La série « Il était une fois en France » narre durant 6 tomes sous forme de BD librement romancée l’histoire extraordinaire de Joseph Joanovici, enfant juif roumain né en 1905, rescapé des pogroms de Kichinev, devenu ferrailleur puis milliardaire sous l’Occupation nazie tout en finançant  un réseau de résistance de la police parisienne, puis traqué et poursuivi après la Libération.

Ce 1er tome, intitulé « L’empire de M. Joseph » se présente comme une sorte de digest de la série entière avec un scénario fait de boucles temporelles rétroactives qui rend le lecteur littéralement « accro » à ce personnage aux facettes contradictoires et multiples. Avec les 5 tomes suivants, de 2007 à 2012, la série à ainsi connu un énorme succès (ventes record et nombreux prix internationaux dans les festivals de BD).

Les auteurs ont terminé le cycle avec une intégrale sous forme de roman graphique en noir et blanc, parue en 2014. 

Grandeur et décadence

Le titre « Il était une fois en France » fait tout de suite penser à celui du western-spaghetti « Il était une fois l’Amérique » dans lequel le héros, un mafieux italo-américain, connait le même genre de destinée.

Du petit juif rescapé des pogroms…

Ce 1er tome commence par les débuts du petit Joseph qui orphelin survit grâce à un savoir-faire commercial qui lui servira plus tard. C’est la période la plus touchante de la vie du personnage – une brève incursion des auteurs dans les pogroms tsaristes d’avant 1914, l’arrivée en France et la protection de son oncle.

Au génie ambivalent

Mais rapidement transparait le côté sombre de Joseph qui évince sans aucune gratitude l’oncle, dépassé par le génie des affaires de son neveu.

La saga d’un Parrain

Le récit se déroule comme une trame qui malmène la chronologie dans une esthétique « clip ». Les tomes 2, 3 et 4 se déroulent pendant les années noires et les opus 5 et 6, après la Libération se chargeront d’en étoffer les flashes de ce premier tome. La promesse de suites passionnantes où nous apprendrons à comprendre l’ensemble des fils de la trame, à la manière des séries actuelles dans lesquelles rien de la psychologie des personnages ne nous échappe…

On retrouve ensuite « Monsieur Joseph » à la fin de sa vie, ayant perdu ses soutiens résistants et harcelé par un juge opiniâtre qui le fera tomber.

Toujours cette ambivalence ressentie par le lecteur vis à vis de ce héros / crapule accentuée par un dessin hyperréaliste des personnages tel qu’on le retrouve dans les personnages des albums de western.

Un document pour l’enseignement en lycée

Le fait de faire rentrer une BD historique utilisable en classe ne fait plus débat depuis longtemps. Il s’agit donc d’un achat par le cabinet d’histoire-géographie de l’établissement hautement recommandé.

Histoire et mémoires (HGGSP)

Il aura sa place dans l’enseignement des mémoires en spécialité Histoire-Géographie-Géopolitique-Sciences Politiques (HGGSP). Le thème 3 de Terminale, intitulé « Histoire et mémoires » dont le premier objectif est de montrer comment les conflits et leur histoire s’inscrivent dans les mémoires des populations, permet d’aborder comment les mémoires des événements se sont succédé chronologiquement au gré des déclarations des dirigeants (De Gaule et la France résistante), des travaux des historiens (Robert Paxton et la France de Vichy) et des paroles des témoins des camps (d’abord les résistants déportés puis les déportés raciaux).

Dans les « zones grises »

La série s’étale sur une période (2007-2012), dates auxquelles le grand public peut entendre l’histoire de l’un de ces nombreux protagonistes des « zones grises »Cette notion a été pensée par Primo Levi pour évoquer la zone entre bourreaux et victimes des camps. Cf. Les Naufragés et les rescapés : quarante ans après Auschwitz, trad. André Maugé, Gallimard-Arcades, 1989.. Il n’en reste pas moins que les auteurs s’ingénient à brouiller les pistes en mélangeant systématiquement les bons côtés de Dr Joseph et les mauvais de Mr. Joanovici, nous laissant nous débrouiller avec sa morale… et la nôtre. Fabien Nury et Sylvain Vallée ne prennent pas parti, ni pour leur héros principal, ni pour le juge, plutôt croqué comme antipathique alors que son action est moralement juste.

Et c’est vraiment la force de cette passionnante petite histoire, qui s’enchevêtre à dessein dans la grande.