Charles Cédric Tsimi propose un essai au titre volontairement provocateur : Il n’y a pas de Noirs en Afrique. Il inscrit son propos dans cette citation : « Ce livre est un essai militant qui vise à convaincre, rassembler, proposer au plus grand nombre la seule tâche collective qui vaille : travailler le plus ardemment, patiemment, méthodiquement possible à in monde sorti de son fondement néolithique – j’entends inégalitaire -, ordonné sous le double signe de la Justice et de l’Égalité. » (p. 16).
Voilà une réflexion utile sur l’universalisme dans un temps de communautarisme, d’identités revendiquées à corps et à cri. Charles Cédric Tsimi refuse une assignation à la couleur de peau.
«En fait, j’ai vécu en France de la même manière qu’au Cameroun : dans l’indifférence complète de ma couleur de peau, de la taille de mes mains, ou de la forme de mes yeux.
Naguère sans-papiers, je n’avais pas conscience dans ma vie de clandestin que ma condition était celle d’un Noir. » (p. 22)
Intéressante réflexion sur toutes les désignations qu’un même individu peut recevoir en fonction du lieu, du contexte social. Ces désignations ont comme première fonction de mettre l’autre à distance.
Son propos est sévère quand il écrit : «Les personnes dites « noires » vivant en Occident, et qui se revendiquent comme telles, croient pouvoir prononcer une vérité valable sur le « Noir », c’est-à-dire toutes les personnes qualifiables de « noires », ayant la peau plus ou moins foncée. Ce sont en réalité des Occidentaux qui s’ignorent et ils ont fini, me semble-t-il, par privatiser ce lot au bénéfice de leur « intérêt particulier ». Car ce mot « noir » est toujours employé de manière exclusive. Étonnement, il est doté d’un haut potentiel de division interne et tend lui-même à la ségrégation. » (p. 39)
Qu’est-ce que le racisme
L’auteur date la théorisation du racisme (XVIIIe-XIXe s.) mais montre que l’attitude de ségrégation est beaucoup plus ancienne. Pour lui, elle apparaît au néolithique. En suivant Rousseau, l’inégalité est à la base de la ségrégation. L’Antiquité, avec l’esclavage, met en place la déshumanisation, l’Espagne médiévale – la notion de limpieza de sangre.
« A l’intérieur de chaque peuple il a pu exister une forme de racisme » (p. 54)
Le racisme n’est en somme que la légitimation des inégalités ; même si le racisme s’est imposé au XIXe siècle comme démontré par la science (Gobineau, Lévy-Brulh). Le racisme est donc une idéologie savante : « Le racisme est l’interprétation d’un discours scientifique et philosophique d’infériorisation, d’une domination politique et d’exclusion sociale effective d’une « race » ; (p. 59)
C’est un système politique et juridique. Les exemples sur lesquels s’appuie le raisonnement pourraient tout-à-fait être proposés à la réflexion des élèves en EMC.
De la négritude comme misère française
Rappel du rôle d’Aimé Césaire, de Léopold Sédar Senghor et Léon-Gontran Damas dans l’émergence du concept de négritude. L’auteur analyse les limites des propos de Césaire et Senghor. Il conteste qu’ils puissent exister un ensemble de valeurs culturelles du monde noir. Il eur oppose le philosophe camerounais Marien Towa. Se définir comme « Noir », « nègre », c’est renoncer à sa liberté même si la négritude a pu avoir des vertus anti-impérialistes chez Césaire revendication de la dignité chez Senghor. L’auteur est plus sévère à l’égard de l’émission Kiffe ta race ! : « Il s’agit d’une posture « raciale » intello-boboïsante » (p. 91).
De quoi l’antiracisme contemporain est-il le nom ?
Parler l’antiracisme suppose une définition du racisme que récuse l’auteur. Il refuse la position victimaire et l’antiracisme sont, pour lui, occidentalisés. « Notre antiracisme entretient, mais à front renversé, la fiction « noir:blanc ». Il milite pour la place du Noir ( « qui a réussi » ou « qui a fait des études ») en tant que tel, en Occident ? Nous avons donc affaire à une lutte des places. » (p. 98)En clin d’œil p. 101 : « comme s’il suffisait que cette pauvre France ait un ministre noir pour que le massacre de l’Éducation nationale prenne fin… ».
L’auteur se définit comme un individu singulier et considère les autres comme des « entités distinctes ».
La figure ecclésiastique du « Noir » américain
Ce chapitre ouvre sur deux hérauts du « Noir » américain : Barach Obama et George Flyod.
« le Noir américain est à l’ensemble des individus à la peau plus ou moins noire ce que le dollar est à l’économie mondiale : un instrument de domination sans égal » (p. 113)
Charles Cédric Tsimi montre que cette position de l’Amérique dominatrice fait, en quelque sorte, du Noir américain un « privilégié » plus proche de tout Américain que d’un Africain. C’est aux États-Unis que les Français, Anglais immigrés sont allés puiser leur militantisme et non en Afrique.
Un paragraphe est consacré à l’expérience du Liberia qui, au XIXe siècle, s’incarne dans un privilège « américain-libérien. Le True Whig Party n’accorda la citoyenneté qu’aux Afro-américainsAnciens esclaves libérés et installés au Liberia et à leurs descendants et non aux populations de cet espaceImportant pour comprendre la révolte de Samuel Doe en 1980
L’identité, négation de la politique
L’identité collective, une construction symbolique imaginaire, se fonde sur la séparation. Dans le domaine politique, il convient donc, pour l’auteur, d’abandonner toute casquette identitaire. Toute lutte contre les discriminations ne peut se fonder que sur des principes universels.
Malheureuse Afrique
Ce chapitre s’ouvre sur une question : Qu’est-ce qu’un Africain ?
C’est un individu né, vivant ou ayant vécu dans un espace géographique vaste et diversifié, un vide politique.
L’auteur évoque le parcours des migrants et fait un rapide état des lieux depuis les indépendances, notamment de son Cameroun natal. Pour lui, la jeunesse africaine est orpheline d’une réalité qui ne soit ni nationale, ni ethnique, ni religieuse.
Un credo pour une éducation émancipatrice, une réflexion sur la dictature, la démocratie, le panafricanisme. Critiquer l’Occident est vain, il faut construire le pouvoir du peuple.
La politique
L’auteur propose une vision assez réaliste de l’état des démocraties occidentales, à commencer par la France. Il décline le concept de prolétariat nomade d’Alain Badiou, sujet politique mondial. La réflexion renvoie à la citoyenneté mondiale.
Ce livre est un texte stimulant et qui donne à penser et peut vraiment, il me semble, être utilisé et EMC au lycée.