Ecrivaine et réalisatrice de documentaires sur la Shoah (Un billet aller-retour ; Les petits héros du ghetto de Varsovie ; Rawa Ruska, les évadés témoins de la Shoah), Chochana Boukhobza a enquêté pendant 7 ans sur la déportation des femmes à Auschwitz-Birkenau. Son point de départ est l’histoire de Roza Robota qui a dérobé avec trois de ses camarades de la poudre explosive en petite quantité pendant des mois pour participer à la révolte du Sonderkommando des 7 octobre 1944.

En début d’ouvrage, de courtes biographies des prisonnières et des nazis ainsi qu’un plan permettent de mieux suivre le récit.

A Auschwitz, un camp pour les femmes, mars-avril 1942

Chochana Boukhobza raconte les premières déportations : celle des juives slovaques âgées de 15 et 25 ans et celle des Allemandes transférées depuis Ravenbrück. Ces dernières, Allemandes ou Autrichiennes, sont des criminelles, des asociales, des communistes et des témoins de Jéhovah. Aucune d’entre-elle n’est juive. Elles arrivent dans un camp d’hommes, les travaux de Birkenau ayant pris du retard. Les Allemandes et les Autrichiennes sont affectées à l’administration et à la surveillance du camp, elles ont un uniforme, gardent leurs cheveux. En revanche, les jeunes Slovaques sont rasées, enregistrées, humiliées, abusées sexuellement de manière systématique à leur arrivée. On leur donne un habit sale qui a appartenu à un prisonnier de guerre russe. Elles comprennent très vite qu’il y a une hiérarchie dans le camp.

La machine SS, avril-août 1942

Johanna Langefeld, Oberaufseherin venue de Ravenbrück, organise le camp des femmes et attribue les postes à son équipe. Le bureau des effectifs est un poste-clé, il procède aux appels deux fois par jour. Elle nomme également les prisonnières de Ravensbrück qui constituent l’élite du camp. Elle choisit des communistes pour transmettre les ordres, diriger les blocks. Le but est qu’elles parviennent à convaincre les déportées que l’obéissance peut leur sauver la vie. Les kapos sont choisies dans les criminelles et asociales, l’objectif est alors de nommer des femmes sans pitié. Des témoins de Jéhovah sont envoyées servir les officiers SS, elles ont la confiance de Langefeld car elles attendent une libération de Dieu et ne cherchent généralement pas à s’évader. Certaines Slovaques obtiennent un « travail sous le toit » qui les protège des kapos et des intempéries : surveillantes de chambrées, coiffeuses, blanchisseuses, cuisinières, secrétaires, comptables… Un hôpital est créé dans le block 4 avec des prisonnières de Ravensbrück. Cette organisation est mise en place très rapidement, en une semaine.

Les prisonnières arrivent également à une cadence élevée : 1758 femmes en 8 jours. Le service de l’enregistrement est débordé. Elles sont mises au travail dans les mêmes conditions que les hommes. Beaucoup meurent et s’affaiblissent dès les premières semaines. Des prisonnières sont abattues par les SS, au hasard ou parce qu’elles sont malades. Von Bodmann avorte les déportées enceintes. Les premières expériences médicales ont lieu. Chochana Boukhobza s’appuie sur les témoignages des déportées, notamment ceux des infirmières. Elles préviennent les déportées et leur disent de ne pas venir au Revier, elles en soignent en cachette dans la laverie. Ainsi, l’élite du camp profite d’un statut particulier pour accomplir des actes de résistance, elles font circuler des informations dans le camp. Les soeurs Zimmerspitz comprennent qu’elles doivent obtenir des positions dans le camp pour survivre et se proposent aux SS pour gérer le camp, incitent d’autres Slovaques à faire de même. Le Kanada est ensuite mis en place. Les Juives qui y travaillent échangent des richesses contre de la nourriture auprès des SS.

Le 4 juillet 1942 marque le début de la sélection sur la rampe. 10 % du convoi entre alors dans le camp. Le même mois, Himmler visite le camp. Il demande plus de sévérité à l’égard des détenues et que les corps soient désormais brûlés.

L’installation à Birkenau, août-septembre 1942

Le transfert des femmes à Birkenau se fait dans des conditions sanitaires encore plus dramatiques, caractérisées notamment par le manque d’eau. Les plus âgées et les femmes malades sont gazées. Des femmes se suicident en se jetant sur les clôtures électriques. Les femmes sont désormais tatouées. Les secrétaires sont installées dans les caves d’un bâtiment à part, par crainte des épidémies. Elles comptabilisent les morts au bureau des effectifs. Leur travail est organisé par la communiste autrichienne Steffi Kunke, qui occupe le poste de Rapportschreiberin. Elle décide de résister en envoyant les prisonnières les plus vulnérables dans les kommandos les moins rudes et convainc les communistes de son service de faire du sabotage notamment en détruisant des fiches de déportées.

Le camp des femmes est touché par le typhus. Les SS décident d’exterminer les malades. Les infirmières et les déportées valides les cachent dans la mesure du possible. Les femmes destinées à la chambre à gaz sont enfermées au block 25, nues, sans lits, sans nourriture ni eau. Les « dossiers Gestapo » sont sorties du block et reçoivent une position de kapo, les autres sont exécutées. Les femmes qui donnent naissance à un enfant sont gazées avec leur bébé. Les infirmières juives pratiquent alors des avortements.

La nuit du 5 octobre 1942, un massacre a eu lieu dans le camp de Budy : 90 femmes juives ont été tuées à coups de hache, de crosse et de matraque. Les surveillantes SS ont demandé aux prisonnières allemandes de battre les juives instruites. Une kapo soupçonne une révolte et appelle les SS qui les massacrent. Le carnage sert de prétexte à Rudolf Höss pour éjecter Langefeld de la gestion du camp. Maria Mandl la remplace, elle est redoutée par les femmes passées par Ravensbrück. Elle est en effet réputée pour sa violence. A son arrivée, elle remplace l’encadrement et éjecte les juives de l’administration du camp, de l’hôpital, de la blanchisserie.

Premier hiver à Birkenau, septembre-décembre 1942

Le médecin Horst Schumann se livre à des expérimentations sur les déportés au moyen de deux machines à rayons X afin de les stériliser. Là encore, les déportés se livrent à des sabotages. Les expériences s’arrêtent lorsque le médecin attrape le typhus. Certaines femmes tiennent tête aux SS comme Magda Hellinger, qui obtient ainsi des vêtements pour les déportées. Parmi les actions de résistance, un livre des mortes polonaises est établi par des déportés et les sionistes de l’Hachomer Hatzaïr se réunissent.

L’unité du docteur Clauberg, janvier-avril 1943

Le docteur Clauberg reprend les expérimentations médicales et procède à des injections dans l’utérus de déportées afin de les stériliser.

Katya Singer succède à Steffie Kunke, décédée du typhus, au poste-clé de Rapportschreiberin. C’est la première juive à occuper un poste aussi important. Elle conclut un accord avec les Polonaises pour constituer des équipes mixtes. Elle instaure un comptage plus précis, ce qui permet de réduire les temps d’appel et de sauver des vies. Les informations plus précises, notamment sur la profession des déportées, permettent de transférer plus facilement les plus fragiles vers des kommandos moins durs. Katya Singer modifie les matricules des femmes condamnées à la chambre à gaz sur les listes, les remplaçant par ceux de femmes déjà mortes. Le stratagème n’a jamais été découvert par les nazis. Le personnel administratif est transféré dans un block modèle, le block 12. Il s’agit du block visité par les délégations SS.

Les femmes cobayes, février-avril 1943

Carl Clauberg a insisté pour pouvoir poursuivre ses expérimentations médicales loin de Birkenau. Rudolf Höss finit par accepter de créer un block d’expérimentations pluridisciplinaires à Auschwitz, dans le block 10. Comme le souhaite le médecin, les cobayes sont choisis sur la rampe. Trois autres médecins le rejoignent : Horst Schumann, Edouard Wirths et Bruno Weber.

Les femmes sélectionnées comme cobayes passent d’abord par le service de Wirths, qui fait des recherches sur le cancer de l’utérus, puis par celui de Clauberg. Ce dernier fait subir aux femmes de nombreuses opérations. Schumann poursuit ensuite des recherches sur l’irradiation. Weber recrute des scientifiques parmi les déportées et mène des expériences pseudo-scientifiques. Un groupe de déportés, sélectionnés par l’ethnologue Bruno Beger et l’anthropologue Hans Fleischhacker sur des caractéristiques physiques est également transféré à Natzweiler-Struhof. Ils sont gazés à leur arrivée. Leurs corps sont envoyés à l’Institut anatomique de Strasbourg.

La musique et la mort, avril-juillet 1943

Le chapitre évoque peu la musique à Auschwitz hormis les talents d’Helena Citronova qui lui permettent de rester au Kanada. La période est marquée par l’arrivée de Mengele en tant que médecin du camp des Tsiganes, par la création d’un bordel à l’intérieur du camp et par la poursuite d’actions de résistance.

A Auschwitz, les expérimentations se poursuivent, août-décembre 1943

Les expérimentations se poursuivent, affaiblissent les femmes et en tuent un grand nombre. Les irradiations ont cessé suite à un sabotage qui a mis hors d’utilisation une des machines. Le médecin juif Max Samuel se contente de faire des incisions ou de faire des opérations partielles au lieu de stériliser certaines jeunes femmes. Découvert, il est tué. Dering lui succède, enchaîne les opérations, beaucoup de déportées en meurent.

Le camp des femmes se dédouble, juillet-décembre 1943

Le nouveau camp des hommes est achevé, une partie des femmes est transférée dans l’ancien camp des hommes. Désormais, la séparation entre hommes et femmes est beaucoup plus marquées, rendant quasi impossibles les rares communications. D’autre part, les Mischlinge sont transférées à Ravensbrück en août 1943. Alma Rosé obtient la direction de l’orchestre et de meilleurs conditions pour les musiciennes. Surtout, elle obtient qu’elles ne soient pas exposées aux sélections. Seule la flûtiste Charlotte Croner, atteinte du typhus, est gazée. Une déportée juive, Helen Spitzer dite Tsipi, réalise des plans et une maquette pour les SS dans l’optique de servir aussi de preuves plus tard. Dans l’immédiat, la maquette sert aussi à la résistance du camp. Henrik Porebski, seul homme du camp des femmes et chargé de la maintenance des crématoires, illumine une maquette. Cela lui permet à la fois de la consulter et d’organiser des communications entre couples séparés. Désormais, les déportées travaillent pour une usine d’armement.

Parmi les actes de résistance, la danseuse Francesca Mann, emmenée à la chambre à gaz, refuse de se déshabiller avant de subtiliser l’arme d’un SS. Elle en tue un, tire sur un 2e qui reste infirme. En décembre 1943, Rudolf Höss est évincé. Auschwitz se divise en 3 parties. Chacune est dirigée par un commandant.

La résistance s’organise, janvier-mai 1944

Les hommes du Sonderkommando récupèrent de l’or et des bijoux pour se fournir des explosifs et des armes. Ils s’appuient sur la protection de Yakov Kaminski, chef des kapos des crématoires. Ce dernier peut se déplacer et discute avec des membres de la résistance. Il incite les travailleurs du Kanada à sauver les mères en leur disant de confier leur enfant à une femme âgée. Ils conseillent aux jeunes gens de dire qu’ils ont 18 ans, qu’ils sont artisans.

Dans l’usine Union, les prisonnières manipulent de la poudre explosive. Elles sont très surveillées, les hommes du Sonderkommando doivent donc trouver une intermédiaire : il s’agit de Mariska Slavtseka, qui promet du pain à une secrétaire de l’usine, Ala Gartner. Fournir du pain nécessite de sortir des vêtements du Kanada. Toute une organisation se met en place, grâce à Roza Robota. Cette dernière organise le réseau dans le camp des femmes et remet la poudre aux hommes. Parallèlement, des expérimentations sont menées pour fabriquer des cocktails Molotov. Le temps presse avec l’arrivée des Hongrois…

Le temps des Hongrois, mai-juillet 1944

En Hongrie, le régent Miklos Horthy tente de négocier une sortie de la guerre avec les Alliés pour son pays. Le pays est alors envahi par les nazis. Le Eichmann Kommando met en place une déportation rapide car les Alliés avancent rapidement. L’objectif est de déporter 137 400 juifs en 8 semaines à Birkenau. Horty arrête les déportations dans la zone de Budapest. Eichmann fait repartir les convois.

Mai 1944 marque aussi le retour de Rudolf Höss à Auschwitz. Il s’appuie sur Otto Moll, ancien chef des crématoires pour mener à bien l’extermination des juifs hongrois. Ce dernier estime que les quatre crématoires sont insuffisants. Il renforce les Sonderkommandos, qui comptabilisent désormais près de mille hommes. Otto Moll leur fait creuser des fosses d’incinérations afin de brûler les corps à ciel ouvert.

Il s’agit également d’effacer les traces : ces « juives en transit » ne sont pas enregistrées ni tatouées. Cependant, les listes des convois sont tenues à jour afin de procéder aux deux appels quotidiens. Les juives non hongroises déclarées « aptes au travail » continuent à être enregistrées, de même que les non-juives.

De nouveaux entrepôts sont construits. Les femmes du Kanada II sont logées dans un petit camp près de ceux-ci mais aussi à proximité des crématoires. Roza Robota les contacte pour récupérer des biens de valeur pour la résistance.

Mengele repère environ 250 paires de jumeaux dans les convois hongrois. Il affecte dans son équipe l’anthropologue Martyna Puzyna. Horrifiée, elle accepte donc de réaliser des copies des dossiers du médecin nazi pour la résistance. Ces documents sont enfouis dans le sol, protégés dans des boîtes en métal. Ils concernent 295 prisonnières juives et 117 jumeaux. Beaucoup de ces expériences se terminent par la mort des sujets et des autopsies. Un reportage photo est demandé par Eichmann et Himmler. Ernst Hofmann et Bernhard Walter photographient l’arrivée des convois à partir du 26 mai 1944. Ces images figurent dans l’album d’Auschwitz retrouvé par Lili Jacob à Dora. Le camp est surpeuplé en raison de l’arrivée massive des convois, les nouvelles arrivantes sont parquées, nues, dans une nouvelle section surnommée le Mexico.

La résistance en action, juillet-décembre 1944

La résistance du camp gagne en ampleur. Alberto Errera, membre du Sonderkommando, prend clandestinement trois photographies d’un crématoire en août 1944. La révolte du Sonderkommando s’appuie sur les femmes du Kanada II.

Les actions sont multiples :

  • Vera Foltynova et Krystyna Horczak vont sortir des plans des crématoires.
  • Roza Robota et Mała Zimetbaum disent aux déportées de se précipiter vers les barrières électrifiées si elles sont emmenées à la chambre à gaz.
  • Quelques nouvelles parviennent jusqu’au camp, notamment par l’intermédiaire des secrétaires et des ouvriers agricoles. La nouvelle du débarquement en Normandie circule.
  • Mała Zimetbaum et son petit ami Edek Galinski s’enfuient du camp, déguisés en SS et plombier.

Les Tsiganes sont éliminés en août 1944.

Katya Singer est arrêtée, mais ses deux cousines ont dérobé de l’or et parviennent à lui sauver la vie. L’ordre la transférant au Struthof est bien transmis mais pas celui ordonnant de la gazer à son arrivée.

Le camp est bombardé, de nombreux SS sont tués en septembre 1944. C’est également le mois où Mala Zimetbaum et Edek Galinski sont exécutés. Mala tente de se taillader les veines, puis donne un coup de poing au SS qui l’en empêche. La mise en scène de son exécution a échoué. Elle aurait été brûlée vive au crématoire.

Le 7 octobre 1944, c’est la révolte du Sonderkommando. Ils attaquent les SS et font exploser le crématoire IV. Les hommes sont abattus, 96 sont abattus après leur évasion. Deux crématoires ont été détruits. L’enquête des SS les conduit à l’usine Union, mais ils ne soupçonnent pas les femmes dans un premier temps. Des ouvrières sont ensuite torturées. Roza Robota est finalement dénoncée. Arrêtée, elle ne dénonce pas ses camarades. Certaines sont exfiltrées vers d’autres camps grâce aux déportées du Bureau des effectifs. Yakov Kozalczyk, un kapo, soigne les filles torturées, passe des messages, aide les femmes à faire coïncider leurs versions.

Les détenues sont ensuite évacuées vers des usines ou d’autres camps. Les crématoires sont démantelés.

L’évacuation, janvier 1945

Après les dernières exécutions, celles des femmes ayant participé à la révolte du Sonderkommando, dont Roza Robota, les SS procèdent à l’évaluation des détenues avec les longues marches. 7000 déportés , dont 4000 femmes et 700 enfants sont encore à Auschwitz à l’arrivée des troupes soviétiques, le 27 janvier 1945.

 

Les femmes d’Auschwitz-Birkenau laisse une grande place aux parcours individuels des déportées, contribuant à leur redonner une identité. Chochana Boukhobza décrit parfaitement les rapports de pouvoir au sein du camp, les différents statuts. Les actions de résistance sont particulièrement mises en valeur, ainsi que l’organisation des réseaux de résistance.