Dans la rubrique « Passeur d’Histoire » , Robert Goldberg témoigne de l’arrivée de sa famille polonaise en France en 1926, de leur installation à Belleville, de son enfance parisienne, de sa prise de conscience des effets de la politique antisémite du régime de Vichy et de l’arrestation de sa famille le 16 juillet 1942 lors de la rafle du Vel d’Hiv : il vit disparaître son père, sa mère, sa sœur ainsi que 14 autres membres de sa famille assassinés à Auschwitz.

– Quatre articles traitent de la France de Vichy

L’article de Laurent Battut intitulé « Les Chantiers de la jeunesse » ne traite en réalité que du « Camp 40 » qui était le camp de redressement des Chantiers installé près de Murat dans le Cantal. Il énumère nombre de détails sur l’organisation du camp et son évolution sans proposer les analyses générales qu’on aurait pu attendre (le sous-titre annonce qu’il s’agit d’un exemple) et sans que le recul critique y soit toujours perceptible. On y lit par exemple que les appelés « sont rassemblés par équipe de douze, chacune dirigée par un chef de saine influence qui saura développer (…) leur confiance en l’avenir du pays ». On peut lire plus loin que « le chef cherche à bien connaître chaque jeune et à lui apprendre les règles de bonne conduite » ou encore que « le chef cherche aussi à gagner la confiance du jeune par son action sociale ». Que ce vocabulaire figure dans un texte pétainiste, rien de plus naturel, mais on peut s’étonner qu’il soit utilisé par l’auteur dans le corps de son texte.

Nicolas Anderbegani qui a contribué à un ouvrage collectif consacré à Paul Ricard publié en 2009, signe un article intitulé « Vichy décrète la prohibition » et sous-titré « 23 août 1940, quand le pastis rit jaune ».La lutte contre l’alcoolisme ne date pas de Vichy ; les ligues antialcooliques, les médecins, certains médias et milieux politiques militent dans l’entre-deux-guerres pour l’interdiction des apéritifs à base d’alcool, présentés comme la principale menace de déstabilisation sociale. Le lobby viticole, fortement représenté dans la sphère politique est impliqué dans cette lutte ; la santé publique n’étant évidemment pas son souci premier. Le gouvernement Daladier intègre au Code de la famille de juillet 1939 des dispositions antialcooliques, pénalisant en particuliers les apéritifs. Vichy s’inscrit dans la continuité en durcissant la répression : la loi du 23 août 1940 prohibe certains apéritifs.

Il existe à cette époque deux grands types d’apéritifs : ceux à base de vin (les quinquinas, type Saint-Raphaël, Byrrh, Dubonnet et les Vermouth, type Cinzano, Martini) et ceux à base d’alcool distillé (anisés comme Ricard, Pernod, Berger ou amers comme Suze ou Picon). Tous les apéritifs à base d’alcool sont interdits, ceux à base de vin sont épargnés ainsi que les liqueurs digestives comme l’Armagnac ou le Cognac. Il en résulte une forte hausse de la consommation des apéritifs à base de vin. Paul Ricard voit son entreprise vaciller, mais il se reconvertit… dans l’eau minérale et le lait !

Les motivations profondes de Vichy sont idéologiques. Sur la célèbre affiche de R. Vachette (les deux maisons symbolisant la France et vantant la Révolution nationale), dans la partie gauche représentant la France qui s’écroule, un morceau de ruine sur lequel est inscrit « pastis » apparaît nettement, mêlé aux autres vices républicains responsables de la défaite : « parlementarisme », « franc-maçonnerie », « juiverie » etc. Alors que le vin et les alcools à base de fruits incarnent une France de terroirs et agricole, le pastis est considéré comme une boisson « industrielle » au public urbain et populaire. Le pastis c’est aussi la boisson des populations du Sud, fainéantes et indisciplinées. En visant le pastis, on vise Marseille « qui incarne aux yeux des idéologues de l’ordre moral toutes les abominations fantasmées du cosmopolitisme, du désordre des métropoles méditerranéennes, de l’économie interlope et de la tradition contestataire ». Le pastis enfin, c’est une boisson légalisée par le gouvernement de Léon Blum en 1938 : un gouvernement laxiste et moralement décadent. Un article rafraîchissant !

Jacqueline Gola signe un article sur la collaboration des intellectuels français : « Quand les grandes plumes collaborent »
Article informatif, un peu décousu, à volonté pédagogique quand il rappelle ce qu’était l’Action française ou quelles furent les racines de l’antisémitisme contemporain. Il expose les efforts d’Otto Abetz pour asservir la vie culturelle française et la bonne volonté de nombreux intellectuels à se laisser asservir. Il raconte le voyage à Weimar en novembre 1941 de Pierre Drieu la Rochelle, Robert Brasillach, Ramon Fernandez, André Fraigneau, Jacques Chardonne, Marcel Jouhandeau et Abel Bonnard. Il évoque la censure et le contrôle de la presse et dresse enfin un bilan partiel de l’épuration des intellectuels, consacrant à Brasillach, à Céline et à Giono les trois paragraphes les plus intéressants.

François Delpla consacre un article au renvoi de Laval : « 13 décembre 1940. Pétain chasse Laval ! Crise franco-française ou manipulation hitlérienne ? »
Avouons notre difficulté à rendre compte du contenu de cet article que nous n’avons pas vraiment compris après deux lectures attentives.
La première partie de l’article expose des faits connus. On y insiste sur le rôle de Marcel Peyrouton, ministre de l’intérieur, qui s’oppose à « la politique lavalienne de concession sans contrepartie, destinée à mettre l’occupant en confiance » et qui parvient à convaincre Pétain de renvoyer Laval, ce que Pétain envisageait déjà. L’invitation faite par Hitler à Pétain de venir avec Laval à Paris pour y recevoir les cendres de l’Aiglon au cours d’une cérémonie qui aurait lieu le 15 décembre 1940 fait craindre à Pétain qu’il « se retrouve coincé à Versailles et coupé de ses conseillers » et le conduit à passer à l’action en faisant arrêter Laval et Marcel Déat. Otto Abetz se rend à Vichy, rencontre Pétain, exige le rappel de Laval qu’il fait libérer ainsi que Déat.

La seconde partie insiste sur un événement qui se serait produit le 31 décembre 1940 et qui serait demeuré inconnu des historiens jusqu’en 2008. Pétain aurait pris la décision, sous l’influence de Peyrouton, de dénoncer l’armistice et de gagner Alger, encouragé par un télégramme de Churchill. Puis il aurait renoncé presque aussitôt, influencé par Jacques Chevalier, ami de Pétain et ministre, en contact lui-même avec Halifax (opposé à Churchill au sein du gouvernement anglais), au prétexte que les Allemands, en représailles de cet éventuel départ, auraient envahi la zone Sud et l’Afrique du Nord.
Tout cela est bien compliqué et présente un Pétain très influençable. Nous n’avons pas compris le lien entre les deux événements ni le sous-titre problématique de l’article.

Deux articles sont consacrés aux questions stratégiques et militaires en Méditerranée à l’automne 1940.

Xavier Tracol et Yannis Kadaré racontent le « Raid sur Tarente » du 11 novembre 1940.
A l’automne 1940, l’Italie possède un avantage stratégique en Méditerranée. Sa flotte de guerre est moderne et menace les communications du Royaume-Uni avec son empire. Churchill projette une opération (nom de code « Judgement ») qui consisterait à détruire par un raid aérien la base navale de la rade de Tarente. L’opération permettrait de montrer la détermination britannique et de combattre au sein du gouvernement la ligne défaitiste incarnée par Halifax.
L’opération est effectuée dans la nuit du 11 au 12 novembre 1940. Bombes et torpilles détruisent la moitié de la puissance maritime italienne en quelques minutes. Les conséquences sont diverses : démission de Badoglio, euphorie à Londres et… grand intérêt à Tokyo. L’amiral Yamamoto se procure un rapport rédigé par deux experts allemands et organise un voyage d’étude à Tarente. L’opération aura influencé les choix tactiques nippons et préparé Pearl Harbor, du côté japonais car les Américains n’en tireront aucune leçon.

« Gibraltar ; Enjeu diplomatique et stratégique » de Cédric Mars et Xavier Tracol traite aussi des questions méditerranéennes. Inutile d’insister sur l’importance stratégique du Rocher pour les communications britanniques. Dès juillet 1940, les Allemands élaborent des plans d’attaque et d’occupation de Gibraltar qui nécessitent tous l’appui espagnol. Hitler rencontre Franco le 23 octobre 1940 à Hendaye, puis son ministre des affaires étrangères le mois suivant en Allemagne. Il doit constater que Franco préfère une neutralité favorable à une co-belligérance. Cette défection espagnole n’est pas la seule raison de l’abandon du projet en janvier 1941 : Hitler est désormais préoccupé par la préparation de l’opération Barbarossa. Le port de Gibraltar sera néanmoins régulièrement attaqué jusqu’en 1943 par les bombardiers italiens et par les nageurs de combats de la Marine italienne.

Xavier Tracol traite du « Blitz. La Grande Bretagne sous les bombes ».
Dans la nuit du 24 au 25 octobre 1940, Londres est bombardé pour la première fois, sans que l’on puisse encore affirmer s’il s’agit d’une erreur de navigation ou d’une décision du Haut commandement de la Luftwaffe. Toujours est-il que les conséquences en sont grandes. Churchill ordonne en effet pour la nuit suivante, un raid de représailles sur Berlin qui fait dix morts, surprend toute l’Allemagne, humilie Goering et déclenche la colère d’Hitler qui ordonne de bombarder les villes anglaises. Si le bombardement sur Berlin était une provocation, elle a réussi car Hitler, en modifiant sa stratégie, sauve l’aviation britannique qui était jusqu’alors la cible des bombardements allemands.

Le « Blitz » débute le 7 septembre 1940 avec un gros raid allemand de bombardement sur Londres, le premier d’une longue série qui va durer jusqu’en mai 1941 et s’étendre à la plupart des grandes villes britanniques. Les destructions sont énormes, les morts se comptent par dizaines de milliers mais la population ne fléchit pas, la famille royale reste sur place, Churchill fait preuve d’une totale détermination. On évacue un quart de la population de Londres, on barre le ciel avec des ballons, on multiplie les abris souterrains.
Le bombardement de Coventry dépasse en horreur ce que Londres a connu ; puis ce sont Southampton, Portsmouth, Bristol et plus encore les agglomérations de Liverpool et de Manchester qui sont bombardées.

L’activité industrielle ne s’effondre pas ; le gouvernement fait distribuer des millions de petits abris en kit à installer à l’extérieur et à recouvrir de terre, pouvant abriter six personnes et résister au souffle des explosions. Au cinéma, le ministère de l’Information, multiplie les documentaires sur l’aménagement des caves en abris antiaériens.
Au début de 1941, la RAF a enfin les moyens de se défendre et les pertes allemandes augmentent ; les canons antiaériens et les projecteurs se multiplient autour des grandes villes de mieux en mieux protégées par les radars. Mais si la Luftwaffe réduit l’ampleur de ses attaques et finit pas les arrêter au printemps 1941, c’est surtout parce que le Führer prépare l’invasion de l’URSS. A l’heure du bilan on compte plus de 43 000 morts et 51 000 blessés, mais le pays a tenu bon.

Deux autres articles en relation avec les États-Unis ont suscité notre intérêt.

Thomas Rabino dans un article intitulé « Les super-héros s’en vont en guerre », montre comment Superman, archétype du genre, et plus globalement comment les comics jouent un rôle de premier plan dans la propagande gouvernementale américaine.
En juin 1938, paraît le premier numéro d’Action Comics, revue de 30 pages petit format, qui offre la première aventure de Superman, personnage créé en 1932. « Inattendu, le succès de Superman déclenche un phénomène, ouvre un « âge d’or », et révèle en contrepoint, les attentes du public ». En janvier 1939, Superman apparaît dans la presse quotidienne ; en moins de trois ans, il devient une icône dont les aventures s’écoulent à 12 millions d’exemplaires. A cette époque, il combat le crime et la pègre.

Mais dès février 1940, il change de ton et d’ennemi : on le voit alors attraper le Führer par le cou, avant de le traîner devant la Société des Nations où il est jugé aux côtés de Staline. D’autres super-héros apparaissent alors, qui combattent le fascisme. En mars 1941, le premier numéro de Captain America présente, en couverture, le super-héros administrant un crochet à Hitler. Le comic se vend à un million d’exemplaires, et vaut à ses auteurs un flot de lettres hostiles des partisans de l’isolationnisme.
Les comics participent alors à une préparation de l’opinion publique américaine à l’inévitable marche à la guerre. Par la suite Superman et ses succédanés fournissent aux combattants « un fond idéologique et galvanisant à leurs prochains déploiements ». En 1941 et 1942, Superman devient le héros de dessins animés projetés dans les salles de cinéma en avant programme, vecteur de la propagande de guerre.

François Kersaudy dresse un portrait de « Joseph Patrick Kennedy. L’ambassadeur de la controverse ».

Ce patriarche est immensément riche ; il a fait fortune dans la banque, l’industrie cinématographique, la spéculation boursière, l’importation d’alcool prohibé. Il dispose de solides relations avec les patrons de la pègre : Franck Costello, Meyer Lansky, « Lucky » Luciano. Plusieurs raisons expliquent que Roosevelt ait nommé ce trouble personnage, qui n’a rien d’un diplomate et est de surcroît catholique, au poste d’ambassadeur à Londres : son père et son beau-père sont influents au sein du parti démocrate ; il a financièrement contribué aux deux campagnes électorales de Roosevelt ; le fils de Roosevelt est son homme de paille et Roosevelt ne lui refuse rien ; il est un concurrent potentiel à l’élection de 1940 et mieux vaut l’éloigner de Washington. J.P Kennedy tient à ce poste par soif de reconnaissance, par ambition politique et… parce que sa fonction lui permettra de veiller sur ses intérêts commerciaux et financiers en Europe.

Il arrive à Londres le 1er mars 1938, avec sa femme, ses neuf enfants et une armée de domestiques. Il s’installe dans une immense et somptueuse résidence et ne tarde pas à défrayer la chronique, s’attirant toujours les sympathies de l’opinion et de la presse. Il se répand en propos antisémites, pacifistes, anticommunistes et germanophiles ; munichois, il n’hésite pas à se compromettre avec l’ambassadeur d’Allemagne à Londres en lui livrant des informations sur les projets du gouvernement britannique et en lui déclarant comprendre les mesures antisémites d’Hitler, lui conseillant seulement d’agir avec plus de discrétion.
Il vit comme un prince et fait prospérer ses affaires en s’assurant le monopole de la distribution aux Etats-Unis de deux marques de whisky anglais. Quand la guerre éclate, il n’en comprend pas l’aspect politique et moral mais déplore seulement qu’elle puisse gêner ses affaires. Il continue d’ailleurs à défendre une entente entre les démocraties et les dictatures ainsi que la neutralité américaine.

Les Allemands interceptent toute sa correspondance… ainsi que les services secrets britanniques qui transmettent leurs informations à Roosevelt. Sont ainsi connus de tous les milieux concernés ses contacts avec les fascistes britanniques de Mosley, avec des organisations isolationnistes américaines, avec les diplomates allemands à Londres, « ses diatribes défaitistes, antibritanniques, prohitlériennes, isolationnistes et antibritanniques », « ses imprécations en langage choisi contre le président Roosevelt », ses manipulations boursières, ses trafics de whisky, ses longs mois de vacances en Floride et ses séjours galants à Paris.

Churchill devenu Premier ministre, Kennedy devient indésirable à Londres ; les journaux anglais et américains, qui l’encensaient jusqu’alors, commencent à révéler ses turpitudes. Roosevelt ne tient plus compte depuis longtemps de ses rapports et l’a doublé par ses propres émissaires. Mais il le maintient à Londres pour le tenir éloigné de Washington, ayant connaissance de ses intrigues avec Lindbergh pour soutenir la candidature républicaine.
C’est la peur des bombardements qui fait revenir Kennedy aux Etats-Unis. Roosevelt le convoque et lui demande de se prononcer en faveur de sa réélection lors d’un discours radiodiffusé. Il lui promet en contrepartie de soutenir la candidature de son fils Joe Junior à un poste de gouverneur. N’écoutant une fois de plus que ses intérêts, Joseph Patrick Kennedy s’exécute.

À signaler encore

– Un article composé d’extraits de la biographie de Churchill publiée par François Kersaudy (2e édition, Tallandier, 2009).

– Quelques réflexions « à chaud » de François Delpla à propos de la récente découverte du projet de loi relatif au statut des Juifs, annoté de la main du maréchal Pétain.

– Un court article traitant de « l’âge d’or du western ».

– Un article consacré à la guerre de course mené par les croiseurs allemands en 1940-1941.

On aura remarqué la diversité des contenus ; rappelons la richesse des illustrations, l’intérêt des chroniques mensuelles et la qualité de la chronique bibliographique. Ce numéro, davantage que les précédents souffre d’une inégalité du contenu des articles.

© Joël Drogland