Guerre asymétrique – la défaite du vainqueur
Cet ouvrage traite des questions touchant aux confrontations entre les Etats et les forces hostiles qui sont en situation d’infériorité. Ces conflits asymétriques opposent des acteurs qui ne sont pas en situation de rapports de force équivalents. On pensera forcément, après les attentats du 11 septembre au terrorisme qui se décline sous diverses formes et que Jacques Baud, analyste stratégique, spécialiste des questions de renseignement et de terrorisme, auteur de deux encyclopédies sur ces deux sujets, analyse de façon méthodique en proposant différents schémas d’interprétation.
S’il est des couvertures qui illustrent parfaitement le contenu et même la thèse d’un ouvrage, celle choisie par Jacques Baud en fait assurément partie. L’image de cet enfant palestinien de dos armé d’une pierre, à quelques mètres d’un char israélien est parfaitement significative de la teneur du propos. La guerre asymétrique oppose deux forces inégales, par les moyens militaires qu’elles mettent en œuvre, mais aussi par la façon de les utiliser.

Les événements du 11 septembre ont modifié radicalement la perception que l’on pouvait avoir du terrorisme dont on pouvait penser qu’il s’exerçait au nom d’une certaine rationalité. En fait, les futures confrontations se dérouleront sous le signe des émotions, des perceptions, plutôt que, comme au temps de la guerre froide, par l’élaboration de stratégies sophistiquées.

Mais le terrorisme n’est pas la seule forme de guerre asymétrique. La violence latente, d’origine criminelle ou politique fait également partie du champ analysé par l’auteur.

Pour des historiens cet ouvrage qui s’ouvre par un chapitre très théorique a de quoi désarçonner. Pourtant, dès lors que le lecteur dispose d’exemples pour confirmer ou infirmer les schémas théoriques de l’auteur, la lecture de ce livre se révèle extrêmement stimulante.

Guerre asymétrique : nouveaux paradigmes

Nouvelles représentations du monde, ces nouveaux paradigmes touchent l’ensemble des domaines qu’ils soient stratégiques ou opérationnels. La mondialisation , la nouvelle organisation du monde en réseau ou la diffusion de l’information instantanée ont modifié la perception que l’on pouvait avoir des situations de guerres, de crises, de conflits et de violences.

Dans ce chapitre l’auteur plante le décor de ces guerres asymétriques futures mais également celles du passé récent. Il va sans dire que l’effondrement du bloc soviétique comme ensemble équivalent à celui du camp occidental a remis en cause les équilibres traditionnels. Les conflits périphériques, substitut d’un conflit Est-Ouest inenvisageable pour cause d’équilibre de la terreur sont devenus centraux. En le devenant, ils ont changé de nature. Ce ne sont plus des guerres, avec une rationalité et une cohérence, mais des situations floues de tensions, de violences, de crises, de confrontations, pouvant dans certains cas déboucher sur des guerres, comme au Cachemire entre l’Inde et le Pakistan.

De fait, les paradigmes opérationnels changent ou se diluent. La logique froide des Etats avec les armées et les forces de maintien de l’ordre aux missions clairement définies est remplacée par des perceptions très diffuses. Des individus aux groupes, clans, familles élargies, aux nouveaux espaces de confrontation comme l’infosphère, le cyberespace qui viennent compléter les lieux traditionnels d’opposition, ( Air, terre, mer)

Guerres asymétriques: éléments de stratégie

Cette partie de l’ouvrage n’est pas décisive pour les lecteurs déjà au fait de ces questions de géostratégie. Par contre, riche d’exemples, et surtout très claire dans les explications, elle se révélera riche d’enseignements pour les profanes.

Le rappel de ce qu’est la stratégie, réunissant finalité de l’action, ressources disponibles et moyens de l’action se révèle très utile dès lors qu’il s’agit de définir l’action des mouvements, des Etats, qui mènent ou pourraient être amenés à mener une guerre asymétrique.

L’auteur dresse également un inventaire minutieux des différentes formes de stratégies terroristes, allant du terrorisme « traditionnel » à des formes non conventionnelles, comme le terrorisme NBC ou le cyberterrorisme. Au passage on notera que, jusqu’à présent cette forme d’action n’a jamais dépassé dans la pratique les tentatives isolées dans la mesure où les réseaux disposeraient de protections suffisantes en raison de leurs caractéristiques. (cet article a été écrit en 2003 à la parution de l’ouvrage.)

En effet la vulnérabilité des systèmes individuels serait supérieure à celle de l’ensemble du réseau en raison de l’effet d’amortissement constitué par les caractéristiques des différents systèmes.

L’ouvrage est également bien documenté pour tout ce qui concerne les connexions entres groupes terroristes, et à cet égard, l’auteur fait œuvre d’historien, en rappelant les connexions existant entre action directe en France, la Rote Armee Fraction, en RFA ou les cellules communistes combattantes en Belgique.

Nature de l’asymétrie

Le lecteur, pour suivre cet ouvrage, doit garder à l’esprit la notion suivante : les conflits asymétriques opposent des adversaires dont les logiques de guerre sont différentes.

Les guerillas des années 60, le terrorisme international des années 70/80, en ont été les manifestations les plus marquantes. La notion même d’asymétrie est apparue ensuite , au début des années 90, sans doute d’après l’auteur, à la suite de la première tentative d’attentat contre le world trade center.

Au passage, on notera que les notions de guerres asymétriques sont très différentes du point de vue des Etats Unis, puisque dans l’encyclopédie militaire américaine, la guerre asymétrique serait l’emploi de forces de petite taille type commandos. De fait, tout affrontement qui vise à utiliser la surprise, l’inégalité des forces en un instant précis, serait asymétrique. Le concept de dissymétrie, serait, pour l’auteur, plus approprié.

Ce troisième chapitre, qui fait le point sur les différentes approches de l’asymétrie, pourrait apparaître laborieux, si l’exacte définition de ce terme, à un moment précis, et pour des besoins tactiques et stratégiques précis n’était pas indispensable pour l’appréhension d’une situation.

La nouveauté du concept, même si les pratiques ne sont pas nouvelles, après tout la guerre de guerilla remonte à la lutte contre les armées de Napoléon en Espagne, tient à l’entrée de la guerre dans l’ère de l’information.

Les formes d’asymétrie

Les principales formes de guerre asymétrique, utilisées de façon indépendante ou en combinaison sont :

  • La non violence
  • La violence politique
  • Le terrorisme
  • Une partie de la guerre de l’information

Ces quatre formes d’action sont largement expliquées et illustrées avec comme premier exemple, l’action de Gandhi, une non-violence de combat, qui oppose la volonté aux armes et qui est extrêmement difficile à contrer.

La tactique du black block, cette organisation informelle, utilisant largement internet et les chat rooms comme moyen de coordination est bien basée sur une utilisation de la violence politique. Ces mouvements se sont développés dans le contexte général de la lutte contre la mondialisation. Ces mouvements violents, suscitent une répression qui est exploitée politiquement par les composantes « civiles », du mouvement anti-mondialisation.

Paradoxalement, et depuis que Georges W. Bush en 2002 a évoqué l’existence d’un axe du mal, la notion de terrorisme est de plus en plus difficile à définir. Le terrorisme est ainsi défini en fonction de données politiques, et plus objectives. L’Irak en 1984 avait été retiré de la liste des Etats terroristes, l’ennemi étant l’Iran, tandis qu’en 2003, l’ETA a été ajoutée par les Etats-Unis à la liste des organisations terroristes, peu de temps après que l’Espagne ait soutenu la position des Etats Unis dans la guerre contre le régime baassiste irakien.

La difficulté de la définition du terrorisme tient également à son infinie variété que Jacques Baud cherche à classifier de façon très opportune. On distinguera donc :

  • Le terrorisme de droit commun, organisé ou individuel, parfois de type mafieux reposant sur des bases claniques.
  • Le terrorisme marginal, à partir de groupes de type sectaire, comme la secte Aum au Japon.
  • Le terrorisme politique décliné dans différentes nuances qu’elles soient d’extrême gauche ou d’extrême droite, révolutionnaire marxiste, rural ou urbain.
  • Le terrorisme religieux, avec les groupes fondamentalistes dans différentes grandes religions, Islam, Hindouisme.
  • Le terrorisme à cause unique, tel que l’on peut le renconter dans des mouvements écologistes radicaux, ou des protecteurs des animaux.

Guerre asymétrique : les réponses

Face à ces stratégies et tactiques de guerre asymétrique, l’auteur propose un classement des différents types de réponses.

  • Le renseignement
  • La stratégie
  • L’action
  • Sur le renseignement, les caractéristiques des groupes terroristes, l’utilisation de l’internet, la masse des communications, rendent la collecte de renseignement de plus en plus aléatoires.

La stratégie dépend largement des moyens que les Etats menacés entendent déployer. La nécessité de répondre par des moyens non exclusivement militaires à une menace asymétrique, est apparue évidente après l’échec de la « guerre contre le terrorisme » menée par les Etats-Unis qui n’a pas abouti à la destruction d’Al Qaida et dont le régime des Talibans en Afghanistan a fait les frais.

L’action, nécessite l’intégration de moyens civils, policiers et militaires pour répondre à une menace. Le résultat positif ou non est affaire de volonté politique. La réponse civile, policière et militaire de la France à la guerre asymétrique menée par le FLN entre 1958 et 1962 était sans doute bien conçue dans l’absolu, mais n’a pas empêché une défaite politique.
Les leçons ont donc été tirées et cela a conduit les Etats à répondre par une action anti-terroriste impliquant la maîtrise de l’information. Cela n’est pas toujours facile, mais la maitrise de l’information fait partie d’une analyse globale de ce que l’auteur appelle les quatre cavaliers de l’infocalypse :

  • Maîtrise du savoir
  • Camouflage
  • Maîtrise de l’influence
  • Coopération avec les médias

Ces quatre cavaliers, sont désormais largement utilisés dans les différentes situations de conflits. La première ou la seconde intervention américaine contre l’Irak, la guerre contre la Serbie, la seconde Intifada ont été et sont des terrains d’application de ces méthodes d’action qui permettent aux Etats de répondre à des menaces multiformes pour lesquelles les supériorités technologiques, économiques et militaires ne sont pas toujours adaptées.

L’auteur ouvre ainsi des pistes de réflexion utiles et surtout une grille de lecture des conflits du passé mais aussi à venir. L’intérêt de cet ouvrage réside ainsi dans le fait que les lecteurs pourront, au gré de leur suivi de l’actualité, l’amender, le compléter, l’enrichir. Cela fera oublier son coté un peu austère mais qui n’en demeure pas moins passionnant.

Guerres asymétriques, nouveaux conflits armés : quel rôle pour les militaires aujourd’hui ?