La campagne de 1806 contre la Prusse se distingue autant par sa brièveté que par  l’ampleur de la victoire. C’est la défaite d’un Etat dont les armées jouissaient d’une grande réputation depuis les succès de Frédéric II. Quelles sont les raisons de ce succès et comment s’est déroulée cette campagne ? C’est ce à quoi l’ouvrage de Frédéric Naulet, auteur de nombreux ouvrages sur le 1Er empire chez Economica, va s’atteler.

 

Les faiblesses prussiennes.

Plutôt que de faire un état des forces en présence, l’auteur centre son étude sur le cas prussien. Les trois premiers chapitres permettent de se faire une idée de l’état réel des forces de la Prusse.  Le premier chapitre montre comment, par ses hésitations à s’engager lors de la campagne de 1805 aux côtés de la Russie et de l’Autriche, la Prusse se trouve isolée sur le plan international. La défaite autrichienne et les changements survenus en Allemagne mettent la Prusse en difficulté, notamment sur la question du Hanovre. Peut-elle choisir de rester neutre, voire favorable à la France, mécontentant Grande-Bretagne et Russie ou bien faut-il prendre les armes contre la France ? Ce dernier choix finit par s’imposer, mais si tardivement, qu’à l’exception de la Saxe, la Prusse est bien seule. La Russie a promis son aide mais ne peut intervenir immédiatement.

L’armée prussienne est présentée dans le deuxième chapitre, une armée qui est loin d’être à la hauteur de sa réputation. Ses méthodes et tactiques restent celles d’une armée du XVIII° siècle : prépondérance de la ligne, lenteur des déplacements faute d’une logistique adaptée. Une organisation qui n’est pas adaptée à la coopération interarmes.  Ce n’est guère mieux au niveau du commandement, avec  des chefs, âgés, rivaux entre eux et incapable de s’entendre sur un plan de bataille. L’auteur par contre, ne présente pas les forces de l’armée française, ce que peut regretter le lecteur non spécialiste.

Pour ce qui est des plans de bataille, côté français, après avoir hésité entre plusieurs options on choisit une offensive par l’est de la forêt Thuringe pour marcher ensuite sur Dresde pour obliger l’ennemi à livrer bataille faute de perdre la Saxe et menacer Berlin avec l’aile gauche. Forte de 160 000 hommes, l’armée va marcher sur 3 colonnes capables de se soutenir mutuellement dans un modèle de mouvement opérationnel. Côté prussien on évoque une stratégie défensive qui permettrait de tenir compte des faiblesses de l’armée et ainsi d’attendre le soutien russe mais celle-ci a l’inconvénient d’abandonner beaucoup de territoires et même peut-être Berlin à l’ennemi. C’est donc une option plus offensive qui l’emporte après de multiples hésitations et tergiversations : marcher sur la forêt thuringienne et surprendre les Français. L’armée prussienne se trouve elle aussi divisée en 3 : un corps principal sous Brunswick (le commandant en chef), une aile droite sous Rüchel, une aile gauche sous Hohenlohe. Mais le plan à peine établi est abandonné faute d’informations précises sur les Français. Brunswick adopte une attitude passive mais en gardant un dispositif étiré qui empêche ses forces de se soutenir mutuellement. De plus il n’y a pas de déploiement de forces pour défendre les points de passage obligés sur la Saale.

 

Iéna une victoire impériale qui masque le succès de Davout à Auerstedt ;

L’entrée en campagne des Français est conforme aux espérances, les 3  colonnes formant un « bataillon carré de 200 000 hommes » franchissent sans encombre la forêt thuringienne .Tandis que côté prussien Brunswick peine à se faire obéir de Hohenlohe. Quelques combats opposent les avant-gardes françaises aux forces de Tauentzien et de Louis-Ferdinand de Prusse qui trouve la mort à Saaflfeld. Ces combats révèlent aux Prussiens le danger de leur position avancée, ils peuvent être coupés de Berlin et de la Saxe. Il est donc décidé de retraiter et déjà le moral de l’armée est atteint. Côté français on est optimiste, mais Napoléon n’a cependant pas bien évalué la position exacte du gros des forces ennemies. Il marche sur Iéna où il pense affronter le corps principal prussien tandis que Davout est envoyé vers Auerstedt.

Les deux batailles phares de la campagne ont lieu le même jour. Chacune fait l’objet d’un chapitre qui accompagne le récit de cartes détaillées, ce qui est à souligner car ce n’est pas toujours le cas dans cette collection. A Iena, Napoléon pense avoir affaire au corps principal prussien, alors qu’il n’affronte que les troupes de Hohenlohe. Les Prussiens eux ne pensent pas avoir affaire à l’empereur et restent passifs avec un dispositif plutôt étiré. Les Français sont offensifs, les combats violents. Cependant  la meilleure coordination et la maîtrise tactique des forces françaises leur permet de repousser l’adversaire.  La journée passant, le rapport de force penche de plus en plus en faveur des Français qui reçoivent de nombreux renforts et écrasent leur adversaire. Les Prussiens et Saxons qui le peuvent abandonnent le champ de bataille sur lequel ils laissent de nombreux canons et prisonniers. La victoire est totale et Napoléon va la célébrer, pourtant ce n’est pas là qu’a vraiment été gagnée la campagne.

Pendant ce temps-là, à Auerstedt, Davout et son seul III° corps fait face aux troupes de Brunswick, deux fois plus nombreuses. L’habileté tactique du maréchal lui permet de mener une défense active qui déstabilise les Prussiens. Ceux-ci sont incapables de coordonner leurs attaques qui échouent les unes après les autres. Là aussi les combats sont acharnés, le III° corps perdit près du quart de ses effectifs, mais il fit plus que stopper les Prussiens, il les obligea à reculer et mit le corps principal de l’armée prussienne en désordre. Tout cela est obtenu alors que le corps de Bernadotte pourtant proche, n’intervint pas ce qui provoqua débats et polémiques.

 

Des défaites décisives

Battue sur le champ de bataille, coupée de ses lignes de communication, l’armée prussienne part en déroute. Les forces françaises vont alors mener un modèle de poursuite d’un ennemi vaincu et démoralisé dans lequel les cavaliers de Lasalle notamment vont s’illustrer. Les diverses colonnes prussiennes sont peu à peu rattrapées et contraintes à la capitulation. Il en est de même de la plupart des places fortes et villes qui capitulent sans siège. Tandis que la poursuite continue, le 25 octobre, les Français triomphants entrent dans Berlin, III° corps de Davout en tête.

Le roi de Prusse est parti se réfugier auprès du tsar Alexandre seules quelques places fortes à l’image de Kolberg continuent à résister. C’est finalement les défaites russes de 1807 (Eylau et Friedland)  qui mettent fin à la guerre et permettent la signature d’un traité très dur pour la Prusse. Celle-ci perd ses possessions à l’ouest de l’Elbe au profit du royaume de Westphalie, créé pour Jérôme Napoléon. En Prusse, le traumatisme est énorme. Il va cependant être mis à profit pour lancer de vastes réformes qui permirent une véritable renaissance de l’armée prussienne en 1813.

 

En conclusion

Un ouvrage au style agréable, bien documenté qui permet de comprendre le déroulement de cette campagne hors-norme. La présence de nombreuses cartes des divers combats, les plus importants comme les plus petits, facilite le suivi des évènements. On peut cependant regretter que l’auteur ne s’étende pas davantage sur les conséquences de cette défaite.

 

François Trébosc©Les clionautes