Ce jeune sociologue suisse, lauréat du prix de la faculté des sciences sociales et politiques 2011, livre ici une étude ethnographique réalisée en immersion dans la société de jeunesse de Bullon, commune périurbaine de Lausanne. Cette association, vieille de près de 200 ans, fédère les jeunes célibataires de 15 à 30 ans (voir plus) du village en leur proposant de participer à des tournois sportifs, à des défilés de chars ou à des voyages à l’étranger. « A une étape charnière de la construction individuelle, celle qui clôt l’adolescence et ouvre l’âge adulte » (p. 17), c’est une structure centrale de socialisation, à comprendre comme « l’ensemble des processus par lesquels l’individu est construit – on dira aussi « formé », « modelé », « façonné », « fabriqué », « conditionné » – par la société globale et locale dans laquelle il vit, processus au cours desquels l’individu acquiert – « apprend », « intériorise », « incorpore », « intègre » – des façons de faire, de penser et d’être qui sont situées socialement » (Darmon, 2006, p.6).
Pour ce faire, Dafflon a du donner de sa personne ! Car, il a compris très vite que s’il voulait être accepté par les membres de la société de jeunesse, il allait devoir trinquer avec eux et s’investir au quotidien dans la réalisation du char, objet local de fierté. L’analyse qu’il mène de sa situation d’observateur participant est très aboutie : comment être dedans et dehors le processus social que l’on observe ?
Deux occupations majeures de la société de jeunesse ont retenu son attention : celle liée à la boisson et celle liée au travail. Il débute d’ailleurs son ouvrage par le récit de la tournée de Pâques visant à récupérer chez les habitants (dont des anciens de la société de jeunesse) des lots pour un jeu organisé par les jeunes. Cette déambulation villageoise est ponctuée par des pauses plus ou moins prolongées chez les habitants offrant aux jeunes de la goutte dès 8h30 du matin jusqu’à la fin de la journée : l’enjeu étant pour les membres du groupe de ne pas finir ivres dès midi ! « A l’opposé des visions stigmatisantes, certain-e-s verront dans cette tournée villageoise, une des nombreuses manières de maintenir du lien social entre générations et entre habitant-e-s d’un même lieu. » (p. 13). Si la fête et sa pratique ont déjà été étudiées (Rossel, 1994 ; Antoine et Mischi, 2008 ; Renahy, 2010), c’est au processus de socialisation qui transparaît à travers elle que Dafflon s’intéresse. « La fête rassemble, elle permet aux individus de se percevoir comme appartenant à un groupe et de renouveler ce sentiment. Sa puissance réside dans cette capacité de réunion. (…) au-delà des intérêts personnels, au-delà des tensions et des différences sociales. » (Ségalen et Chamarat, 2007, p. 36). De même, le travail tient une place centrale dans le processus de sociabilisation : les girons (sorte de congrès des sociétés de jeunesse) exigent des adhérents la mise sur pied de stands (de boissons !) mais aussi la fabrication d’un char, qui occupe une grande partie des week-ends. L’organisation hiérarchique de ces tâches (basée sur l’ancienneté dans l’association) est bien décryptée. Elle valorise les travaux manuels (soudure, couture…) et ceux qui les maîtrisent alors que les étudiants ont plus de mal à trouver leur place dans cette organisation. Car, transparaît à travers le récit qu’en fait Dafflon le caractère « impressionnable » (Sears et Lévy, 2003, p. 92) des années passées en société de jeunesse, sa fréquentation oriente très souvent les jeunes membres vers des métiers manuels leur permettant d’entrer plus vite sur le marché du travail. « On constate ainsi qu’ils et elles s’orientent dans des filières scolaires ou professionnelles, s’émancipent des injonctions familiales, s’engagent dans des associations, réarrangent leurs relations sociales, découvrent la vie nocturne et les relations amoureuses, acquièrent un statut économique et social, etc. » (p. 144).
Si la prise en compte du territoire spécifique de Bullon est trop vite traitée (l’auteur effleurant seulement la question des transformations de cette commune passée de rurale à périurbaine), le rejet de ce type de sociabilité par « les jeunes venus de la ville » n’est abordé que par le cas d’Arnaud (l’étude se concentrant sur les jeunes adhérents de la société de jeunesse). Le principe d’une enquête ethnographique laisse toujours perplexe les géographes : ici, à l’exception des pôles urbains, le nom de la commune ou les prénoms des membres de la société de jeunesse ont été inventés afin de préserver l’anonymat, ces précautions tendant à gommer les particularités du territoire.
Catherine Didier-Fèvre © Les Clionautes