« Hitler et les femmes »…avec un tel titre, on est à priori enclin à la méfiance. La peur d’avoir à rendre compte d’un ouvrage bâclé et racoleur, aux limites du fait-divers croustillant, à défaut d’être émoustillant. Il n’en est, heureusement, rien, et c’est une bonne chose. Car l’étude proposée par François Delpla sur les relations entre Hitler et les femmes s’inscrit dans une vaste révision (dans le sens scolaire, évidemment) de l’histoire du personnage et du nazisme en général. Avec un plan chronologique, on revoit donc l’ascension de l’activiste autrichien devenu chef du NSDAP, sa victoire, sa pratique du pouvoir, la préparation de la guerre et l’échec final par le prisme des femmes. On retrouve aussi certains thèmes chers à François Delpla, comme l’explication de l’arrêt de l’offensive sur Dunkerque en 1940 ou sur les raisons qui menèrent à la nuit des Longs Couteaux. On reste un peu sceptique faute de sources quand il affirme que lors de l’effondrement final la fuite d’Himmler et de Göering était simulée et voulue par Hitler afin de tester les Alliés. Mais c’est un autre débat.
Sur les femmes, on trouvera de nombreuses figures : sa mère, celles qui l’ont soutenu, celles qu’il a séduites, aimées, utilisées, oubliées. Parmi les plus marquantes, on notera Unity Mitford, aristocrate britannique, Winifred Wagner, belle-fille de Richard Wagner, Geli, nièce d’Hitler, Eva Braun bien sûr mais aussi Leni Riefensthal la cinéaste et Magda Goebbels. L’idée générale est que Hitler était avant tout dédié corps et âme à l’Allemagne et à l’accomplissement de ce qu’il prenait comme une sorte de destinée romantique. D’où l’idée de ne pas se lier, et surtout pas se marier, avec une femme. Après le suicide de Geli, Eva Braun sera sa maîtresse uniquement, sauf à quelques jours de la fin où il consentira à l’épouser dans une sordide finale. On voit aussi la nécessité d’Hitler de se confier, de parler, d’être rassuré par des femmes de façon régulière, et notamment à la veille de grandes décisions, où il leur impose ses longs monologues. Le magnétisme exercé par le dictateur semble être important, à défaut de ses attraits physiques, et de nombreuses femmes rencontrées par Hitler ne regrettent rien à posteriori. C’est ainsi pour être proche d’Hitler que Magda Goebbels consent à épouser le ministre de l’information et de la propagande, qui n’est pas un Adonis, et, quand tout est fini, c’est elle qui décide l’holocauste final de sa famille en honneur de celui qu’elle considérait sans doute comme un demi-dieu.
Les femmes apaisaient donc Hitler, qui leur vouait souvent une sorte de passion contrariée, dérangeante et piégeante (on le voit bien avec le sort de Geli, sa nièce). On voit aussi Hitler en marieur, faisant épouser celles qu’il aimait à des cadres importants du parti. On voit aussi qu’il passe plus de choses aux femmes qu’aux hommes. Ainsi aux deux seules femmes qui lui reprochent ouvertement son antisémitisme, Leni Riefensthal et Henriette Hoffmann, l’une est remise à sa place, l’autre est oubliée, mais aucune n’est inquiétée pour sa vie quotidienne. Il y a quelques mots sur la libido d’Hitler, qui a donc connu l’acte sexuel de façon assez intermittente et brève avant de se focaliser sur Eva Braun, la plus « people » de ces admiratrices. J’utilise le mot « people » à dessein, car de 1933 à 1938 c’est une véritable cour de célébrités qui entoure Hitler, dans un monde qui n’a rien à envier à celui d’Hollywood.
Au final, l’ouvrage se lit très bien, d’autant plus que nous en connaissons l’issue, et en abordant aussi d’autres personnages masculins, comme Rudolf Hess ou Albert Speer, permet une approche complémentaire de la période 1920-1945 en Allemagne et en Autriche.
Mathieu Souyris, lycée Paul Sabatier, Carcassonne