CR d’Anne-Sophie Lacoustille
Contexte personnel et historiographique :

Jean-Louis CHAPUT (1935) est membre du CNFG (Comité National Français de Géographie). Il a travaillé sur la Sierra Morena et l’Extremadure, auxquelles il a consacré sa thèse publiée en 1995. Il s’est également intéressé aux surfaces d’aplanissement du SO de la Meseta ibérique à la fin des années 1980.
Ce fut longtemps un enseignant préparant les élèves aux concours de l’enseignement à l’IUFM de Paris et il semble que ce petit ouvrage de 172 pages leur soit consacré.
M. Derruau s’y était déjà essayé en publiant ce que JP Charvet (PARIS X Nanterre) appelle « le Derruau pour historiens » : « Les formes du relief terrestre, notions de géomorphologie » : il s’agissait de rendre la géomorphologie praticable à un public non forcément converti mais contraint d’acquérir quelques notions. M. Derruau renvoyait à son ouvrage plus complet : « Précis de géomorphologie » pour plus de détails.
A l’heure où Google Earth et le futur Géoportail de l’IGN devraient susciter quelques vocations, l’idée de rendre la géomorphologie plus accessible est louable.

PLAN

Le plan se construit autour de 4 parties inégales tant au niveau de la forme que du fond :
La forme :
La hiérarchie des chapitres n’est pas similaire d’un chapitre à l’autre et les titres de croquis ne sont pas uniformes ni dans la police ni dans la présentation.
Plus le livre progresse, plus les croquis deviennent simplistes, sans légende, le summum revenant à la page 91 où l’auteur a dû photocopier ses notes de cours. P.150, il ne rédige plus du tout et utilise des flèches pour traduire ses pensées.
Les croquis de cet ouvrage constituent le plus gros problème : les fautes de frappe (p.13 prisme d’accretation), le manque de clarté et surtout de lisibilité par rapport au texte constituent un handicap sérieux.
A chaque fin de chapitre l’auteur élargit le chapitre à d’autres domaines, notamment le domaine anthropique et permet des ouvertures intéressantes.
Le fond :
La géomorphologie littorale est toujours réduite à la portion congrue et les sources actuelles sont ignorées. En revanche tout ce qui correspond à la spécialité de l’auteur semble avoir été bien traité.

Premiere partie : Généralités. La Terre, les grands mécanismes de l’érosion : 4 chapitres, 31 pages.

Le globe terrestre et la tectonique des plaques

Notions sur les roches

Les mécanismes principaux de l’érosion

L’action des fleuves et des rivières.

Deuxième partie : Géomorphologie structurale
8 chapitres (p39 à 102), 63 pages

Les formes dans les bassins sédimentaires

Les formes en structures faillées

Les formes de relief associées aux structures plissées

Les reliefs volcaniques

Les reliefs dans les roches cristallines, socles et massifs anciens

Les formes karstiques

Réseaux hydrographiques et structures

Les chaînes de montagnes

Troisième partie :
Géomorphologie zonale. Les principaux milieux morphoclimatiques
3 chapitres (p 103 à 144), 42 pages

Les domaines froids

Les formes en milieux arides et semi-arides

La morphologie de la zone intertropicale humide.

Quatrième partie : géomorphologie littorale. Les principaux types de littoraux.
3 chapitres (p 145-165), 20 pages

Les forces en action

Les principaux types de formes

Les principaux types de côtes

Bibliographie sommaire

Aucune table des planches
Aucun lexique
Aucune table des croquis

Première partie
La première partie est très générale. Dans le premier chapitre l’auteur donne une présentation géologique de la planète Terre et évoque des termes scientifiques tels que la gravimétrie ou le thermodynamisme sans en fournir de définition, ce qui pour des étudiants de géologie doit passer, mais qui doit quelque peu désarmer les étudiants d’histoire.
Le chapitre 2 présente les notions de roches en s’appuyant sur des critères (comme la dureté) qu’il suppose acquis de ses étudiants et ne présente pas les propriétés des différentes roches (pour l’argile on eût aimé voir apparaître l’imperméabilité ou la capacité à solifluer).
Les éléments de stratigraphie sont très succincts : le tableau traditionnel des ères géologiques est très simplifié et les couleurs conventionnelles utilisées sur les cartes de géologie n’apparaissent pas.
La méthodologie de datation des roches est très simplifiée et le carbone 14 n’est que suggéré.
Le chapitre 3 est consacré aux mécanismes de l’érosion. Comme ailleurs la présentation est très succincte avec des encarts très théoriques pour les phénomènes de reptation, solifluxion et coulée boueuse. Le chapitre manque de croquis et certains phénomènes comme les avalanches eussent mérité plus d’une ligne.
Chapitre 4 : les croquis, tracés à la main, sont grossiers et peu clairs. La vallée de la Loire est prise comme exemple mais ne peut pas être exploitée pour une étude de cas tant les références restent évasives. Les seuls exemples développés sont ceux que l’auteur connaît : la Sierra Morena.

En conclusion de la première partie, l’auteur évoque l’action anthropique en citant la canalisation du Rhin qui entraîne une reprise de l’érosion en aval (p.35).

Deuxième partie
Après un encart sur les grandes unités morphostructurales, l’auteur présente dans son cinquième chapitre les formes et les bassins sédimentaires. Le relief de cuesta est expliqué simplement sans toutefois rentrer dans les détails. La boutonnière n’est par exemple qu’évoquée en Nota Bene. Les croquis sont très simplifiés et ressemblent à ceux qu’un étudiant prenant des cours en amphi aurait pu reproduire.

Chapitre 6 : Après une définition claire des failles, l’auteur décrit une faille normale en indiquant en gros les mots clés (sans toutefois les réunir ou renvoyer à un lexique ou note de bas de page). Il prend soin de fournir des exemples géographiques des phénomènes qu’il explique. Il manque les clichés ou photos aériennes où seraient mentionnés les phénomènes visibles. Les escarpements de failles et escarpements de lignes de failles sont bien distingués dans la première partie de ce chapitre, intitulé « expression morphologique ».

On regrette toujours l’emplacement des croquis par rapport au texte : le plus souvent, une planche de croquis est insérée, et ceux-ci ne sont expliqués ou évoqués que plusieurs pages plus loin (ce qui handicape pour la compréhension du texte). Les photographies en noir et blanc ne sont absolument pas exploitées.

Chapitre 7 : un chapitre très descriptif des plis, s’appuyant sur quelques exemples peu détaillés.

Le chapitre 8 est consacré aux reliefs volcaniques. L’auteur conteste le terme de « relief postiche », appliqué parfois aux volcans, et les considère comme des reliefs bien réels :
– la classification habituelle des volcans apparaît. Les croquis sont simplifiés à l’extrême, sans légende, et sont donc peu exploitables. Le type vulcanien n’est pas représenté dans les croquis. L’auteur décrit de façon très télégraphique (phrases sans verbe) les différents types de volcans (ex. p.61 type hawaien).
– L’auteur présente des exemples précis comme le « grand strato-volcan complexe : le Cantal », qui permet d’aborder la notion de planèze et l’éruption catastrophique : le cas du Nevado del Ruiz (15/11/1985).

Chapitre 9 : l’auteur y explique très clairement que la tenue des roches vis-à-vis de l’érosion dépend de la fracturation (notamment des diaclases), de la composition minéralogique et de la porosité : ces considérations relèvent plus de la géologie que de la géographie mais l’auteur essaie de nuancer en mentionnant bien « que de nombreux barrages sont construits sur un soubassement granitoïde », reste à savoir lesquels…

Chapitre 10 : l’introduction générale ne définit pas le terme de karst mais montre l’intérêt humain de ce type de lithologie. L’auteur continue de citer des termes sans les définir (tuf, travertins). Les formes superficielles du relief karstique sont bien décrites et il prend soin de fournir des exemples précis en les reliant à des conséquences humaines. Les eaux dans le karst font aussi l’objet d’un paragraphe clair fourni d’exemples précis.

Chapitre 11 : l’auteur reprend les exemples classiques (capture de la haute Moselle à Toul) mais, à vouloir trop simplifier (« des cailloux de granite vosgiens »), l’analyse en devient peu scientifique et peu claire.
L’auteur veut s’adresser à un large public mais insère des phrases du type « un glacier de piémont s’est ensuite mis en place et a déposé d’abondantes moraines » sans renvoyer aux définitions ni de glacier, ni de piémont ni de moraine. C’est encore le lexique, si pratique dans le Derruau, qui manque ici.

Chapitre 12 : l’auteur distingue clairement la formation des structures et la formation des reliefs actuels. Ce chapitre étonne par son manque de finition : il plaque son brouillon sur la formation des Alpes et explique la formation de la cordillère des Andes de façon très technique et inexploitable sans y joindre de croquis.
En revanche pour le paragraphe consacré à l’histoire d’une chaîne de montagne : les Alpes occidentales, Jean Louis Chaput, pour la première fois, cite ses sources en reprenant Debelmas 1983, pour expliquer la formation des Alpes. Mais le croquis correspondant se trouve deux pages avant et rend la lecture difficile à suivre.
Les risques naturels en milieu montagneux ne font l’objet que d’un court paragraphe qui apporte peu là où le large public visé par l’auteur aurait attendu beaucoup. Des exemples sont certes cités mais ils ne sont pas développés.

La seconde partie ne bénéficie pas d’une conclusion générale comme la première.

Troisième partie
Comme au début de la deuxième partie un encart donne les grandes définitions. Mais une carte eut été plus explicite. L’auteur ne rédige plus ses notes et résume sous forme fléchée : « neige => neve => glace bulleuse => glace pure » sans autre forme d’explication de ces termes. Les croquis sont toujours aussi peu clairs et mal insérés par rapport au texte.
Il se risque à quelques exemples concrets bien parisiens pour les néophytes : « une surface horizontale sur laquelle l’eau peut stagner et geler est fragile : c’est le cas du parvis du centre de Jussieu à Paris, qu’il faut régulièrement entretenir, bien que les conditions climatiques ne soient pas très dures ».
On reproche toujours à l’auteur d’utiliser des termes techniques sans les définir dans un lexique ou une note de bas de page : la gélifluxion n’est par exemple pas définie, ni l’endoréisme (p.122) que l’auteur prend néanmoins soin de souligner en gras.
Les déserts de sable sont rapidement analysés et ni le ghourds, ni le sif l’aklé ou la caoudeyre ne sont illustrés, pas même par une photographie..
En revanche quand l’auteur connaît bien son domaine, les croquis sont particulièrement bien traités : le croquis 31 sur les formes en milieu semi-aride est particulièrement bien réalisé et lisible en même temps que le texte, tout comme la distinction entre l’aridification et la désertification, qui fait l’objet p.131 d’un encart très clair.

Quatrième partie
Jean Louis Chaput n’est pas un spécialiste de géomorphologie littorale et ne la rend pas attrayante. Il accumule les définitions, accompagnées de croquis peu clairs et mal positionnés par rapport au texte. Quelques exemples récents apparaissent comme le tsunami du 26 décembre 2004, auquel seules deux lignes sont consacrées. L’auteur semble s’épuiser : les variations du niveau marin ne sont plus rédigées que sous forme d’abréviations et note de cours. Le rôle de l’Homme est très superficiellement évoqué tant au niveau des polders que pour le Mont Saint- Michel où on aurait pu attendre plus de détails ou de renvois vers des sites internet. La richesse halieutique des zones et les conséquences que cela engendre ne sont pas mentionnées.
Aucune carte typologique des différents types de côtes n’apparaît.
La notion d’aménagement n’apparaît qu’en conclusion : « qu’il s’agisse de la compréhension des formes et des processus, ou de l’aménagement de régions déterminées, le géomorphologue à sa place dans la société » écrit l’auteur. Son ouvrage met à plat les rudiments de la géomorphologie, mais ne fait qu’effleurer le rôle de la géomorphologie dans les aménagements.

Résumé analytique et critique :
Il s’agit d’un petit précis de cours magistraux destiné à des étudiants de CAPES d’histoire-géographie ou de géologie, ou d’agrégation d’histoire. L’ouvrage ne s’adresse pas à des spécialistes ni à des élèves exigeants ou curieux : l’auteur se veut volontairement succinct, la bibliographie est somme toute assez « sommaire » et exclut les publications récentes ou trop spécialisées. De plus, aucun lexique ne reprend les définitions de base si ce n’est une courte liste en introduction.
Un livre de géomorphologie est un ouvrage qu’on ne lit pas d’une seule traite. On aime à y fureter pour revoir une définition précise, pour comprendre un mécanisme. Cet ouvrage n’est pas destiné à ce genre de public : aucun lexique, aucune table de planches ; les habitués à la rigueur de M .Derruau auront du mal à trouver leur compte.
Cet ouvrage se donne pour objectif d’intéresser un plus large public, « le vaste public », et la couverture pourrait être attrayante : mais l’intérieur de l’ouvrage garde le côté austère des vieux ouvrages de géomorphologie, la rigueur en moins : les croquis ne sont pas toujours insérés au bon endroit, leur graphisme relève de la note de cours prise par un étudiant pressé, à l’heure où l’informatique pourrait permettre des croquis attrayants, colorés et plus parlants qu’une longue description.

Intérêt pédagogique :

Un ouvrage difficile à utiliser pour préparer un cours dans la mesure où l’auteur ne cite aucune de ses sources (problèmes de droit d’auteur ?), et où aucun lexique ne permet de travailler rapidement. Seules quelques pistes évoquées succinctement à la fin de chaque chapitre peuvent servir mais l’ouvrage en tant que tel n’est pas suffisant.
Les croquis ne sont pas précis, dénués de légende précise et ne sont pas rappelés sur une table finale.
La bibliographie est trop sommaire et ne rappelle que les grands ouvrages de base du siècle passé : DERRUAU, ARCHAMBAULT et LHENAFF, PASKOFF, GUILCHER et VERGER pour le littoral toujours réduit à sa plus simple expression.
Le web est totalement ignoré et les publications spécialisées à peine évoquées.
Cependant quelques passages peuvent servir de pistes tel que le chapitre 2, le résumé des grands événements de chaque ère géologique, exploitable pour les élèves de lycée. Dans le chapitre 8, l’auteur fournit une description d’une page étonnamment technique par rapport au reste de l’ouvrage, très fournie en chiffres et qui mentionne la notion de risque tant prisée par les programmes de géographie au lycée. Cependant cet exemple n’est vraiment exploitable qu’à condition d’y ajouter un support cartographique ou schématique qui n’existe pas ici et que « la bibliographie sommaire » ne permet pas d’approfondir.
La fin de la troisième partie bénéficie d’un encart sur la complexité des régions tempérées (le cas de l’Europe occidentale) qui reprend la chronologie de la multiplicité des héritages et le rôle de l’érosion actuelle rendant ce passage exploitable.
Enfin dans le chapitre 13, le passage sur les couloirs d’avalanches, même sans croquis, peut servir d’élément explicatif à des enseignants réalisant un cours sur la montagne.

Au total, il s’agit d’un ouvrage bien décevant par rapport aux ambitions annoncées en couverture et que les enseignants n’auront que peu d’intérêt à ouvrir pour préparer leurs cours. Quant aux étudiants néophytes, ils ne trouveront pas ce manuel plus attrayant ni plus clair… C’est un ouvrage qui arrive trop tard sur le marché compte tenu des possibilités qu’offre la technologie moderne (internet, la couleur, la photographie..). Seul son prix, 13 euros sur internet, peut séduire.

Copyright Clionautes Mai 2006.