Michel HUMM, ancien membre de l’École française de Rome, est professeur d’histoire romaine à l’Université de Strasbourg. Il est directeur de l’UMR 7044 Archimède et du Bulletin Analytique d’Histoire Romaine. Spécialiste de l’histoire de la République romaine, il est l’auteur d’Appius Claudius Caecus. La République accomplie (Rome, 2005), un personnage particulièrement actif dont il reparle d’ailleurs souvent dans le présent ouvrage.
Notre collègue strasbourgeois est aussi connu pour son cours du CNED sur la République romaine et son expansion (2008). Il est l’auteur de très nombreux articles, en plusieurs langues, sur la Rome royale et républicaine. Ses recherches récentes portent sur l’hellénisme dans la Rome républicaine et les institutions politiques et sociales, toujours dans la Rome républicaine.
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Un mot pour prévenir le collègue et ami lecteur de ce compte-rendu sur comment nous entendons le mener.
Il nous parait toujours important de présenter le plan des ouvrages présentés, ainsi que la quatrième de couverture. La quatrième de couverture propose un résumé (généralement le fait de l’auteur lui-même) des problématiques abordées dans l’ouvrage. Pourquoi s’en priver ? Le plan, quant à lui, permet aux collègues de se rendre compte des thèmes abordés et remplace à notre sens utilement un résumé détaillé de l’ouvrage. D’une part, en effet, il nous paraît important de laisser le lecteur découvrir la pensée de l’auteur sans nécessairement en déflorer tous les aspects. D’autre part, un compte-rendu critique n’est pas un résumé : outre que l’on peut difficilement résumer avec profit des centaines de pages en quelques paragraphes, il nous parait plus utile d’insister sur quelques points clés qui font débat, de proposer un bilan de l’intérêt de l’ouvrage, voire les critiques que l’on peut en faire.
Naturellement, il y a là quelque subjectivité, mais nous nous efforçons toujours de justifier nos critiques et de les rendre constructives. Nous sommes respectueux, souvent même reconnaissants, envers auteurs (et éditeurs), qui prennent le risque de livrer au public le fruit d’un travail intellectuel qui a mobilisé des mois, voire des années, de recherches, de synthèse et d’écriture. Et, même lorsque nous ne sommes pas en accord avec les propos de l’auteur, nous lui savons gré d’avoir suscité le débat, le questionnement, sans lesquels il n’est pas de quête intellectuelle.
Voilà pourquoi nous ne nous attachons guère à résumer, partie après partie, les ouvrages que nous recensons. Voilà pourquoi notre texte est personnel. En espérant toujours porter le débat et la connaissance auprès de nos collègues. Lesquels font de même auprès de nous. C’est tout l’intérêt de la Cliothèque, dont on ne dira jamais assez l’immense utilité intellectuelle pour des disciplines aussi vivantes que les nôtres.
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Armand Colin poursuit, à travers cette toujours remarquable et toujours indispensable collection U, son œuvre de diffusion de la connaissance universitaire. Les plus grands spécialistes ont, un jour ou l’autre, écrit pour cette collection qui, décennie après décennie, participe de notre formation intellectuelle. Nous ne saurions trop le souligner et en remercier l’éditeur.
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Voici la présentation de l’ouvrage en quatrième de couverture :
La République romaine commence son histoire vers 509 av. J.-C. par l’expulsion du « roi » Tarquin le Superbe. S’en suivit la mise en place d’un gouvernement de type oligarchique qui laissa le pouvoir à quelques grandes familles aristocratiques. Cinq siècles plus tard, les déchirements politiques qui divisèrent son aristocratie précipitèrent la fin de la République après l’avoir entraînée dans des conflits sociaux et des guerres civiles interminables. Entre temps, la « république » avait constitué un « empire » qui s’est étendu à l’ensemble du monde méditerranéen ainsi qu’à ses territoires périphériques grâce à des institutions politiques et sociales lui permettant d’associer un peuple de citoyens à son aristocratie.
Cette profonde solidarité d’intérêts au sein de la société romaine favorisa une expansion territoriale exceptionnelle tant d’un point de vue historique que géographique. Toutefois, l’expansion impérialiste finit par révéler l’inadéquation entre les structures institutionnelles et l’univers socio-culturel d’une cité-État, et le mode de gestion d’un empire aux dimensions exceptionnelles. L’incapacité à surmonter cette contradiction mit un terme au régime aristocratique qui définissait la nature de la République romaine.
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Et voici la table des matières :
Première partie
La République romaine : fondements politiques, institutionnels et idéologiques.
Chapitre 1 – Religion et politique à Rome : la cité et ses dieux
Chapitre 2 – Le poids du passé : l’héritage politique et institutionnel archaïque
Chapitre 3 – Les magistratures républicaines : fonctions, hiérarchie et carrières
Chapitre 4 – Une « République » sans démocratie ?
Chapitre 5 – Espaces et temps civiques
Deuxième partie
La « République impériale » : la conquête d’un empire méditerranéen
Chapitre 6 – La guerre, institution sociale à Rome
Chapitre 7 – La conquête romaine de l’Italie
Chapitre 8 – L’organisation de la conquête en Italie : naissance d’un empire
Chapitre 9 – Les deux premières guerres puniques
Chapitre 10 – L’avènement d’une grande puissance : naissance d’un empire méditerranéen (201-118 av. J.-C.)
Troisième partie
Le « choc en retour » de l’expansion romaine : la « crise » de la République (IIe – Ier siècles av. J.-C.)
Chapitre 11 – Rome et l’hellénisme : le vainqueur conquis par la culture du vaincu ?
Chapitre 12 – Les conséquences de la conquête : économie, société et politique
Chapitre 13 – La montée en puissance des imperatores (121-63 av. J.-C.)
Chapitre 14 – Rome et l’Italie : du conflit à l’intégration
Chapitre 15 – L’agonie de la République (63-31 av. J.-C.)
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La première partie de l’ouvrage examine les fondements politiques, institutionnels et idéologiques. Cette partie, que nous avons justement trouvée fondamentale (!), analyse en fait la « culture politique » de la République romaine. On peut en effet s’interroger sur les caractéristiques et la nature réelles d’une « République » dirigée en fait par une élite aristocratique. Cette République a-t-elle donc été une « démocratie » ? La souveraineté du peuple romain – accolée à celle du Sénat, donnant ainsi le fameux SPQR – n’est-elle autre que formelle ? Et son histoire rien d’autre que celle de factions au sein d’une « République sénatoriale » ? Michel Humm, s’appuyant sur les travaux de Simmel et Bourdieu, à travers son concept fécond de « capital symbolique », propose au contraire de « reconstruire » notre compréhension de la République romaine et ainsi d’en dépasser le débat sur sa nature aristocratique ou démocratique. On pourra ajouter, de notre côté, que l’on ne peut qu’approuver cet effort pour éloigner la République romaine bimillénaire de problématiques par trop marquées par des concepts qui sont les nôtres, et les nôtres seuls.
Et l’on arrive ainsi au fond du problème : la clé de compréhension de la République romaine – et celle de sa réussite – est dans sa « culture politique », une culture reposant sur des valeurs, des traditions, des pratiques sociales « partagées par l’ensemble des citoyens et qui faisaient consensus ». Alors, certes, cet ensemble est contrôlé par une « noblesse de charge » qui en tire sa légitimité, ce que l’on constate dans le fonctionnement des institutions, mais aussi dans « l’observation des rituels » et dans « l’aménagement de l’espace public ». La société romaine, malgré un caractère fortement inégalitaire, est aussi une société cohérente, fondée sur le mos majorum (la tradition des anciens), érigé au rang de norme sociale. Le lecteur peut-il trouver ailleurs plus ample matière à réflexion, non seulement sur la République romaine, mais aussi ce que nous sommes devenus en ce début de XXIe siècle ?
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La deuxième partie aborde la « République impériale » et la conquête se son empire méditerranéen. Au-delà d’un récit très synthétique et tout à fait passionnant des conquêtes, Michel Humm s’attache à montrer comment l’intégration des peuples conquis a fait la force de la République romaine et a permis à celle-ci d’acquérir un empire durable. Notons que ce terme d’empire (imperium romanum), employé dans son sens territorial seulement sous Auguste, est cependant déjà présent sous la plume de Cicéron. L’empire romain est ainsi très tôt devenu « le paradigme de tous les empires et de tous les impérialismes », et nos collègues le voient parfaitement à travers l’histoire des différents empires qu’ils doivent enseigner à travers les âges et les programmes. Reste à faire le point sur la difficile notion d’impérialisme, telle que nous la connaissons aujourd’hui. La République romaine fut-elle impérialiste et si oui, dans quel sens doit-on l’entendre ? Comment expliquer son développement ?
Les thèses marxistes des mobiles économiques (ah ! le butin…) semblent avoir vécu. Les explications culturelles tiennent aujourd’hui le devant de la scène. L’auteur souligne l’attitude des Romains devant le monde extérieur, à quel point, pour eux, « le monde étranger se confondait avec l’ennemi et commençait aux portes même de la cité », comme l’indiquaient d’ailleurs de nombreux rites sacrificiels. Ce qui rejoint d’autres explications, davantage tournées vers la religion. Michel Humm souligne, synthétisant ainsi les recherches modernes, que la République romaine s’est progressivement insérée dans des « logiques de guerre » où « impérialisme défensif » et « impérialisme offensif ont chacun joué leur rôle, alternativement ou même simultanément. La République romaine est ainsi devenue « une machine à gagner des guerres », « pour le plus grand profit d’une majorité de citoyens ». Cela explique donc le célèbre « consensus républicain » de Claude Nicolet. Arrêtons-nous sur cette idée, même si l’auteur poursuit ses analyses jusqu’aux analyses (qui nous ont toujours paru iconoclastes et sans doute volontairement provocatrices) du grand Paul Veyne (le collègue curieux trouvera son « impérialisme romain en soixante pages » ici : https://www.persee.fr/doc/mefr_0223-5102_1975_num_87_2_1034. Nous nous permettons d’en recommander la lecture en complément.).
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« Graecia capta ferum victorem cepit », comme l’écrivait Horace. Dans cette troisième et ultime partie, Michel Humm se penche sur les « chocs en retour » de la conquête et la subséquente crise de la République, sur l’influence de l’hellénisme, les conséquences économiques, sociales et politiques de la conquête, sur la montée en puissance des imperatores, la question italienne et l’agonie finale de la République (voir le plan de l’ouvrage supra). Mais, surtout, doit-on voir, entre les Gracques et le Principat, un « siècle de révolutions » ? Cette « Révolution romaine », chère à Ronald Syme (disponible chez Gallimard dans la célébrissime Bibliothèque des Histoires, voir image), provoqua brutalement le « passage d’une République oligarchique à la monarchie du Principat » et le « grand remplacement » (encore un terme à rapprocher d’aujourd’hui) du personnel politique romain par les hommes nouveaux.
La crise de la République romaine fut bien celle de son aristocratie (on pourrait dire méritocratie, tant elle n’était pas uniquement héréditaire), dont le triple capital, économique, symbolique, social, se trouva faussé par la concurrence (déloyale !) de quelques-uns, outrageusement enrichis par les conquêtes. Cela mit fin au consensus républicain, remettant en cause la République elle-même en raison de l’extrême inégalité au sein non seulement de la société romaine, mais également au sein de son aristocratie. « Le processus de concentration des moyens de la puissance […] aboutit ainsi inexorablement à la monarchie d’un seul ». La République romaine périt ainsi, victime de ses propres conquêtes.
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Michel Humm s’appuie sur des références considérables. Son livre est ainsi parfaitement au fait des controverses vives et des apports récents de la recherche. Son érudition sert un propos clair, très bien construit, et souvent bien illustré (même si on pourrait critiquer la taille parfois restreinte des cartes, donc leur lisibilité). Sa « République romaine » est donc l’ouvrage d’un grand spécialiste : il fait le point des grandes questions et sera fort utile, tant aux étudiants de licence qu’à nos collègues et amis, enseignant en collège, lycée et supérieur.
Alors, bien sûr, tout le monde n’enseigne pas l’Histoire de Rome. Pourtant, nous faisons le pari que le livre de Michel Humm, aussi remarquable et recommandable soit-il, gagnerait à être lu par tout un chacun. Nous avons maladroitement tenté, à travers ce compte-rendu, d’en montrer toute la modernité, toute l’actualité, la brûlante et urgente actualité. N’est-ce pas l’intérêt de l’Histoire d’inviter aussi à réfléchir sur ce que nous sommes, d’où nous venons, où nous allons ? Or, la lecture de ce livre est riche de ces questionnements, à deux millénaires d’écart. Non que l’auteur dévie de son sujet : il reste au contraire parfaitement dans son propos. Mais c’est le propre d’un livre d’Histoire que de dépasser son objet et d’offrir au lecteur matière à réflexion sur son temps.
Christophe CLAVEL
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