs soulignent que l’impôt est donc un sujet qui mérite une histoire globale.
Un livre en trois temps
Un premier thème évoque le triangle composé du pouvoir, de l’imposition et du contribuable. Un deuxième volet inventorie les différents domaines de la matière fiscale. Le troisième s’intéresse aux perceptions et aux représentations que l’on se faisait hier et que l’on se fait aujourd’hui de l’impôt. Chacune de ces grandes parties est nourrie de plusieurs chapitres.
Quel impôt ?
A l’origine de l’impôt il y a souvent le prélèvement du vainqueur sur le vaincu. On s’aperçoit aussi que de tout temps des penseurs ont cherché à simplifier l’impôt. Les indirects, plus faciles à percevoir, sont historiquement dominants. On mesure aussi le nombre de propositions de lois avant que l’impôt sur le revenu soit instauré en France : ce ne furent pas moins de 200 projets entre 1880 et 1907.
Les mots de l’impôt
Cette entrée par les mots réserve plusieurs découvertes. A l’origine, le mot fisc désigne un panier d’osier utilisé pour le pressage des raisins et olives. Avant de changer de sens au XVIIIème siècle, s’exonérer signifiait faire ses besoins naturels. On mesure également l’importance du choix des mots en préférant contribution à impôt qui a un sens plus contraignant. Les auteurs décryptent aussi le sens d’expressions comme payer en monnaie de singe. Finalement, au vocabulaire brutal du pillage et de la contrainte succède une langue plus policée.
Les rouages de la machine fiscale : du ministre au percepteur
Sous l’Ancien Régime, la Ferme s’apparente à une entreprise dont l’objectif est la rentabilité. A partir du XIXème siècle, on assiste à une réorganisation, une sophistication et une croissance des effectifs des administrations fiscales.
Le contribuable
L’impôt ne touche pas seulement le portefeuille du contribuable mais aussi son affect. En France, la part des foyers imposés atteint 65 % en 1979 contre moins de 20 % au lendemain de la guerre. Depuis un demi-siècle, on assiste à un changement qui fait du contribuable assujetti un usager.
De la naissance à la mort : les besoins vitaux
On apprendra peut-être que le savon est resté longtemps un produit de luxe lourdement taxé. Quant au pain, denrée à forte puissance symbolique, son prix fait l’objet d’une réglementation et d’une taxation depuis des siècles. Il ne faudrait pas oublier non plus le sel qui fut longtemps taxé.
Identité, appartenance et statut social
Les différents éléments qui constituent l’identité d’un individu jouent un rôle essentiel dans la manière dont l’Etat appréhende fiscalement celui-ci. Le XVIIème siècle, par exemple, vit se multiplier les édits somptuaires. L’impôt ne manque jamais de créativité comme le montre cette taxation décidée en France en 1893 sur les pianos. Seulement, loin de viser uniquement les plus riches, elle pouvait aussi frapper les instituteurs modestes qui s’étaient équipés de cet instrument pour accompagner leurs leçons de chant. Les auteurs évoquent aussi les liens entre impôts et religions.
Rien n’est laissé au hasard, même l’accessoire
Les vins, alcools, tabacs, mais aussi les loteries connaissent la taxation. En 1933, la Loterie nationale est créée et le premier tirage du Loto a lieu en France en 1976. Le livre explique aussi le pourquoi des tenues extravagantes d’Abba car une loi suédoise permettait de réduire les frais professionnels et de bénéficier d’une réduction d’impôts sur les vêtements à condition de ne pas pouvoir les porter dans la vie de tous les jours !
Les nouvelles préoccupations du XXIe siècle
L’impôt doit s’adapter à l’interdépendance déstabilisante des Etats en matière fiscale et ménager les spécificités traditionnelles qui sont au coeur de l’histoire des souverainetés nationales. On appréciera les subtilités de la TVA concernant l’ « alimentation sur le pouce » avec un taux oscillant entre 5,5 et 10 %. Aujourd’hui on va également de plus en plus vers des incitations liées par exemple au tri des déchets.
Le consentement à l’impôt
La période 1688-1789 connait une évolution majeure. On passe de l’assentiment à un octroi du monarque qui maintient le peuple dans une situation passive d’accord tacite à un véritable contrat entre chaque citoyen et les autres, un contrat social. Le XIXème siècle voit un approfondissement du consentement dans plusieurs pays et la quête se poursuit au XXème siècle.
Parades et ripostes : l’art de contourner l’impôt
Depuis que l’impôt existe, les assujettis ont cherché à s’y soustraire. En 2013, un rapport évalue à 80 milliards d’euros le montant de la fraude et de l’évasion fiscale. Le chiffre laisse songeur lorsque l’on sait qu’à la même époque le déficit public se situe à 100 milliards.
Résistances, frondes et révoltes
Les auteurs évoquent les différents siècles en axant particulièrement sur les frondes et révoltes des époques médiévale et moderne. Ils évoquent donc les Ciompi en Italie ou les Nu-pieds en France. Ils constatent que depuis le XIX ème siècle aucun des évènements majeurs qu’a connus l’humanité n’est parti d’une révolte fiscale.
Entre colère et dérision
L’impôt est une bonne source d’inspiration pour des oeuvres de fiction. Plusieurs d’entre elles sont évoquées et on peut même aller jusqu’au « diner de cons » de Francis Veber. Tantôt ironiques ou satiriques, ces représentations fiscales sont l’expression des malaises d’une société. « La caricature est aussi le signe d’une liberté d’expression culturelle et d’un exutoire salutaire ».
Impôt et société
Les auteurs reviennent sur plusieurs des faits saillants égrainés tout au long du livre. L’impôt est donc un rouage de la puissance publique. La fiscalité ne se comprend que réinsérée dans la société à laquelle elle s’applique. La puissance publique a souvent préféré à l’impôt direct les contributions indirectes supposées plus indolores. La fiscalité touche en tout cas de nombreux domaines et cela aboutit à des représentations ou à des réactions négatives vis-à-vis d’elle. Conçu dans le cadre d’Etats, l’impôt a dû s’articuler au niveau local avec le système des péréquations. En tout cas, « l’histoire de l’impôt contribue à une meilleure intelligence de la société ».