L’auteur montre les contradictions des politiques de préservation d’une nature africaine fantasmée, ce qu’il qualifie de « bonne conscience » des pays développés qui détruisent la nature chez eux et imposent une forme de colonialisme vert.

 

Guillaume Blanc est maître de conférence à l’’Université Rennes2, spécialiste de l’Afrique contemporaine.

Son ouvrage est passionnant, le propos « ne cherche pas à dénigrer la cause environnementale, ni même de critiquer la lutte écologique. Au contraire, cet ouvrage espère y participer. Pour enrayer la destruction mondiale de la biodiversité, il est urgent de comprendre nos erreurs » (p. 28).

Dans sa préface, le récent titulaire de la chaire d’histoire et d’archéologie des mondes africains au Collège de France, François-Xavier Fauvelle1 décrit l’éden rêvé des documentaires, agences de voyages, il annonce les biais de nos représentations et l’indispensable regard à différentes échelles pour analyser la situation, la prise en compte du regard et des besoins des populations locales. Il rappelle l’anthropisation très ancienne des espaces africains.

Déconstruire nos croyances, (re)penser la nature

Le premier chapitre plonge le lecteur, dès les premières lignes, dans les réalités, les effets sur les populations du classement par l’UNESCO du parc éthiopien du Simien qui constitue l’exemple emblématique et très bien documenté de l’étude de Guillaume Blanc. L’expulsion des agro-pasteurs du haut plateau est révélateur d’une situation largement présente dans toute l’Afrique. La situation actuelle est replacée dans un contexte historique plus large depuis les premiers parcs naturels américains qui, au XIXe siècle déjà, incarnaient la « wilderness », le rêve d’une nature vierge inhabitée. L’auteur montre l’artificialité des Parcs français avec l’exemple des Cévennes mais aussi la différence de regard sur les agro-pasteurs des Cévennes à protéger ici et du Simien à dénoncer là-bas comme destructeurs de la nature.

Il développe à partir de l’exemple éthiopien la position dominante des défenseurs de la nature depuis le XIXe siècle à aujourd’hui (UNESCO, WWF, politiques nationales africaines).

Mettre l’Afrique en parc (1850-1960)

Si les premiers explorateurs ont recherché un éden, très vite la colonisation a imposé ses plantations, situation rapidement dénoncée par les naturalistes qui initient les politiques de protection, tout en rendant les populations locales responsables des déséquilibres écologiques : déforestation, consommation de viande de brousse quand les scientifiques comme la presse construisent le « mythe de la forêt primaire ».

L’auteur rappelle le contexte de la création des premiers parcs, anciennes réserves de chasse pour colons : Parc Albert, aujourd’hui des Virunga (RDC) en 1925, Parc Kruger (Afrique du Sud) en 1926 ; une nature idéalisée par la littérature (Les neiges du Kilimandjaro, Ernest Hemingway 1936 – Out of Africa, Karen Blixen 1937), le cinéma ou la télévision. Il montre aussi la continuité des organismes de protection après les indépendances.

Un projet spécial pour l’Afrique (1960-1965)

Dans un véritable réquisitoire, bien argumenté, Guillaume Blanc, à partir d’exemples au Ghana, en Éthiopie, au Kenya, comment un préjugé colonial tenace décrit les autochtones comme une menace pour la nature et a influencé la politique africaine de l’UICN2 et du WWF3 avec des experts comme Leslie Brown, Julian Huxley ou Gerald Watterson qui conduisent à l’expulsion des populations hors des parcs nationaux.

L’expert et l’empereur (1965-1970)

Partant d’exemple l’auteur montre la continuité dans la gestion même des espaces protégés entre les périodes coloniale et post-coloniale notamment dans l’ancien empire britannique et le poids des experts internationaux sur les administrations locales4 et nationales5 notamment par le biais du financement de la conservation de la nature. Il montre les rapports de subordination qui s’imposent du haut en bas de l’échelle où les gardes contrôlent les habitants des parcs.

Derrière la nature, la violence ( 1970-1978)

C’est une description du face à face inégal entre parcs, touristes, gardes, et paysans habitants des parcs et leur mode de vie qui débouche sur la violence comme le montre l’exemple du village de Gich dans le parc éthiopien du Simien. Les braconniers ne sont peut-être pas plus responsables du recul des populations animales que les touristes munis de permis de chasse mais les préjugés contre les agro-pasteurs demeurent générant une violence villageoise en résistance aux menaces d’expulsion. L’auteur retrace l’histoire de cette opposition à la fin du règne d’Haïlé Sélassié qui se poursuit après la révolution marxiste de Mengistu (1974).

Les pièges du « développement durable » (1978-1996)

Ce sixième chapitre s’ouvre sur la destruction de sept villages du Simien par l’armée éthiopienne, saluée par l’UNESCO au nom de la protection de la nature. L’auteur dénonce le prétexte de la nature, instrumentalisée dans les conflits nationaux et l’interventionnisme mondial, la nature : un sujet finalement très politique.

Depuis les années 80-90 le discours sur la sauvegarde de la biodiversité a changé mais pas la gestion des parcs comme le montre la standardisation des programmes de conservation dans une Afrique globale perçue comme un éden perdu ; au nom d’un développement durable que les populations seraient incapables de mettre en œuvre.

L’auteur dénonce la faiblesse des enquêtes et études des organismes financeurs, des missions courtes, sans contact avec les populations bien loin du discours sur une gestion communautaire des espaces à protéger ; thématique développée dans le chapitre suivant.

La fiction communautaire (1996-2009)

Une étude bien documentée sur les biais des raisonnements des experts, la force du mythe du déboisement dans l’exemple analysé, les intérêts financiers des États africains qui mènent à des parcs contre les habitants, les « sacrifiés » du Patrimoine mondial selon les mots de l’auteur(p. 237).

Les racines de l’injustice (2009-2019)

2016, les habitants du village de Gich sont déplacés hors du parc du Simien ne comprennent pas que pour préserver la ressource, on les prive de ressource pour vivre. Le problème est que chaque entité : villageois, gardes, touristes, experts, État, a sa propre vision du parc. Ce dernier chapitre est une réflexion sur la définition de nature, avec ou sans hommes ? Qui peut se résumer ainsi : « Dans le simien comme dans tant de parcs africains, cette réalité relève de l’injustice au sens propre du terme : être privé d’un droit dont bénéficient les Autres, au nom d’une éthique définie par d’Autres. »6.

Un livre qui donne à réfléchir.

On peut regretter que la très abondante bibliographie soit classé en fin d’ouvrage comme notes des différents chapitres.

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1Il a coordonné la somme récente publiée chez Belin dans la collection Mondes anciens : L’Afrique ancienne de l’Acacus au Zimbabwe – 20 000 avant notre ère – XVIIe siècle (2018)

2Union internationale pour la conservation de la nature

3World Wildlife Fund) ou Fonds mondial pour la nature

4Exemple de la vallée de l’OMO

5L’influence de Blower dans la rédaction des lois éthiopiennes malgré les réticences d’Haïlé Sélassié

6Cité p. 279