Les éditions La Louve qui démontrent avec bonheur qu’en matière d’éditions, comme dans bien d’autres domaines, il est possible de vivre et de travailler en dehors de Paris, publient cette année un superbe recueil de 26 fabliaux du XIIe et du XIIIe siècle originaires de la France du Nord. L’éditeur a fait le choix de présenter ces textes dans les deux langues de l’époque, langue d’Oil et Langue d’Oc, le tout assorti d’une traduction française de bonne facture.
A propos de langue d’Oc, l’éditeur a fait de choix de publier en occitan moderne, ce qui peut-être discuté par des puristes, mais permet tout de même d’utiliser une langue très riche et qui rend compte de cet univers très particulier du moyen âge.
Langue d’Oc et d’Oil
Il y aurait beaucoup à dire par exemple sur ce superbe fabliau philosophique, « le vilain qui conquist paradis par plait », librement traduit en français par « le paysan qui conquit le Paradis en baratinant ». Dans ce conte, le vilain affronte successivement Saint Pierre, Saint Paul et Saint Thomas, ceux qui ont renié, combattu et douté du Christ avant de le reconnaître comme leur Seigneur. Vaincu par cette rhétorique, Dieu le Père finit par l’admettre en son Paradis.
Dans « la sorisete des estopes, » « la petite souris dans l’étoupe, on évoque un benêt, ignorant des plaisirs qu’une femme peut apporter. Le curé, sans doute plus au fait de la question propose, en toute sainteté, d’initier la femme à la question. Le problème est que cette dernière, encline à succomber aux assauts du clerc, l’est beaucoup moins pour ceux de son mari.
Morale misogyne
Evidemment, la morale de cette histoire est forcément misogyne. Le benêt ignorant des choses du sexe, confond « la chatte » et un panier d’étoupe dans lequel se trouve une souris. On imagine la suite.
« La damoiselle qui ne pooit oïr parler de foutre » est un récit plutôt long qui pose le problème de l’ordre social, à partir d’une histoire salée et franchement misogyne encore une fois.
Un riche paysan avait une fille qui tombait en pâmoison lorsqu’elle entendait « parler de cul ». Impossible alors pour ce brave homme d’embaucher le moindre journalier, ces individus ayant un vocabulaire assez peu châtié, dans lequel le mot « couille » sert de virgule, et celui de « foutre » de point à la ligne.
Histoire sociale
Un jeune homme au fait de cette particularité de la damoiselle se fait embaucher par ruse et parvient à la séduire dans une succession d’allégories où le pré, les jumeaux et le poulain qui finit par s’abreuver à la fontaine s’inscrit dans cette veine allusive ou les parties honteuses sont désignées par d’autres noms que les mots crus en usage à l’époque. Ainsi le clitoris (rarement désigné à cette époque) devient le sonneur tandis que les « couilles » répondent au surnom de maréchaux.
Dans « Charlot le juif », attribué à Rutebeuf, le grand poète du moyen âge dont la vie est mal connue, les puissants seigneurs sont décrits avec cruauté pour leurs travers que sont la ruse et l’avarice. Mais la morale est sauve et ce seigneur qui essayait de payer son ménestrel d’une peau de lièvre se retrouve bien emmerdé, on ne dira pas comment sans sombrer dans la scatologie.
Dans cette série de fabliaux, on pourra bien entendu trouver des thèmes récurrents, celui de l’inversion de l’ordre social, comme dans « la dame châtrée », la critique de la noblesse dans « la malle de honte » et celle des rapports entre le clergé et l’argent dans « le testament de l’âne » attribué à Rutebeuf dont l’œuvre rassemble au moins 55 fabliaux.
Ces fabliaux sont davantage irrespectueux que vraiment pornographique même si le vocabulaire est quand même très cru parfois. Cependant ces fabliaux proposent une belle vision de la société de cette époque.
Sans prétention scientifique mais avec le souci de rendre accessible des textes rares et importants, les éditions La Louve signent ici une belle réussite éditoriale.