Que sait-on vraiment de Jeanne d’Arc ? Etait-ce simplement une bergère de Domrémy qui bouta les Anglais hors de France. Est-elle vraiment morte sur le bûcher ? Etait-ce une bâtarde royale qui entendait des voix ? Ou alors était-ce une sorcière ? Voire un homme…

Voici une multitude d’idées reçues, alimentées par une légende entretenue depuis plus de cinq siècles par nombre d’auteurs, d’historiens, de chercheurs, d’auteurs comme Voltaire qui la tourne en dérision à Schiller (1759 – 1805) qui en fait une walkyrie, en passant par Péguy (1873 – 1914) ou Claudel (1868 – 1955). Sans oublier, bien entendu, les récupérations politiques dont elle fit l’objet par l’Action française et le Front national.

Difficile donc de démêler le vrai du faux. C’est ce à quoi Marie-Véronique Clin, historienne, qui a consacré sa thèse aux sources de l’histoire de Jeanne d’Arc et a été collaboratrice de Régine Pernoud (1909 – 1998 – archiviste et historienne médiéviste et distinguée par l’Académie française pour l’ensemble de son œuvre historique) au Centre Jeanne d’Arc pendant de nombreuses années, a tenté de s’employer dans cet ouvrage.

Jeanne d’Arc (1412 – 1431) est universellement connu sous le nom de Jeanne d’Arc. Pourtant, à son époque, personne ne la dénommait ainsi. Lorsque les juges lui demandant lors de son Procès en Condamnation de décliner son identité, elle répond « qu’en mon pays, on m’appelait Jeannette et lorsque je suis venue en France, Jeanne. Quant à mon surnom, je n’en sais rien. » En effet, de son vivant, elle ne porta pas ce nom « d’Arc » qui était celui de son père. Son nom s’orthographie selon différentes manières dans les documents de l’époque : Darc, Dar, Dars, Dart et aussi d’Ay dernière version figurant sur les lettres d’anoblissement données à Jeanne et à sa famille par Charles VII

Selon Maire-Véronique Clin, si le nom de « Pucelle d’Orléans » a été octroyé à Jeanne après sa mort, il ne désigne pas pour autant une référence au duc d’Orléans ni à une supposée naissance adultérine de Jeanne, qui serait la fille de Louis d’Orléans et d’Isabeau de Bavière. Cette expression apparaît pour la première fois en 1555 dans l’ouvrage allégorique Le Fort inexpugnable de l’honneur du sexe féminin, construit par François Le Billon, secrétaire.

Revenons cinq six siècles en arrière pour camper le contexte où vécut Jeanne d’Arc. Lorsqu’elle naît en 1412, la France va mal, éclatée entre trois pouvoirs distincts : les partisans du roi d’Angleterre, les « Armagnacs » et les « Bourguignons » ces deux dernières factions étant représentées à la cour de France. En 1392, Charles VI sombre dans la folie et devient incapable de gouverner le royaume de France. La reine Isabeau de Bavière est perdue, accorde sa confiance aux uns, puis aux autres. Elle appelle son frère, Louis de Bavière à la rescousse, mais cette ingérence étrangère met le feu aux poudres. Le roi d’Angleterre, Henri V de Lancastre profite de la situation pour faire valoir ses prétentions à la couronne de France. Il traverse avec son armée la Manche et le 15 juillet 1415 a lieu la bataille d’Azincourt qui tourne au désastre pour les troupes du roi de France. Après cette lourde défaite, le royaume se trouve décapité, privé de nombre de ses chefs sans compter les prisonniers emmenés en Angleterre. En 1420 le traité de Troyes qui est signé entre Isabeau, Charles VI et Henri V écarte le dauphin de la succession. Le royaume de France reviendrait donc à l’enfant à naître entre le Catherine de France et Henry V. Cet arrangement installe une double monarchie : deux royaumes, France et Angleterre, sont sous une même couronne. Ce traité ne laisse au roi et à la reine de France qu’un semblant de pouvoir.

Le véritable héritier, le dauphin Charles, se proclame quant à lui roi dans son Pays de Loire, où il s’était réfugié. Mais il ne peut recevoir son sacre à Reims. Or, pour Jeanne comme pour le peuple chrétien de France, sans avoir reçu l’onction du saint chrême, Charles n’est pas roi et demeure le dauphin. Et bientôt, dans ce climat catastrophique un nouveau défi se dessine pour les derniers partisans du dauphin. Les troupes anglaises, avec l’aide des Bourguignons, viennent d’assiéger Orléans. C’est dans cette situation critique que Jeanne apportera son secours au dauphin Charles.

Sur la vingtaine d’entrée qui composent l’ouvrage de Marie-Véronique Clin, j’en choisirais une seule, de façon forcément partiale. Car sujette encore à débat.

Jeanne entendait des voix

Elle explique son départ de Domrémy et sa « mission » de se rendre auprès du dauphin Charles par un ordre reçu d’une voix de Dieu. Elle ajoute que saint Michel, sainte Catherine et sainte Marguerite lui ont parlé de la part de Dieu et qu’elle doit sauver la France des mains des envahisseurs anglais. Mais comment comprendre l’intervention des voix de Jeanne ? Ces voix venaient-elles de Dieu ou des hommes ? Jeanne mentait-elle ? Au cours des siècles, de nombreux historiens se sont posés la question. Les réponses sont parfois surprenantes, comme celle de cette historienne américaine qui explique les hallucinations de Jeanne par sa consommation trop importante de lait de brebis…D’autres explications fondent les voix et visions de Jeanne sur les sentiments incestueux qu’elle entretenait avec son père et ses frères. Pour d’autres, les voix incarnaient des personnes réelles déguisées en saints ou saintes. Cette mascarade aurait été montée sur les suggestions de Yolande d’Aragon (1384 – 1442), belle-mère de Charles VII. Quant à l’idée que Jeanne aurait été manipulée par les hommes d’Eglise, elle naît au XVIIIè siècle avec Voltaire (1694 – 1778) et est reprise par Anatole France (1844 – 1924) qui veut s’élever contre les superstitions « moyenâgeuses ».

Seulement voilà, aux yeux de ses contemporains, Jeanne n’est pas folle. Tous les témoins de l’enfance de Jeanne au Procès en Nullité sont unanimes pour dire qu’elle était saine d’esprit, pleine de vie, mais aussi qu’elle était une enfant sage. Leur Jeannette est généreuse et tournée vers les autres. Elle est pieuse mais non bigote. Bref, une vie de jeune fille où elle allait et venait dans son village, s’amusait avec les enfants de son âge. Jeanne parle de ses « voix » lors de son « Procès en Condamnation » : « Quand j’eus l’âge de 13 ans, j’ai eu une voix de Dieu pour m’aider à me gouverner. Et la première fois j’eus grande peur. Et vint cette voix, environ l’heure de midi, au temps de l’été, dans le jardin de mon père ; je n’avais pas jeûné la veille. J’ai entendu la voix du côté droit, vers l’église ; et rarement je l’entends sans clarté. » Jeanne explique à ses juges à Rouen : « Saint Michel quand il est venu à moi m’a dit que sainte Catherine et sainte Marguerite viendraient à moi et que j’agisse par leurs conseils ». Elle affirme avoir vu ses saints de ses propres yeux. « Croyez-mois si vous voulez » dit-elle aux juges. Ces trois saints font partie de la vie quotidienne de Jeanne, qui voit souvent leur représentation dans les églises où elle va prier. Saint-Michel, le premier d’entre eux, est très présent en Lorraine. Elle devait aussi savoir que la ville de Vaucouleurs toute proche comme celle de Tournai plus au nord et que le Mont Saint-Michel résistait toujours à l’envahisseur anglais. Saint-Michel annonce à Jeanne la venue de Sainte-Catherine et sainte Marguerite, qui seront auprès d’elle pour guider sa vie de tous les jours. Ces deux saintes sont très souvent représentées par des statues en Lorraine. Il faut cependant se faire à l’idée que l’explication des voix de Jeanne demeure un mystère. Pour le croyant, la question peut ne pas se poser car Jeanne est une sainte. Mais constater le bon sens et le réalisme dont elle fait preuve sa vie durant interdit de faire de Jeanne une hystérique. Qu’il s’agisse des combats ou lors de son Procès en Condamnation face à des docteurs en théologie chevronnés, elle répond avec beaucoup de perspicacité et ne laisse aucun doute sur sa bonne santé mentale.

La piété de Jeanne a donc été très remarquée par ses contemporains. Sa relation à Dieu est au centre de sa vie. Elle assiste à Domrémy tous les jours à la messe puis s’attriste de ne pouvoir l’entendre aussi souvent qu’elle le voudrait pendant son voyage jusqu’à Chinon. Dans sa prison, à Rouen, elle demande à recevoir le corps du Christ. Les juges lui opposent un refus catégorique. Elle a pu communier au matin de sa mort. Pour Jeanne, nul doute : elle est l’envoyée de Dieu pour le que le royaume de France qui appartient à Dieu soit mis en « commande », c’est-à-dire en dépôt au roi. Jeanne jusqu’au bout affirme sa foi. Tout au long du procès et même dans les flammes, elle crie trois fois le nom de Jésus.

Au final, bien des questions demeurent sur Jeanne d’Arc. Bien des incertitudes résistent aux études historiques. Mais n’est-ce pas là le lot quotidien de bien des chercheurs ?

Cet ouvrage retrace hardiment les grandes étapes de la vie de Jeanne d’Arc. Très fouillée, cette deuxième édition vient compléter les recherches historiographiques actuelles. On y trouvera également une chronologie fort utile ; une bibliographie pour approfondir le sujet, une annexe comprenant un lexique, quelques témoignages des contemporains de Jeanne d’Arc et des précisions sur les documents retraçant son « Procès en Condamnation ».

 

Un livre a dévorer.

Bertrand Lamon

C Les Clionautes