Dans la rubrique « Passeur d’Histoire », Thomas Rabino s’entretient avec Danièle Delorme, née Danièle Girard en 1927, actrice dans une cinquantaine de films et une trentaine de pièces de théâtre. Son père, André Girard, était un artiste, dessinateur de presse, scénariste de Jean Renoir, peintre, ami de Le Corbusier, de Django Reinhardt, de Michel Simon, des peintres Georges Rouault et Bonnard… et fondateur du réseau Carte.

« Mon père ne voulait pas voir les Allemands dans Paris. Son père est mort au début de la guerre de 1914, et pour lui, l’Allemagne représentait tout ce qu’il haïssait ». Danièle garde un bon souvenir de l’exode ; elle avait treize ans, « on bougeait, et j’adorais quand ça bougeait (…) Mes sœurs et moi, nous chantions jusqu’à ce que mon père nous ordonne de la boucler ».

En novembre 1940, la famille Girard s’installe à Antibes. André Girard exige que sa fille continue d’apprendre le piano ; elle lui annonce qu’elle veut devenir comédienne. Très tôt, il s’engage dans des activités de résistance : « Nous avons compris de quoi il s’agissait dans le courant de 1941, quand il a demandé à ma sœur aînée de taper un texte à la machine. C’était un rapport adressé aux Anglais. Après l’avoir lu, nous l’avons embrassé. Quelle fierté ! (…) Du coup nous voulions absolument participer (…) Nous avons commencé par passer des courriers, des documents ». Danièle rencontre Gérard Philippe et apprend le métier de comédienne. André Girard est exfiltré vers l’Angleterre en février 1943 ; son épouse est arrêtée en avril et Danièle peu après. Avec beaucoup de sang froid, elle s’évade du siège cannois de la Gestapo. Engagée dans un film que tourne Marc Allégret, elle change de nom sur le conseil de Bernard Blier et devient Danièle Delorme.

Elle ne revoit son père qu’à la fin de la guerre : « J’étais devenue très à gauche et ça le contrariait beaucoup. Pire encore, j’avais appris à vivre ma vie comme je l’entendais, ce qui le contrariait encore plus. J’étais amoureuse de Danièle Gélin, j’étais tombée enceinte et ça le scandalisait. Par une chance extraordinaire, ma mère est revenue de Ravensbrück. C’est tout ce qui comptait ».

Eric Kerjean consacre un article à « Wilhelm Canaris : L’espion d’Hitler ». Il montre que, si Canaris rejoignit l’opposition à Hitler dès le printemps 1938, ce fut pour l’espionner et la paralyser : il fut en réalité « l’un des plus fidèles serviteurs du Führer ».

Canaris fut impliqué dans l’assassinat de Karl Liebknecht et de Rosa Luxemburg puis il fut nommé juge assesseur auprès de la cour martiale lors du procès des meurtriers. Il remplit avec zèle sa mission de protéger les accusés et de masquer les conditions réelles de l’assassinat. Il participa au putsch de Kapp, à Berlin en mars 1920 puis milita au sein de l’organisation d’extrême droite, Consul. Officier de marine, il fit la connaissance de Reinhard Heydrich dont il devint l’ami : les deux hommes avaient les mêmes opinions nationalistes, antisémites et antirépublicaines. Ils participèrent à la préparation du putsch munichois de Hitler en novembre 1923.

En 1935, il reçoit pour mission de réorganiser l’Abwehr sur le modèle des services secrets britanniques, et d’établir une meilleure coopération avec le SD (service de renseignements de la SS) de R. Heydrich, et par conséquent avec la SS de Himmler. L’amitié de Canaris et de Heydrich facilite un rapprochement rapide entre les deux services de renseignements : à l’Abwehr, le renseignement militaire, à la Gestapo et au SD, le renseignement politique.

Trois ans après sa prise de fonction, Canaris intègre la résistance militaire à Hitler, au moment où elle émerge ; il en devient même la figure tutélaire. Mais en réalité, il la contrôle, la surveille et la manipule. En 1939, il s’implique dans la préparation du casus belli monté contre la Pologne : il livre à Heydrich les 150 uniformes polonais qui seront portés par les hommes du SD pour l’attaque du poste émetteur de Gleiwitz sur la frontière germano-polonaise, provocation visant à faire croire à une attaque polonaise. « Canaris ne sera jamais un agent double : il reste un simple agent au service du Führer et joue à partir de 1938 double jeu avec ceux qui, à ses yeux, sont des traîtres ».

Sous le titre « Vers la guerre mondiale », François Delpla fait un tableau de la situation diplomatique au début de 1941. Les Etats-Unis émettent un signe clair de rapprochement avec l’Angleterre : le discours de Roosevelt sur « l’arsenal de la démocratie » (29 décembre 1940) annonce la levée d’un obstacle majeur concrétisé par la loi prêt-bail de mars 1941, qui autorise le président des Etats-Unis à « prêter » du matériel de guerre à tout pays dont il estime la défense utile à celle des Etats-Unis. Du 9 janvier au 8 février 1941, Harry Hopkins, l’homme de confiance de Roosevelt, effectue une visite en Angleterre. Halifax est nommé ambassadeur à Washington, ce qui débarrasse Churchill d’un défaitiste écouté et lui permet de le remplacer par Anthony Eden, beaucoup plus antinazi. Les premières conversations entre officiers anglais et américains aboutissent à énoncer le principe « Germany first », signifiant que, si les Etats-Unis se trouvaient un jour en guerre à la fois contre l’Allemagne et le Japon, ils donneraient la priorité à la lutte contre Hitler.

Hitler de son côté, continue à mettre à profit la guerre contre l’Angleterre pour masquer le plus possible ses préparatifs d’attaque contre l’URSS. Il espère encore que Churchill puisse être remplacé par des conspirateurs ; il est sans doute informé du projet de Rudolph Hess de gagner l’Angleterre pour y décrocher un traité de paix. Hitler profite des déboires de Mussolini pour occuper les Balkans (action programmée le 13 décembre), habile manière d’élargir le front d’attaque contre l’URSS. Il maintient néanmoins « un contact étroit, sinon amical, avec Staline ». Churchill envisage un rapprochement anglo-soviétique, mais il se heurte aux cadres du Foreign Office qui font preuve d’un « manque total de confiance » dans Staline et dans le potentiel économique et militaire de l’URSS.

Le Japon s’est doté d’un nouveau ministre des Affaires étrangères, Matsuoka, « qui va pendant un an chercher la quadrature du cercle : comment profiter des succès allemands contre la France, l’Angleterre et la Hollande pour étendre ses possessions au détriment de ces trois pays (maîtres en Asie de colonies importantes) sans fâcher outre-mesure les Etats-Unis ? » L’amiral Nomura, ambassadeur extraordinaire à Washington, va chercher toute l’année la voie d’un compromis avec les Etats-Unis. Son échec déclenchera l’attaque de Pearl Harbor, envisagée cependant depuis le début de 1941. Les services de l’amiral Yamamoto élaborent en effet un plan très détaillé, s’inspirant de la victoire britannique sur la flotte italienne à Tarente, le 14 novembre 1940.

David Zambo analyse « L’échec de la guerre parallèle de Mussolini » et ses conséquences. La fin de l’automne 1940 coïncide en effet avec le début des revers que subissent les forces italiennes sur tous les fronts où elles sont engagées : Grèce, Albanie, Corne de l’Afrique, Cyrénaïque, Méditerranée. La situation devient si catastrophique que Hitler envisage avec crainte la chute du régime fasciste. Il ordonne d’accélérer l’envoi d’une unité blindée en Tripolitaine et choisit personnellement Rommel pour la commander. Les premiers chars débarquent à Tripoli le 14 février 1941. Les Italiens doivent admettre que le commandement des troupes, y compris celui des unités blindées italiennes, demeurera aux mains des Allemands.

Matthieu Boisdron expose comment « La Roumanie succombe à l’Axe » au début de 1941. En avril 1939, la France et le Royaume Uni avaient accordé à la Roumanie et à la Grèce leur garantie, en cas d’agression. C’est l’effondrement de la France et les exigences soviétiques qui vont obliger le roi Carol II à réorienter sa politique étrangère vers l’Allemagne.

Le 26 juin 1940, Molotov convoque l’ambassadeur roumain à Moscou et exige que la Roumanie cède à l’URSS la Bessarabie et la Bukovine septentrionale (qui n’était pas prévue dans l’accord germano-soviétique). La Roumanie doit céder ; elle perd un territoire de 51 000 km2 peuplé de presque quatre millions d’habitants. En août, le roi doit accepter de céder à la Hongrie les deux tiers de la Transylvanie : 43 000 km2 peuplés de plus de deux millions et demi d’habitants. C’est ensuite la Bulgarie qui obtient une rectification de frontière à son profit. « Le démembrement du royaume roumain permet au Führer de contenter ses petits alliés orientaux et de mettre en grande difficulté un souverain dont il ne veut plus à la tête d’un pays qu’il est dorénavant décidé à satelliser. »

Pour éviter le pire, Carol II forme un gouvernement pro-allemand le 4 juillet 1940, incluant quatre membres de la Garde de fer, mouvement nationaliste, fasciste et antisémite. Deux mois plus tard il appelle à la présidence du Conseil le général Antonescu, proche de la Garde de fer. Antonescu réclame les pleins pouvoirs ; les ayant obtenus, il exige l’abdication du roi qui remet sa couronne à son jeune fils Mihai et quitte la Roumanie. Antonescu proclame la Roumanie « Etat national légionnaire » et confie la vice présidence au chef de la Garde de fer, Horia Sima. Il signe le pacte tripartite tandis qu’une mission militaire allemande s’installe à Bucarest.

La Garde de fer s’insurge à Bucarest en janvier 1941 et déclenche un terrible pogrom. Antonescu brise l’insurrection avec le soutien de l’armée. Les Allemands défilent à Bucarest ; ils réorganisent et équipent l’armée roumaine qu’Antonescu est bien décidé à faire participer à l’attaque de l’URSS. Dans l’Europe allemande, la Roumanie sera bien plus un satellite qu’un partenaire.

Yann Mahé consacre un article à un aspect peu connu de l’expansion japonaise en Asie : « La guerre franco-thaïlandaise, sous titré « Le Japon avance ses pions en Asie». Le 24 juin 1932, les nationalistes thaïlandais prennent le pouvoir à Bangkok par un coup d’Etat ; ils abolissent la monarchie absolue au profit d’un régime constitutionnel. En 1938, le colonel Phibun Songkhram, admirateur de Hitler et de Mussolini, instaure une dictature militaire ultranationaliste et change le nom officiel de Siam en Thaïlande (« Pays des Thaïs »).

Exigeant le retour sous le giron de Bangkok de territoires jadis colonisés par la France, il rouvre un vieux contentieux colonial. Les manifestations irrédentistes se multiplient, l’armée thaïlandaise monte plusieurs incidents de frontières, jusqu’à ce qu’éclatent de véritables opérations de guerre (novembre 1940). Malgré une nette victoire navale française (janvier 1941), le conflit s’enlise. Craignant une intervention diplomatique anglo-américaine, le Japon impose un cessez-le-feu, puis un armistice, puis un traité de paix que la France doit accepter à contrecoeur : elle cède à la Thaïlande deux provinces laotiennes et des territoires cambodgiens pris au Siam en 1904 et en 1907. La Thaïlande savoure sa victoire, mais elle devient un satellite du Japon qui l’intègre dans la « Sphère de coprospérité de la Grande Asie orientale ».

Le dossier intitulé : « Etats-Unis/URSS. La double inconnue » s’efforce de faire le point sur les capacités militaires de ces deux puissances au début de 1941.
L’article de Nicolas Bernard, « La crise de croissance de l’armée soviétique » montre que l’Armée rouge souffre de graves dysfonctionnements et de nombreuses faiblesses. La « Grande Terreur » a décimé les cadres, les effectifs des régiments ne sont pas remplis, l’armement portatif est hétérogène, l’hygiène des casernements déplorable, l’entraînement lacunaire, la mécanisation aléatoire, l’aviation dépassée.

Plus stupéfiante encore, « L’impréparation américaine », présentée par Yannis Kadaris à partir de « L’exemple du char ». Quand, le 1er septembre 1939, jour de l’invasion de la Pologne par la Wehrmacht, le général Marshall est nommé chef d’état-major de l’armée américaine, celle-ci est presque inexistante, se classant au 16e rang mondial, derrière les armées roumaine et turque. Le matériel est obsolète, les casernes délabrées, les fusils vieillots, les armes automatiques rares, le parc mécanisé inexistant ! Marshall est conscient de la nécessité d’une mutation rapide ; il fait appel à un défenseur de la mécanisation, le Brigadier General Adna Chaffee, « un visionnaire coriace, à considérer au même titre qu’Estienne en France ou Guderian en Allemagne ». Chaffee se heurte aux généraux conservateurs qui ne jurent encore que par les charges de cavalerie.

Marshall organise en mai 1940 de grandes manœuvres en Louisiane qui ont pour objectif d’appréhender l’efficacité des chars et de la comparer à celle de la cavalerie. « Pour immerger la troupe dans une ambiance de guerre réaliste, les militaires n’ont rien négligé, faisant appel à des experts dans les effets spéciaux à Hollywood. Ont ainsi été prévus de puissants hauts-parleurs diffusant des bruits de combat enregistrés (…), des grenades fumigènes (…), des tirs nocturnes de feux d’artifice rougeoyants ». De nombreux journalistes assistent aux manœuvres, ainsi que des hommes politiques et des généraux, parmi lesquels Marshall, Eisenhower, Patton, Bradley.

L’efficacité des chars sur le terrain est démontrée, au moment même où les Panzers déferlent sur la France. Les images des manœuvres de Louisiane s’ajoutent aux actualités cinématographiques venues d’Europe pour montrer aux dirigeants et à l’opinion publique américaine l’immense retard de leur armée. Le New York Times titre à la une « Panzers for us too ! ». Alors se déploie la puissance de la réaction américaine. Un programme immense d’armement est lancé : 3500 chars devront être construits en 18 mois. Il faut rapidement concevoir et construire l’usine ; elle sera implantée à Détroit, dirigée par le patron de Chrysler, dessinée par l’architecte Albert Kahn et construite dans un matériau nouveau, le béton armé. Elle est inaugurée en mars 1941 et le premier char sort de ses chaînes de fabrication le 24 avril. Bientôt ce sont 300 chars qui en sortiront chaque mois, puis davantage, jusqu’à ce qu’il en sorte près de 900 en décembre 1942. A lui seul ce complexe industriel de Détroit produira 25 000 des 90 000 chars fabriqués aux Etats-Unis pendant la Seconde Guerre mondiale. « La machine militaro-industrielle américaine, prodigieuse d’efficacité et impressionnante de productivité est en train de se mettre en branle ».

A lire encore quelques pages extraites du livre publié récemment par Simon Sebag Montefiore chez Perrin dans la collection Tempus, « Staline. La cour du tsar rouge ». Les extraits choisis racontent l’immense stupéfaction de Staline et de son entourage apprenant l’attaque allemande, le 22 juin 1941 au matin.

Le magazine Cinéma de Jérémy Ferrando est consacré au « Film de pirates. Une aventure hollywoodienne ».

© Joël Drogland