Dans leur introduction les auteurs présentent leur ambition : renouveler les regards sur l’innovation
dans les systèmes agricoles et alimentaires quand l’innovation leur semble une nécessité dans le monde actuel, elle peut cependant être à la fois créatrice et destructrice notamment dans le domaine agricole. Dans le domaine agroalimentaire elle est au centre de nombreux débats sociétaux. Il s’agira de analyser l’innovation comme un processus multidimensionnel et complexe nécessitant une approche systémique et donc pluridisciplinaire.
L’ouvrage s’organise en quatre parties. C’est d’abord un panorama de la pensée sur l’innovation en agriculture, dans une approche historique jusqu ‘aux enjeux sociétaux actuels. Dans la seconde partie les auteurs analysent différentes visions de l’innovation selon des approches différentes selon les disciplines : agronomie, géographie, économie, gestion, sociologie et les domaines étudiés depuis les systèmes de production, les systèmes alimentaires, les organisations jusqu’au territoire. Il s’agit dans la troisième partie de comprendre les accompagnements de l’innovation, les dispositifs de recherche, le conseil et la promotion auprès d’agriculteurs ou de collectifs hétérogènes. Enfin dans la dernière partie les auteurs abordent l’évaluation des effets des innovations sur les dynamiques de développement et les méthodes employées. Ils posent aussi la question des finalités. Une bibliographie générale clôt l’introduction, chaque chapitre étant suivi d’une bibliographie spécifique.
Renouvellement des approches en agriculture
Une histoire de l’innovation et de ses usages dans l’agriculture
Ludovic Temple, Yuna Chiffoleau et Jean-Marc Tuzard traitent de l’histoire de l’innovation et de ses usages dans l’agriculture. Ils découpent leur propos en trois périodes :
- Jusqu’à la seconde guerre mondiale : deux siècles de révolution agricole en lien avec le développement de l’industrie des physiocrates aux économistes classiques et s’accompagnant de changements sociologiques.
- Les 40 années de la croissance et du progrès techniques : une profonde modification avec intervention de l’État, la recherche d’un accroissement de la productivité du travail agricole face à l’exode rural, des changements accompagnés par les travaux des économistes et des sociologues.
- Depuis les années 80 la critique du modèle dominant ouvre d’autres pistes à la recherche et à l’innovation : la demande nouvelles des consommateurs, les questions environnementales, l’irruption des nouvelles technologies.
Les auteurs proposent une réflexion sur les divers usages de la notion d’innovation dans l’économie agricole ou rurale.
L’innovation agricole et agroalimentaire au XXIe siècle : maintien, effacement ou renouvellement de ses spécificités ?
Jean-Marc Touzard analyse les caractéristiques des innovations dans l’agriculture et l’agroalimentaire et notamment les rapports entre activités agricoles, alimentaires et la nature, l’espace et les sociétés. Si le rapport au vivant demeure au centre des innovations sans oublier le rapport à l’espace et au foncier, elles sont au centre de rapports sociaux : une multitude d’agriculteurs face à des multinationales et des acteurs publiques. D’autre part le monde agricole et agroalimentaire est confronté à des enjeux globaux : transition écologique et climatique, question de la sécurité alimentaire, technologies du numérique et des biotechnologies.
La recherche agronomique et l’innovation : essai d’analyse sociohistorique
Frédéric Goulet s’interroge sur les relations entre les institutions nationales ou internationales de recherche agronomique nées dans la seconde moitié du XXe siècle et la production des innovations. Les recherches appliquées ont contribué à la transformation des mondes agricoles. Il note l’entrée des sciences sociales dans les champs de recherche de ses institutions pour répondre à la crise de confiance envers le modèle agricole industriel. Il analyse les évolutions de la recherche agronomique.
Les figures de l’innovation dans l’agriculture et l’alimentation
Innovation agro-écologique : comment mobiliser des processus écologiques dans les agrosystèmes?
Stéphane de Tourdonnet et Hélène Brives abordent cette question par un paradoxe, la coexistence dans le monde de sur et sous-nutrition, les dangers des changements climatiques… Ils analysent l’agro-écologie qui vise à valoriser le recyclage des éléments pour développer des systèmes durables afin de nourrir la population mondiale. Ils décrivent ces approches, un processus d’innovation spécifique et les dispositifs d’appui et de conseil aux agriculteurs.
L’innovation sociale par les circuits courts alimentaires : entre réseaux et individualités
Yuna Chiffoleau et Dominique Patur montrent que le secteur est le lieu d’ innovations
sociales pour répondre aux besoins d’un accès à une alimentation de qualité pour des personnes en situation précaire. Leur étude s’appuie à la fois sur la sociologie économique et le care. Ils présentent deux exemples où l’innovation sociale s’inscrit dans un processus relationnel et contextualisé : un groupement d’achat visant la mixité sociale et une boutique solidaire. Ils posent la question du changement d’échelle de ces pratiques.
L’innovation, condition de la pérennité des systèmes agroalimentaires localisés
Une équipe nombreuse signe ce sixième chapitre (Stéphane Fournier, François Boucher, Claire Cerdan, Thierry Ferré, Denis Sautier, Didier Chabrol, Bernard Bridier, Jean-Paul Danflous,
Delphine Marie-Vivien et Ophélie Robineau) où il est question de productions agroalimentaires artisanales. Face aux évolutions actuelles ces systèmes agroalimentaires localisés (Syal) sont
confrontés à des besoins d’innovations techniques ou organisationnelles impliquant des agriculteurs et des petites entreprises agroalimentaires, à rechercher soit dans le tissu local soit à l’extérieur. Un encart présente un exemple d’huileries de coton au Burkina-Faso, un autre la production de café à Bali. Les auteurs évoquent des pistes d’appui aux acteurs.
Les relations entre ville et agriculture au prisme de l’innovation territoriale
C’est à nouveau une large équipe (Christophe-Toussaint Soulard, Coline Perrin, Françoise Jarrige, Lucette Laurens, Brigitte Nougarèdes, Pascale Scheromm, Eduardo Chia, Camille Clément, Laura Michel, Nabil Hasnaoui Amri, Marie-Laure Duffaud-Prévost et Gerardo Ubilla-Bravo) qui utilise se le concept d’innovation territoriale pour analyser les relations entre ville et agriculture et les initiatives agri-urbaines. Après avoir rappeler le cadre théorique du concept d’innovation territoriale ils montrent, à partir de l’exemple de Montpellier, que l’ accumulation de micro-changements infléchissent les fonctionnements des acteurs urbains ou ruraux, modifient les normes qui régulent les relations entre ville et agriculture.
Accompagnement des acteurs de l’innovation
Penser et organiser l’accompagnement de l’innovation collective dans l’agriculture
Aurélie Toillier, Guy Faure et Eduardo Chia rendent compte des différentes fonctions des dispositifs d’appui à l’innovation qui existent notamment dans les pays du Sud pour atteindre les objectifs du développement. Partant d’un rapide rappel historique les auteurs montrent l’intérêt de l’approche systémique, des théories de l’apprentissage et du management s’appuyant sur une grande diversité de dispositifs pour créer des conditions favorables à l’’innovation et pour accompagner les communautés (spécialistes et professionnels de l’accompagnement, apports de la recherche).
Recherche-action en partenariat et innovation émancipatrice
Michel Dulcire, Eduardo Chia, Nicole Sibelet, Zayda Sierra, Luanda Sito et Dominique Pature reprennent la même idée en développant le concept de recherche-action. Après un rappel du concept, ils analysent à l’aide d’exemples en quoi elle est émancipatrice. La recherche-action en partenariat implique donc des changements dans les dispositifs de recherche (gouvernance, méthodes, pratiques).
Co-conception de changements techniques et organisationnels au sein des systèmes agricoles
Nadine Andrieu, Jean-Marc Barbier, Sylvestre Delmotte, Patrick Dugué, Laure Hossard, Pierre-Yves Le Gal, Isabelle Michel, Fabien Stark et Stéphane de Tourdonnet analysent cinq démarches, dans des pays du Sud comme du Nord, de co-conception de systèmes techniques innovants qui reposent sur des interactions fortes entre les acteurs impliqués. Une diversité
d’objets intermédiaires (modélisation, construction d’outils, expérimentation agronomique) favorise les apprentissages.
Le conseil aux exploitations agricoles pour faciliter l’innovation : entre encadrement et accompagnement
Guy Faure, Aurélie Toillier, Michel Havard, Pierre Rebuffel, Ismaïl M. Moumouni, Pierre Gasselin et Hélène Tallo décrivent les évolutions du conseil en agriculture et son rôle dans le soutien à l’innovation. Ils montrent les diverses méthodes en fonction du problème et des solutions envisagées. A partir de deux exemples, en Afrique de l’Ouest et en France, ils décrivent le rôle du conseiller, les principes et outils d’accompagnement, les mécanismes de gouvernance et les modes de financement.
Les démarches ComMod et Gerdal d’accompagnement de collectifs multiacteurs pour faciliter l’innovation dans les agro-écosystèmes
Guy Trébuil, Claire Ruault, Christophe-Toussaint Soulard et François Bousquet présentent deux méthodologies d’intervention qui favorisent l’émergence de plans d’action négociés. Ce chapitre est une comparaison des deux dispositifs avec études de cas en Thaïalande et dans la vallée de l’Isère. .
Évaluation des effets des innovations
L’abattoir, de l’usine à la ferme. Éthique et morale dans les dynamiques d’innovation des systèmes agroalimentaires
Sébastien Mouret et Jocelyne Porcher montrent la place de la morale, de l’éthique dans l’innovation aujourd’hui. Leur analyse repose sur une recherche-action concernant les alternatives à l’abattage industriel des animaux d’élevage. Quand le choix de l’abattage à la ferme repose sur la responsabilité morale des éleveurs à l’égard de leurs bêtes.
Comment évaluer les impacts des innovations en agronomie?
Agathe Devaux-Spatarakis et Sylvain Quiédeville posent la question de l’évaluation car aujourd’hui les bailleurs de fond l’exigent suivis par la demande de la société civile. Ils décrivent différentes méthodes d’évaluation et buts : produire des informations pour programmer les dispositifs, identifier les améliorations possibles, rendre des comptes. Ils s’interrogent sur qui fait l’évaluation et pour qui? Et ils présentent une démarche pour les innovations complexes afin d’identifier et de mesurer les impacts.
Évaluer les impacts des innovations : intérêts et enjeux d’une approche multicritère et participative
Jean-Marc Barbier et Yuna Chiffoleau montrent l’intérêt des outils d’évaluation multicritères pour mesurer les effets et les impacts d’innovations. Le chapitre présente trois questions méthodologiques : les diverses dimensions de l’innovation, la participation des acteurs à l’élaboration des critères et des indicateurs d’évaluation et à l’ appréciation.
Des outils de simulation pour comprendre, évaluer et renforcer l’innovation dans les exploitations agricoles
Éric Penot, Nadine Andrieu, Nathalie Cialdella et Philippe Pedelahore explorent à partir de deux exemples africains l’utilisation d’outils informatiques. Le premier Olympe est un outil pour des simulations budgétaires à Madagascar qui a permis de mesurer l’intérêt de l’agriculture de conservation pour la stabilité des revenus des agriculteurs. Le second Cikeda, au Burkina Faso concerne la co-conception de systèmes mixtes agriculture-élevage vers de nouvelles modalités
d’intégration de l’agriculture et de l’élevage grâce à un accompagnement de ces innovations auprès de paysans.
La postface de Gaël Giraud1 aborde la question : Quelles innovations au service d’une agriculture durable ? Sont abordés : les chemins technologiques à privilégier, le financement de l’innovation, la place de la biodiversité et du bien commun.
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1Économiste en chef à l’AFD (Agence Française de Développement)