Basé sur une lecture attentive de différentes sources biographiques, le dernier ouvrage de François Delpla se présente comme : « la véritable histoire du 30 janvier 1933 ». Dans cette approche, qui, ne nous le cachons pas, peut surprendre, l’auteur présente Hitler comme une sorte de démiurge, de « fou génial », suivant une stratégie précise de conquête du pouvoir. Cela remet en cause, d’après l’auteur, différentes analyses, qui font le plus souvent consensus. On pense à celles qui mettent en avant la place des milieux d’affaires et de la droite allemande qui voient en Hitler une sorte de Pantin commode qui a l’immense mérite d’écarter le danger communiste.
Clairement, et même s’il s’en défend, l’auteur rejette les analyses « fonctionnelles » à partir de la crise économique, de la montée du chômage et de la destructuration de la société allemande, pour s’engager sur un chemin tout de même assez risqué, celui que je qualifierai de « dessein intelligent » en référence aux thèses créationnistes.
On retrouve ce dessein intelligent dans une folie qui est celle d’un homme qui « contaminerait, fascinerait, séduirait ses interlocuteurs », en jouant sur la rivalité au sein de son entourage proche.
Une thèse pas si iconoclaste que ça
L’essentiel de l’ouvrage est composé par une juxtaposition de différents petits chapitres, qui viennent appuyer cette thèse, souvent en prenant comme références des sources assez peu connues, même si elles ont été publiées il y a quelques décennies et qui présentent tout de même l’inconvénient d’apparaître comme des justifications a posteriori. Ce n’est tout de même pas le cas pour toutes ces sources, comme les journaux de Goebbels qui a précédé son Führer dans la mort.
La thèse de François Delpla, si elle se présente comme « iconoclaste », est en réalité assez classique. Elle rappelle ce que l’on a pu lire par ailleurs dans cet ouvrage de Georges Castellan, L’Allemagne de Weimar, 1918-1933, publié chez Armand Colin dans la collection U, en… 1972.
Le point de départ serait le premier triomphe électoral de l’Hitler et du parti national-socialiste à partir de 1930. Le gouvernement du chancelier Brüning, issu du parti du Zentrum, compense la fragmentation des forces politiques du fait de la montée en puissance des nazis par l’usage des décrets-lois. Le gouvernement gouverne grâce à l’abstention du parti socialiste.
Encore une fois, certaines affirmations peuvent surprendre, comme le rejet de la corrélation entre la crise de 1929 et les succès électoraux du Hitler. En même temps, même si le chômage ne touche en 1930 que 10 % de la population active, le fait que la majorité de ces chômeurs ne soit pas secourue a quand même des conséquences sociales lourdes. Le chômage atteint 29 % en 1932, et pourtant, le parti national-socialiste voit son score électoral baisser de 4 %. L’argument sans doute intéressant est que Hitler mène des tractations avec le chancelier Brüning qui n’exclurait pas une participation nazie au gouvernement.
Quelques contradictions
Dans le chapitre cinq, « feu le socialisme », l’auteur fait référence à une source qu’il utilise énormément, celle du témoignage publié après guerre par Otto Wagener, mort en 1971, qui se présentait comme le confident et le conseiller économique du Hitler. L’auteur se présente comme l’inventeur d’une sorte de « participation ouvrière » à l’entreprise dans le cadre de l’économie national-socialiste. Ici aussi on rejoint ce que l’on a pu lire par ailleurs, sur l’affirmation d’une « aile gauche » au sein du NSDAP. Cela aboutit à une explication finalement très classique, celle d’un choix « finalement tactique » de Hitler que l’on a déjà pu lire à propos de la période 1920 – 1922 dans l’évolution du parti nazi.
C’est dans le chapitre 6 que l’on trouve quelques notes intéressantes à propos des relations entre Hitler et le Maréchal Pilsudzki, qui conduit les destinées de la Pologne depuis la fin de la guerre contre les bolcheviques. Dans ses échanges avec le vieux maréchal, Hitler aurait développé l’anticipation d’un partage du monde avec l’Angleterre, dans lequel il verrait bien l’Allemagne exercer son autorité sur l’Europe centrale et de l’Est, tandis qu’il laisserait la mer à l’Angleterre.
La vieille thèse du partage de l’Europe avec l’Angleterre
Encore une fois, on reprendra ici les thèses largement développées de François Delpla sur Dunkerque en 1940 et le fait que Hitler aurait souhaité éviter un désastre aux forces britanniques, afin de ne pas les mettre le dos au mur.
On ne trouvera pas grand-chose de nouveau dans le chapitre sept sur les relations entre les sections d’assaut SA et les SS. On retrouve ici de classiques enjeux de pouvoir, une perception assez tactique des inconvénients que l’homosexualité affichée de Ernst Röhm pouvait représenter, et finalement la résolution brutale du problème des SA lors de la Nuit des longs couteaux le 30 juin 1934.
Cela s’explique par ailleurs dans les relations particulièrement détestables entre les frères Strasser et Goebbels, relations qui s’expliquent entre autres par une évocation de la révolte des SA de Berlin contre le parti, juste avant les élections de septembre 1930.
Encore une fois, la thèse du « dessein intelligent » se justifie par une opération de séduction des forces armées à partir de 1929 à laquelle François Delpla consacre le chapitre 11, mais sans véritablement apporter d’autres éléments que des évocations de rencontres souvent informelles et qui ne suffisent pas à étayer la théorie de l’auteur. Cela est d’autant plus paradoxal que l’on revient ensuite sur la tentative de coup d’état menée par le général Von Schleicher en janvier 1931. Cela aurait suffi à favoriser un rapprochement de Hitler avec les officiers supérieurs de la Reischswehr, ce que l’on a quand même un peu de mal à comprendre.
Le lecteur pourra trouver dans cet ouvrage une succession de points de vue étayés par des sources qui sont souvent uniques, des témoignages ou des mémoires, et nous savons qu’ils peuvent être sujets à caution, sur différents thèmes. Y sont abordées les relations entre Hitler et les femmes qui passent de sa nièce Géli à Eva Braun, jusqu’à l’évocation d’une rencontre avec la cinéaste Leni Riefenstahl.
Hitler et le jeu politique
La période 1932 – 1933 est marquée par ce jeu dans lequel Hitler se révèle particulièrement habile, et de ce point de vue on ne peut pas parler d’un Führer qui aurait ramassé le pouvoir, pour lequel on voit l’alternance et la partie d’échecs entre Von Papen et Von Schleicher, l’un et l’autre cherchant à séduire le vieux maréchal Hindemburg, toujours président de la république, qui se résout à confier la chancellerie du Reich à Adolf Hitler le 30 janvier 1933.
Encore une fois, même si l’auteur affirme présenter la « véritable histoire » des événements qu’il traite sur le nazisme et de façon plus générale sur la Seconde Guerre mondiale, on reste encore, surtout lorsque l’on est pas spécialiste de la période, plutôt sur sa faim. De plus, même si l’on peut toujours chercher d’autres explications à ce phénomène particulier dans l’histoire de l’Europe au XXe siècle qu’a été la montée des totalitarismes, il n’est pas évident que l’utilisation de témoignages soit suffisante pour nous amener à réenvisager complètement les travaux antérieurs.
Bruno Modica