Les mémoires d’Isaac Mason ont été publié une première fois en 1893. Claire Bourhis-Mariotti en propose ici une traduction assortie de compléments utiles.

Il me paraît préférable, c’est un avis personnel, de commencer la lecture par le texte d’Isaac Mason et de n’aborder qu’ensuite la longue introduction qui replace le texte dans son contexte.

La vie d’un esclave en fuite

Ses premiers souvenirs, qui n’en sont pas tout à fait, raconte sa naissance en 1822 dans le Maryland comme esclave de Mme Hannah Weedland, propriétaire de sa mère. Il décrit sa famille, le monde dans lequel il a vu le jour. A cinq ou six ans le voilà jeune domestique, mal traité jusqu’à la mort de sa maîtresse. Il est lors séparé de sa famille. Son père, libre de couleur, ne parvient que difficilement qu’a acheté son épouse et la jeune sœur d’Isaac.

Son nouveau maître qui l’a obtenu en gage d’une dette, un médecin, lui mène une vie de coups et de brimades. Le travail ayant réglé la dette, voilà un nouveau patron. Petit à petit son sort s’améliore.

Comme ouvrier agricole dans une petite ferme, il a l’occasion de se déplacer dans les environs et même jusqu’à Baltimore avec son maître et un chargement de grains. Quelques anecdotes, comme celle du bœuf avarié qui a failli lui coûter la vie, disent bien le sort des esclaves mais aussi les modes de pensée des maîtres.

Menacé d’être vendu et expédié à La Nouvelle-Orléans, une pratique courante à l’époque comme l’explique Claire Bourhis-Mariotti dans son introduction, Isaac Mason s’enfuit avec deux jeunes esclaves de la même maison. L’auteur évoque Noël et les « cadeaux » bien dérisoires de sa maîtresse mais c’est aussi un moment favorable pour la fuite vers la Pennsylvanie, terre de liberté pour lui et qu’il relate en détail.

Le récit de la fuite montre bien l’aide apportée par les Noirs libres, pas toujours gratuitement, la fonction de passeur n’a guère changé1. Au pays de la liberté, pour vivre il faut travailler mais comment faire sans ami, sans argent avec la peur continuelle d’être repris. Embauché dans une ferme il découvre un monde étrange pour lui inconcevable : la fille de son patron travaille avec les ouvriers. De contrat en contrat, sa vie s’améliore mais craignant un raid esclavagiste il s’éloigne de la frontière pour Philadelphie où il se marie.

Mais c’est encore trop près de son ancien maître qui n’a pas renoncé à le retrouver. Grâce au mouvement abolitionniste il part pour le Massachusetts, un voyage entre espoirs et incidents. Après un court répit à Worcester où il laisse son épouse, avant d’être à nouveau à la merci des esclavagistes du Sud2 qui manque de main-d’œuvre il monte dans un train pour Montréal puis Toronto. La vie est difficile au Canada son retour vers son épouse se fait à pied faute d’argent, un voyage plein de péripéties.

Isaac rappelle les tentatives de migration des Noirs américain vers Haïti, la première république noire. Il suit les propositions de James Redpath3 et part en 1860. Après quatre semaines de voyage depuis Boston il s’installe à saint-Marc où le gouvernement haïtien accorde aux immigrants une terre dans la vallée de l’Artobonite. Sur cette terre, plein d’espoir, Il décrit une île fertile mais malade il se croit berné et rejoint son épouse à Worcester.

Le récit s’arrête ici, pour en savoir plus il faut lire la longue introduction de Claire Bourhis-Mariotti.

La religion tient une grande place dans la vie d’Isaac Mason, il l’évoque tout au long de son récit.

Le commentaire de Claire Bourhis-Mariotti

Le texte d’Isaac Mason est replacé dans son contexte : l’autoédition à la fin du XIXe siècle de l’écrit d’un esclave né en 1822 et rédigé à la fin de sa vie. Ce récit de vie d’esclave comme quelques autres a été remis en lumière comme source d’étude en 1969 (date de la seconde édition) dans le contexte du mouvement des droits civiques.

L’auteure montre les différences entre les plus anciens de ces récits, qui ont servi au combat abolitionniste et ont tardé à être reconnus comme source par les historiens et ceux qui après 1850, comme celui de Frederick Douglass ou d’Isaac Mason décrivent aussi leur vie d’homme libre, exemple de réussite, modèle d’inspiration possible pour les jeunes Noirs de leur époque.

Plus qu’une introduction le texte de Claire Bourhis-Mariotti, d’une centaine de pages, est une véritable étude. Elle retrace la vie et les déplacements d’Isaac Mason mais aussi l’histoire du Maryland depuis 1664 et la place des esclaves dans cet Etat à la limite nord du monde esclavagiste. Les esclaves y avaient l’habitude de côtoyer des Noirs libres ce qui explique sans doute que les fuites d’esclaves vers la Pennsylvanie voisine n’étaient pas rares. Mason lui-me est à la frontière du monde de l’esclavage, son père est né libre, il a racheté sa femme et sa fille.

Dans sa présentation du texte de Mason, l’auteure met en parallèle le récit avec ce que les documents (recensements, annonce de presse de la fuite d’Isaac Mason) nous apprennent sur la famille, son entourage, sur la vie des esclaves et des Noirs libres dans cette première moitié du XIXe siècle. Elle évoque la position des Quakers face à l’esclavage et leur rôle dans le mouvement abolitionniste.

La reconstitution de la vie de Mason après sa fuite nous renseigne sur les lois, les passeurs, la menace perpétuelle qui pèse même au Nord sur les esclaves fugitifs. L’auteure s’interroge sur le sens de l’hommage aux États-Unis dans le récit du voyage en Haïti car Mason écrit tardivement, à un moment qui devient défavorables aux Noirs.

Un ouvrage, tant dans le texte de Claire Bourhis-Mariotti que dans le récit autobiographique d’Isaac Mason, est tout à fait exploitable au collège comme au lycée pour l’étude de l’esclavage.

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1Voir les passeurs actuels dans la crise des migrants ou pendant la guerre au passage de la ligne de démarcation

2Mettre en parallèle le film 12 Years a Slave, adapté de l’autobiographie Douze ans dans l’esclavage de Solomon Northup paru en 1853

3Claire Bourhis-Mariotti dans son ouvrage L’Union fait la force: les Noirs américains et Haïti, 1804-1893, paru en 2016 aux Presses universitaires de Rennes, a consacré tout un chapitre à cette aventure : James Theodore Holly, James Redpath et la seconde tentative d’émigration volontaire en Haïti, 1855-1862