Bonne description des grandes questions israéliennes (racines, populations, politique, économie …), en principe indépendamment du conflit avec ses voisins … mais ce dernier n’est jamais loin.
« Israël »

Questions internationales, novembre-décembre 2007, N°28, La Documentation française, 127 pages, 9.8 euros.

A l’heure du soixantième anniversaire du partage la Palestine, ce bimestriel nous présente ce pays « autrement que sous l’angle imposé du conflit » via une série d’articles. S’y ajoutent trois articles plus brefs sur d’autres sujets.

Les différents articles sur Israël reprenant les mêmes questions avec des approches différentes sont résumés ci-après avec une longueur décroissante, qui n’est pas la leur dans la revue. J’ai gardé leurs titres.

Ouverture : Israël soixante ans après, entre singularité et banalité

Ce pays fait toujours l’objet de passions opposées :
– il faut le défendre en tant que représentant des victimes du nazisme, de l’antisémitisme et en tant que seule démocratie en Orient, menacée par ses voisins.
– il faut condamner son comportement conquérant, voire colonialiste, son expulsion des occupants légitimes de la plus grande partie de la Palestine, son oppression des territoires restants et son mépris des décisions des Nations Unies …
Néanmoins la lassitude gagne les 2 camps et on parle davantage de paix, mais à l’intérieur, la médiocrité politique empêche de prendre de « grandes décisions ».

Du sionisme à l’Etat d’Israël

L’auteur rappelle le succès du sionisme face aux 3 autres mouvements juifs : les assimilationistes marxistes comme libéraux, le Bund partisan de l’autonomie culturelle sur place et les ultra-orthodoxes hostiles à un Etat. La percée du sionisme s’explique par son but simple et précis et une diplomatie efficace obtenant, en 1917, « le foyer juif » de la déclaration Balfour. Il a de plus bénéficié de l’élimination des autres mouvements par les soviétiques et les nazis.

Sur place, un acte fondateur est la création de la Histadrout (1920), syndicat ayant ses entreprises et une armée (la Haganah). S’y est progressivement ajouté le poids de l’Agence juive, gouvernement de fait.

Les colons sont 56.000 en 1918 et 550.000 en 1945. L’affrontement avec les Arabes commence dès les années 1920 et mène aux guerres de 1947-48 qui fondent l’Etat d’Israël et déclenchent l’exode des Palestiniens, nourrissant leur haine des Juifs.

Cet Etat se proclame religieusement « juif » et « des Juifs » c’est-à-dire ayant pour vocation de ressembler la diaspora. Dès 1951, la population juive est de 1,4 million de personnes et va vers les 6 millions aujourd’hui. L’Etat s’est évertué à transformer l’identité religieuse en identité nationale, notamment par l’armée et l’imposition de l’hébreu. Mais l’assimilation est incomplète, particulièrement chez une partie des juifs « orientaux » et des « Russes », d’ailleurs très inégalement juifs.

C’est un Etat vraiment démocratique : non seulement par le vote, mais par la liberté d’information et de débats, y compris pour les « Arabes israéliens ». Toutefois, la religion limite les droits des femmes et rend les non juifs «moins égaux » que les autres.

La « guerre des six jours » et l’activisme du « bloc de la foi » lancent la colonisation et le tronçonnage de la Cisjordanie et de Gaza ; elle donne aux Israéliens un sentiment trompeur d’invulnérabilité et de « tout permis » qui leur fait perdre une bonne part de la sympathie de l’opinion internationale.

La politique étrangère : entre défis et risques, choix et opportunités

La normalisation internationale est enfin acquise, mais la situation régionale est toujours explosive. Le pays voit son existence juridiquement reconnue par ses voisins et tolérée de fait, après une époque où il ne figurait pas sur les cartes « arabes », voire où son nom ne devait pas être prononcé.

Depuis la victoire de 1967, la politique intérieure pèse sur l’extérieure, du fait de la colonisation du reste de la Palestine (sauf Gaza depuis 2005), de l’occupation du Sinaï (1967-2000), du Liban-Sud (1978-2000) et du Golan (dont la moitié est encore conservée). Le poids de l’opinion publique et de l’armée génère également les attaques du Liban (2006) et celles, récurrentes, de Gaza, voire la possibilité de celle sur l’Iran. La Syrie, l’Iran et le Hebzbollab jouent aussi leur rôle dans la perpétuation de la tension et il est vain (à mon avis, celui de l’auteur n’étant pas donné) de se quereller pour savoir « qui a commencé ». En particulier l’arsenal nucléaire d’Israël (bien étudié par l’auteur) est à la fois conséquence des menaces et une des cause du « droit à la bombe » réclamé par l’Iran. Droit dont Téhéran dit ne pas vouloir user, face à un total scepticisme israélien … mais aussi des pays arabes.

L’auteur fait le tour des relations internationales d’Israël avec les différents Etats ou entités (EU, mais aussi Europe, avec laquelle se font les deux tiers de son commerce). La diplomatie est gênée par la colonisation de la Cisjordanie, ce qui illustre le poids d’une minorité activiste sur la politique intérieure et extérieure. Et pour une éventuelle paix, l’écart est encore considérable entre la position arabe et les débats internes israéliens sur Jérusalem ou le retour des réfugiés.

Un environnement régional instable et hostile

L’auteur rappelle l’hostilité violente des voisins depuis l’origine, même si sa formulation verbale a parfois dépassé la réalité de la menace, comme en 1967. Mais cette hostilité s’atténue : depuis 1974, une partie des Palestiniens se contenterait de la Cisjordanie et de Gaza, l’Egypte retrouve le Sinaï après avoir reconnu l’Israël en 1979 et la Jordanie l’imite en 1994. Bref, si « la guerre est probable, la paix est possible ».

Depuis une génération, les guerres « asymétriques » (guérilla, terrorisme) ont succédé à celles entre Etats. Elles sont beaucoup plus difficiles : en 2006, Israël et le Liban ont été tous deux perdants au bénéfice du Hebzbollah. La deuxième Intifada a bénéficié au Hamas. L’inquiétude qui résulte de ces échecs chez les Israéliens les pousse à la guerre avec la Syrie ou l’Iran.
Par contre, la lassitude générale pousse à une paix basée sur un Etat palestinien plus ou moins dans les frontières de 1967. Un sous dossier très complet expose le cas de Jérusalem avec une carte détaillée ; il faut bien en méditer l’échelle, qui montre à quel point tout cela est minuscule, voire microscopique s’agissant de la vieille ville (1 km2).

Le conflit israélo-palestinien : entre paix sécuritaire et paix négociée
Un dialogue entre Eli Barnani et Elias Sanbar reprend l’engrenage de l’article précédent, notamment le poids de la politique intérieure sur l’échec des accords d’Oslo, l’extension de la colonisation et leur conséquence négative sur l’existence pratique d’un Etat palestinien. En sens inverse les Etats arabes, effrayés par « l’arc chiite » poussent à l’apaisement … et les Américains commencent à évoluer pour les mêmes raisons.

Institutions et vie politique : instabilité sur fond de stabilité

Les gouvernements se succèdent, mais le régime n’a jamais été menacé. On s’est au départ inspiré du modèle britannique en place, puis les institutions ont vieilli, une réforme est jugée nécessaire par tous, mais il n’y a aucun consensus sur son contenu. La constitution n’est toujours pas écrite, du fait des partis religieux. Les partis politiques sont moins suivis et les clivages idéologiques sont moins puissants. La proportionnelle intégrale multiplie le nombre des partis, permet l’émergence de nouveaux et implique des gouvernements de coalition qui doivent satisfaire la clientèle de chacun, notamment les orthodoxes. Les médias sont libres et puissants.
Finalement, c’est la Cour Suprême qui a vu son rôle grandi en luttant contre la corruption et en limitant certains abus envers les Palestiniens. Du coup, les politiques cherchent à réduire son indépendance.

L’immigration

Après la vague de l’après deuxième guerre mondiale, ce sont les juifs des pays arabes (dont 270.000 Marocains) qui arrivent dans les années 1950 et 60, puis 950.000 Russes et 70.000 Ethiopiens ( les « Juifs noirs » ). Les Intifada ont fait remplacer les navetteurs Palestiniens par 200.000 Roumains, Thaïs et autres asiatiques, voire par des réfugiés du Darfour … ce qui enlève des arguments à l’opposition au retour des réfugiés Palestiniens.

La société, entre valeurs communes et clivages sociaux

La société se définit par rapport à l’Occident et par opposition avec le monde arabe. Elle est ethnique et militaire. Elle est ethnique car l’Etat est juif et « les autres » sont « moins égaux », non seulement de fait mais aussi sur quelques points juridiques. Les juifs sont aux même profondément divisés, et pas seulement en Ashkenazes et Séfarades : il y a les laïques, les orthodoxes (très divisés), les Russes, les Marocains, les Yémenites, les Ethiopiens …
Quant à la « militarisation », elle est omniprésente : qui n’a pas fait son service militaire (les non-juifs, les objecteurs) ne fait vraiment partie de la société. Les anciens généraux sont nombreux en politique. Mais la popularité de l’armée commence à diminuer.

Une économie ouverte

Socialiste et étatiste à l’origine, l’économie s’est libéralisée depuis les années 1990 et s’est remarquablement comportée dans la mondialisation. L’IDH israélien est dans le peloton de tête mondial, et les dépenses d’éducation de R et D sont de loin les premières du monde en proportion du PIB … ainsi que les dépenses militaires, très supérieures à celles des pays arabes. Le revers de la médaille est l’écart croissant entre salaires qualifiés et non qualifiés … qui eux-mêmes viennent des groupes « ethniquement » défavorisés ainsi que de celui des orthodoxes, par choix du non travail cette fois.

La dégradation de la situation dans les territoires occupés

Tout y va mal : accession au pouvoir du Hamas à Gaza, tronçonnement de la Cisjordanie par les colonies et les points de contrôle, paralysie du gouvernement palestinien. L’effondrement socio-économique est profond, malgré l’importante aide étrangère, européenne surtout. La corruption, bien réelle, n’est qu’une cause très secondaire de cet effondrement. La situation a aussi un coût pour Israël : la construction du mur de séparation, décidée en avril 2002, revient à 2.5 millions d’euros pour chaque kilomètre de barrière, sans parler du soutien à la colonisation.

Conclusion

« Chez les Israéliens, le désir de normalité est consubstantiel d’une peur panique de cette même normalité » écrit Elias Sanbar, ambassadeur palestinien à l’Unesco, « abasourdi de constater que les travaillistes ont laissé construire plus de colonies que les faucons, qui ne voulaient pas la paix ». Cette ambivalence est présente tout au long de ces articles, et on pourrait la résumer par : « ce pays est une démocratie, mais … », le « mais » étant à la fois cause et conséquence du conflit.

Je regrette par ailleurs que la rédaction soit un peu trop policée, la situation n’étant pleinement compréhensible que si l’on donne quelques exemples de communautarisme, voire de racisme (aussi bien entre Israéliens que vis à vis de l’extérieur) , ainsi que de la violence, voire de l’horreur de certains évènements (des deux côtés). Je regrette également que la formule « la disparition d’Israël » ne soit pas toujours explicitée : il y a des degrés suivant les interlocuteurs, de l’élimination physique des juifs à leur retour « dans leurs pays » ou au simple remplacement des structures « sionistes » par celles d’un Etat laïque sur l’ensemble de la Palestine où Juifs et Palestiniens auraient les mêmes droits. Ce dernier cas, théoriquement satisfaisant pour des Européens, fait craindre aux Israéliens un « vote ethnique », puis la dictature d’une possible majorité arabe.

Malgré ces réserves très secondaires, dont la contrepartie est un ton mesuré qui a aussi son utilité, ce numéro réussit à être un guide très complet de ce petit pays complexe et cependant très dérangeant.

AUTRES ARTICLES

1) Le Parlement européen après l’élargissement

Cet article assez technique se limite à nous dire que la composition politique du parlement n’a pas changé avec l’élargissement, mais que la réforme corrélative étendra le champ de ses pouvoirs face à la Commission.

2) Les deux Corées : une péninsule, deux régimes

Au Sud, le développement rapide des années 1961 à 1996 a été interrompu par la « crise asiatique » de 1997. Le pays en est sorti en se libéralisant rapidement et croît de 5 % par an. La Chine est devenue le premier partenaire commercial.

La démocratie a remplacé les dictatures militaires. La hantise d’une nouvelle guerre a disparu avec la guerre froide. Les rapports avec le Nord se sont un peu détendus passant partiellement d’un comportement « américain » (contenir l’ennemi) à un comportement « chinois » de « primes à la coopération ».

Au Nord, règnent le culte de la personnalité, la proclamation surréaliste de l’autosuffisance et la répression. Les informations du Sud et de Chine commencent néanmoins à se répandre. On sent des troubles contenus et une reprise en main par l’armée symbolisée par l’essai nucléaire de 2006, utilisé ensuite comme moyen de marchandage en politique extérieure.

Quelques réformes économiques locales et une très forte dévaluation (le $ passe de 2,15 à 190 wons) montrent que les choses bougent. Mais l’inflation est très forte (215 % par an, le Kg de riz est passé de 0.08 à 44 wons en 4 ans) et la population reste très mal nourrie malgré l’aide internationale.
En politique extérieure, les deux Corées ont les mêmes interlocuteurs, mais avec des objectifs opposés.

3) Il y a cinquante, le traité de Rome

Un bref article conclut que de réforme en élargissement, on se dirige vers une union économique sans véritable intégration politique.

Yves Montenay, copyright Clionautes

Lire un autre CR sur le même ouvrage :
http://www.clionautes.org/?p=1704