Pour son ouvrage, Bertram M. Gordon a fait appel à 103 auteurs, parmi lesquels se trouvent les grands specialistes américains, tels Robert O. Paxton, Stanley Hoffmann, Michael R. Marrus, et européens, tels Dominique Veillon, Odile Rudelle, Claire Andrieu pour n’en citer que quelques uns. Disons que les trois cinquièmes des auteurs viennent d’outre Atlantique, qu’un cinquième est français et que les autres auteurs sont européens (britanniques, allemands) ou extra-européens.Leur approche est encyclopédique. Ils ont rédigé 413 articles, généralement d’environ 300 mots, couvrant la période allant de Munich à la naissance de la IVème République. L’ouvrage ne se limite pas aux faits politiques ou militaires. Il accorde une grande importance à l’histoire culturelle, que ce soit la littérature (Marcel Ayme, Sartre, Beauvoir, Blondin, Laurent, Camus, Céline, Claudel, Duras, Gide, etc..), l’art (Art marechal, marche de l’art, Maillol, Picasso..), le cinéma (Casablanca, Les enfants du Paradis, Le chagrin et la pitie, etc..), ou la mode. Le dictionnaire traite également d’histoire économique ou sociale (articles sur les femmes, le corporatisme, le marché noir, l’éducation, la collaboration horizontale, les industriels, l’antisémitisme etc…).Chaque article donne en quelques mots un aperçu historiographique de la question accompagné d’une bibliographie à jour. Ainsi l’historien dispose d’une mine d’informations et d’un outil de recherche particulièrement efficace. Il est bien sur impossible de faire l’analyse d’une telle masse d’informations.
Je voudrais attirer l’attention sur les particularités de l’ouvrage pour le lecteur français, ses singularités par rapport aux ouvrages français correspondants (le livre de J.-P. Azema et F. Bedarida, Les années de tourmente, par exemple). Plusieurs axes de recherche me semblent assez novateurs. D’abord sur les noirs en France. Un article de E.T. Jennings montre leur importance dans l’armée française dès 1940 (9 % des effectifs a comparer aux 3% de 1914-1918) et donne des indications précieuses sur la politique coloniale de Vichy. Dans l’Empire, l’Etat français restaure le travail forcé, réprime les mouvements politiques africains (115 éxécutions), renforce partout l’ordre colonial et la ségrégation dans les trains ou les lieux publics. On connait la suite de Brazzaville à Setif…
Plusieurs articles décrivent le rôle des femmes dans leur vie quotidienne, dans la politique vichyste, dans la Résistance. Il s’appuient sur les travaux de Dominique Veillon, H. Eck ou C. Bertin et également sur les recherches américaines de M.C. Weitz, M.L. Rossiter, M. Pollard. Il est dommage qu’ils ne soient pas complètés par un article sur les femmes et la Libération puisque celle-ci fut également un pas vers la libération des femmes. Symboliquement, Lucie Aubrac, chef résistante, fut également la premiere femme députée.
D’autres articles sont peut-être plus dérangeants pour le lecteur français. Par exemple, l’importance accordée par Bertram M. Gordon à l’armistice « raisonnable » qui aurait privé l’Allemagne de sa victoire et facilité sa défaite (préface et article « collaboration »). opinion qui est contre-balancée par un article plus neutre sur l’armistice.
Certains articles peuvent paraitre a nos yeux français trop courts. C’est le cas de celui consacré à de Gaulle qui nous laisse sur notre faim. La collaboration économique, l’attitude des industriels mériteraient de plus amples développements. Mais il est vrai que la bibliographie est encore assez mince tant les sources demeurent rares.
Pour deux thèmes le dictionnaire me semble en retrait par rapport à la recherche historique française. C’est le cas d’abord de la réflexion sur la Résistance. Tout acte d’opposition à l’occupant n’est pas forcément un acte de Résistance. Les actes des colloques organises par l’IHTP sur « la Résistance et les français » de 1993 à 1997 ont renouvelé la réflexion sur la Résistance au moment ou des impressions divergentes émanaient de la salle d’audience du procès Papon. On renverra au numero 37 des Cahiers de l’IHTP « La Résistance et les français » paru en decembre 1997. Il est vrai que Bertram M. Gordon est un specialiste de la collaboration et que celle-ci beneficie dansle livre d’amples developpements. Peut-on lui reprocher d’avoir accorde moins d’importance a la Résistance ?
Enfin le dictionnaire reste muet sur l’opinion publique sous Vichy. Ce n’est pourtant pas faute d’études sur ce sujet de Paxton à Laborie et Burrin. Peut-être l’ouvrage reflète-il la dérive de cet axe de recherche à travers l’Atlantique.
Le dictionnaire de Bertram M. Gordon sert pourtant bien l’histoire de France en rendant accessible une masse extraordinaire d’informations. Voila un nouvel ouvrage de référence.
Novembre 1998.