Richement illustré, ce catalogue Imprimer ! L’Europe de Gutenberg 1450-152 de l’exposition qui se tient à la BNF du 12 avril au 16 juillet 2023 invite à revisiter une figure emblématique, Gutenberg, et une innovation majeure, l’imprimerie.

Gutenberg, l’imprimerie : est-ce si simple ?

L’imprimerie ne peut se résumer à une date, un nom et un lieu. La période 1450-1520 est marquée par un foisonnement d’expérimentations, un peu comme aujourd’hui avec le numérique. Il faut pourtant dès le début poser les faits : l’imprimerie européenne est postérieure de plusieurs siècles à l’imprimerie chinoise, japonaise ou coréenne. En Europe, avec l’imprimerie, le nombre d’ouvrages disponibles explose. Il faut bien considérer l’imprimerie comme une des innovations majeures de l’histoire de l’humanité. Dès sa naissance, l’imprimerie est un secteur capitaliste, mais l’histoire du livre ne saurait se séparer d’une histoire de la culture.

L’invention de la typographie

Cette partie insiste sur la situation hors d’Europe et sur les circulations. Au XIVe siècle commencèrent à circuler des objets imprimés localement comme les cartes à jouer apparues quatre siècles plus tôt en Chine. L’ensemble technologique extrêmement compliqué qu’est l’imprimerie ne peut avoir été mis au point rapidement par un seul homme et sans emprunter à des technologies existantes. Le livre montre le Jikji, ce monument de l’imprimerie puisqu’il est le plus ancien livre au monde connu à ce jour. Il s’agit d’une compilation d’enseignements des maîtres du bouddhisme qui date de la fin du XIV ème siècle, soit bien avant Gutenberg. Du côté européen, la typographie a été mise au point dans la vallée du Rhin puis s’est disséminée.

Les voies de l’innovation

Innovation, expérimentations, mais aussi revirements et apories technologiques caractérisent les premières décennies du développement de l’imprimerie. Différentes entrées sont consacrées à l’expérimentation typographique ou aux défis que pose l’image. Ratdolt fut un pionnier de l’illustration scientifique. L’enjeu commercial était de mettre sur le marché des écrits à l’exactitude scientifique assurée et à destination d’un public spécialisé et donc très étroit. Les autrices relèvent qu’il n’a sans doute jamais existé autant de manières différentes quoique pertinentes de faire un livre que dans la seconde moitié du XVe siècle.

Imprimés et société

De 14 à 28 millions de livres auraient été mis en circulation en Europe en moins de 50 ans. C’est un véritable vertige pour les contemporains. Il fallait pourtant convaincre de la plus-value de l’imprimé par rapport au manuscrit. La plupart des livres se présentaient « en feuilles », c’est-à-dire sous forme de cahiers pliés, ni cousus, ni couverts. Les reliures peuvent être considérées comme une marque d’appropriation. Pour l’historien, une question vertigineuse demeure, à savoir déterminer quels livres étaient lus. Au XV ème siècle, la démonologie prit son essor posant les bases de la chasse aux sorcières. L’imprimerie contribua à diffuser l’idée que le démon avait le pouvoir d’agir dans le monde. Les Indulgences constituèrent un succès d’imprimerie. On peut aussi relever la diffusion des savoirs astronomiques et astrologiques. « Les calendriers des bergers » s’adressaient en réalité à la petite bourgeoise urbaine et constituèrent un succès éditorial durable. Maximilien I er est le premier personnage politique de son temps qui oeuvra le plus à la transmission de sa « mémorisation ». Il recourut intensément à l’imprimé.

La Renaissance, critique de l’imprimerie

Pour l’historien, la Renaissance ne saurait fonctionner comme un concept mais bien comme une catégorie qu’il convient de contextualiser. La Renaissance honore l’imprimerie avec la multiplication des exemplaires et la baisse du prix de vente. Mais, la Renaissance critique aussi l’imprimerie. La critique principale concerne la montée en puissance du marché anonyme et la possibilité pour un nombre croissant de lecteurs potentiels de se procurer des textes. Pour conclure, les autrices comparent le XVème siècle avec d’autres temps de mutation dans le système des médias. Elles suggèrent que l’on peut retrouver le même schéma à chaque fois. C’est d’abord le temps d’une hagiographie qui peut déboucher sur une forme d’utopie. Ensuite, la mise en oeuvre du média révèle des failles et des éléments de complexité inattendus. Enfin, c’est toute la problématique de l’industrie culturelle qui se pose.

Ce catalogue d’exposition est donc d’abord un bel objet avec de magnifiques reproductions. Surtout, il donne à penser et à reconsidérer Gutenberg. En élargissant la focale historique et géographique, c’est toute la fausse évidence d’une invention révolutionnaire qui est réinterrogée devant nos yeux séduits par une telle iconographie.