Jean-François Sirinelli convie le lecteur à une promenade de mémoire qui réveillera peut-être pour certains des nostalgies. Alors, si vous voulez vous remémorer le temps des transistors, « La grande vadrouille », Michel Polnareff ou encore Coluche, ce livre est fait pour vous. Comme le dit la quatrième de couverture, ce livre propose donc  « entre ce qui change, ce qui reste et ce qu’on a oublié, un portrait délicat de la France et des Français ». Jean-François Sirinelli est l’auteur de nombreux ouvrages parmi lesquels « Les révolutions françaises 1962-2017 » et, plus récemment, « Vie et survie de la Vème République. Essai de physiologie politique »

Ce qui change et ce qui demeure

Dans son nouveau livre, Jean-François Sirinelli s’intéresse à deux mutations socio-culturelles : le triomphe de l’image et du son puis l’avènement d’Internet. Son objectif est aussi de parler des traces, empreintes, rémanences et échos laissés ou répercutés par les images et les sons en circulation au sein de la société française. Comme le dit l’auteur lui-même, le parti adopté est donc bien « sans prétendre à l’exhaustivité, de dépeindre par couches successives, chronologiquement exposées, le passage d’un monde à l’autre ». Le livre est structuré en cinq parties et, on l’aura compris, sous forme de courts articles. Il commence au début des années 50.

L’image et le son à tous les étages

En vingt ans, tout change dans l’environnement sensoriel des Français. Il faut d’abord rappeler que la télévision n’offre que 34 heures de programme par semaine en 1954. Acquérir une télévision représente un mois et demi d’un salaire moyen. En 1960, c’est la naissance de « Télé 7 jours » et la radio reste très présente. Côté cinéma, l’influence des États-Unis est déjà là avec « West Side Story » qui reste cinq ans à l’affiche du Georges V. En France, c’est l’époque des « Parapluies de Cherbourg », palme d’or à Cannes en 1964. De 1962 à 1964, on passe de 3 à 7 millions d’estivants qui gagnent l’Espagne. L’auteur évoque aussi des personnages comme Raymond Poulidor ou Mireille Mathieu.

Demander la lune

Cette deuxième partie commence par la querelle Antoine-Johnny. L’époque est marquée par le plein moment des Trente Glorieuses. Pourtant, l’auteur note aussi que les étudiants mexicains, Jan Palach et les Gardes rouges chinois furent l’envers du décor de cette génération. Il s’intéresse ensuite à  Michel Polnareff et développe le cas de « La grande vadrouille ». En 1957, on totalisait encore en France plus de 400 millions d’entrées au cinéma par an. Le film de Gérard Oury a longtemps représenté le plus grand succès du cinéma français en terme d’entrées. Jean-François Sirinelli souligne que l’historien doit se méfier de ne pas trop vouloir faire dire aux films. Il traite évidemment de mai 1968, en rappelant que les heurts avec les forces de l’ordre n’ont eu lieu en fait qu’au cours de sept journées. Tant qu’à relativiser les chiffres, il faut sans doute revoir aussi à la baisse la mobilisation gaulliste pour n’en dénombrer que la moitié du million revendiqué.

La jeune Vietnamienne et les petites Anglaises

A cette époque, les femmes commencent à acquérir une visibilité plus grande selon l’auteur. Le monde devient aussi peu à peu « une communauté du regard et déjà un empire des émotions largement partagées ». Jean-François Sirinelli rapproche deux évènements à savoir l’affaire Gabrielle Russier et le fait que la femme d’Emmanuel Macron soit plus âgée que son mari. Rarement dans l’histoire, les normes et valeurs n’ont évolué aussi rapidement. Pour l’année 1974, il pointe aussi le fait que l’on retient le nom de Simone Veil mais que, dans le même temps, « Emmanuelle » rassemble plusieurs millions de Français dans les salles. Pour suivre les évolutions sociales, on peut aussi s’intéresser aux films de Claude Sautet ou de Claude Pinoteau. Il ne faudrait pas oublier Michel Lang qui finit dans le trio de tête des entrées en 1976. A l’autre bout du monde se déroule la guerre du Vietnam avec cette photographie devenue iconique. Aron et Sartre s’empoignent ou se rapprochent puis c’est le temps de la candidature de Coluche aux élections présidentielles. Au début des années 80, on a parfois l’impression d’une France immobile si on observe l’affiche de campagne de François Mitterrand.

La France dans un monde globalisé

Si on reprend l’exemple du cinéma, on note que «  La Boum » engrange 4 millions d’entrées en France et quatre fois plus en Europe. L’équipement en télévision continue de progresser dans les années 80. Des évènements sont vécus en direct comme la mort d’une petite Colombienne ou celle de 38 personnes au stade du Heyzel. L’auteur s’arrête évidemment sur la chute du mur de Berlin et sur le 11 septembre 2001. C’est un «  Guernica en direct » dit alors André Glucksmann. L’instantanéité de l’évènement est permise par la diffusion sur les réseaux sociaux de l’annonce des deux impacts.

Dans le tout numérique

Avec Internet, on assiste à un changement d’ère marqué notamment par une modification des jeux d’échelles géographiques et des aires concernées. Prolongeant le film déjà déroulé, l’auteur se penche sur le film « Les invasions barbares » sorti en 2003 mais aussi sur « Camping » sorti quelques années plus tard. Faut-il voir dans ce dernier cas une réhabilitation des classes populaires ? Jean-François Sirinelli pense que oui.  Les films sur l’Algérie ne connaissent pas vraiment le même succès. L’auteur relève que de 1870 à 1962, tout jeune Français de sexe masculin « eut dans son champ des possibles, l’éventualité de la mort au champ d’honneur ». Parmi les autres évènements évoqués, on trouve la mort de Cabu ou les obsèques de Johnny Halliday. L’évolution des sensibilités se voit à travers les réactions suscitées par Gabriel Matzneff en 1990 et aujourd’hui.

Jean-François Sirinelli brosse donc dans ce livre le portrait de la France des années 50 à aujourd’hui. Le lecteur pourra en plus, en fonction de son âge, prendre plaisir à cette  promenade dans ses souvenirs.