Et on ne sort pas déçu de cette lecture. Servi par la plume de Michel Pastoureau, cette histoire n’a pas l’ambition d’être une histoire des animaux, l’auteur ne s’en cache pas, et les partis pris sont rapidement annoncés : des animaux de l’ère occidentale, le moyen-âge et les animaux fétiches de l’auteur sont privilégiés, l’ours ( « l’ours amoureux d’Antoinette Culet », « Teddy Bear ») et le cochon (cinq articles). Les 40 animaux choisis ne bénéficient pas d’un traitement égal en termes de pages mais un équilibre chronologique est maintenu, une présentation des faits est réalisée, suivie d’un commentaire mettant en lumière les enjeux historiques pour chaque animal. Suprême intérêt, on découvre ou re-découvre, des pans de notre histoire à peine évoqués lors de nos études ou totalement passés sous silence.
Impossible de rendre compte des quarante portraits réalisés, alors tentons d’en extraire l’essentiel.
Quoi de commun entre les animaux de l’arche de Noé et Milou ? Entre le cheval de Troie et les sangliers d’Obélix ? Entre la louve romaine et Nessie ? Pas grand-chose, les uns sont empruntés à la Bible (le serpent du péché originel), d’autres à la mythologie (le minotaure),, d’autres encore à la littérature (le bestiaire des fables de La Fontaine), enfin certains ont une existence réelle ( les éléphants d’Hannibal). Mais tous, grâce à l’érudition de Michel Pastoureau, nous renseignent sur la vie religieuse et sociale, l’économie et les perceptions des hommes de leurs époques respectives, ou ont infléchit le cours de l’histoire.
Les animaux et la grande histoire
Ainsi, qui sait que l’histoire du royaume de France a changé de cours par la « grasse » ou plutôt à cause d’un cochon. Voilà toute l’histoire du cochon régicide : en 1131, mourut Philippe, fils de Louis VI et successeur désigné, des suites d’une chute de cheval, conséquence d’une collision avec l’un de ces cochons gyrovagues, éboueurs des rues médiévales. « Mort honteuse » diront les commentateurs, tant le cochon est souvent dénigré au moyen-âge, voire jugé et condamné à mort telle la truie de Falaise (1386), coupable d’avoir tué un nourrisson. Honteuse donc mais lourde de conséquences amenant à la tête du royaume un prince destiné au clergé, Louis VII, dont le long règne fut plus que douloureux par certains aspects.
Les éléphants d’Hannibal nous sont mieux connus, on a tous en tête l’image d’Epinal de ces mastodontes dévalant sur l’armée romaine, balayant les légions et donnant une éclatante victoire à Carthage. L’utilisation de ces animaux pour la guerre n’était pas l’apanage des Carthaginois, Michel Pastoureau évoque des origines indienne et perse. Les victoires italiennes d’Hannibal furent en fait l’apogée et le champ du cygne de l’éléphant de guerre ; désormais, les Romains avaient trouvé une parade à cette armes de « destruction massive ».
Les animaux, révélateurs d’une époque
Revenons-en à Milou. En quoi le compagnon préféré de Tintin est-il révélateur de quoique ce soit ? Milou est un fox-terrier et au début des années 30, dans les bonnes sociétés de l’Europe occidentale, la mode est au fox ; son caractère et sa fougue expliquent son succès. Le choix d’Hergé n’est donc pas anecdotique : prendre un fox-terrier, c’est annoncer la couleur : les histoires de Tintin, reporter aux goûts de luxe et/ou issu d’un milieu aisé, n’auront rien d’un long fleuve tranquille.
Autre temps, autre animal : la bête du Gévaudan. Point la peine de rappeler les faits et les multiples victimes qui lui sont attribuées comme le fait si bien l’auteur ; l’intérêt n’est tant dans l’histoire elle-même mais plutôt dans ce qu’elle génère de diffusion d’un sentiment, la peur, et de l’information.
Les animaux et la symbolique
Que l’on prennent le cheval, le taureau, le lion…tous ont été associés à des valeurs: valeurs positives pour le cheval (de Troie de la page 49), synonyme de mouvement parfait chez les Grecs, le taureau (le Minotaure de la page 38), symbole de fertilité ; représentant du diable pour le chat (de la rue Saint-Séverin, 1730), tout comme le lion, animal sans pitié.
Mais cette galerie d’animaux révèle aussi des retournements de situations. Au tournant du premier millénaire, le lion devient une figure positive : fort au lieu de violent, magnanime plutôt que cruel, il devient le « roi des bêtes fauves » et s’installe dans les armoiries des rois d’Angleterre.
Les représentations du chien ont subi même métamorphose ; les chiens de la Rome antique, qui ne surent avertir leurs maîtres de l’avancée des Gaulois dans le Capitole, n’ayant pas « rempli leur devoir de vigilance » (Ellien), eurent à essuyer la méfiance des Romains. La notice se rapportant aux chiens de Charles IX donne à Michel Pastoureau l’occasion d’attirer l’attention sur les mutations de l’époque moderne : les a-priori de l’antiquité romaine laissent place à une sensation proche de « Lassie chien fidèle », le chien devient le fidèle compagnon de l’homme.
Les animaux-outils
Les hommes, au-delà des qualités et défauts attribués aux animaux, ont transformés ceux-ci, et la morale qu’ils charrient, en outils à leur service :
*Dans le domaine politique, la symbolique de la royauté chez les abeilles fut mise au service de celle plus terrestre des Mérovingiens, reprise en son temps par Napoléon 1er.
*Le recours de la science aux animaux pour ses travaux ; le dernier article est consacré au clonage de la brebis Dolly. Sans s’avancer sur le bien-fondé et le futur du clonage, sont rapportés quelques détails éclairants, parmi d’autres explications, le choix d’une brebis pour cette première expérience. Le mouton fut, avant le chien, le plus ancien animal domestiqué par l’homme et reste le « mammifère domestique le plus répandu sur la planète ». Le fait qu’il soit justement un mammifère, comme l’homme, n’est pas non plus neutre. Et quand on sait que le clonage de Dolly a eu lieu en Ecosse, où le mouton est roi, on peut affirmer à la suite de Michel Pastoureau que « tout est culturel ».
C’est à une lecture vivifiante que nous invite Michel Pastoureau. Riches d’anecdotes pour l’enseignant de collège ou le lecteur curieux, source d’enrichissement d’une culture lacunaire s’agissant de l’histoire des animaux, les « Animaux Célèbres » se dévorent d’un trait, incarnant à merveille la lecture plaisir.
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