Israël, la Fabrique de l’identité nationale, est un ouvrage d’Avner Ben Amos paru aux éditions du CNRS en 2010. L’auteur est professeur d’histoire de l’éducation à l’université de Tel Aviv. Il a aussi écrit Funerals, Politics and Memory in Modern France, 1789-1996 (Oxford University Press, 2000), traduit en français et diffusé à partir d’octobre 2013 sous le titre de Le vif et le mort, Funérailles, politique et mémoire en France (1789-1996).
Dans la présente étude, Avner Ben Amos cherche à montrer de quelle manière s’est construite l’identité nationale de l’Etat israëlien, une identité forte et pourtant récente, si l’on se concentre sur la partie sioniste de sa construction, en laissant de côté le sentiment d’appartenance ancien des Juifs à une même communauté. Il n’est pas question de discuter de cette identité ancienne – même si elle a contribué à la cohérence de la construction israëlienne – mais bien de la construction récente d’un sentiment d’appartenance national, élaboré consciemment par les autorités depuis la fin du XIXe siècle, en reprenant le savoir-faire européen.
Dans une langue soignée et claire, en s’attachant à un propos rigoureux, Avner Ben Amos choisit de mêler théories générales à l’étude d’exemples précis, car son sujet est tellement vaste, qu’il préfère le centrer sur certains de ses aspects emblématiques : la fabrique de l’identité nationale à l’école (I-), la construction de la mémoire nationale par le biais de commémorations de types variés (II-), l’utilisation de l’image et des nouveaux médias pour construire une conscience nationale à même de toucher toutes les parties de la population (III-).
Il adopte une démarche chronologique, ce qui se justifie par le fait qu’avec les péripéties nombreuses de l’histoire israëlienne, la réception et l’interprétation du sentiment national évolua dans les élites comme dans le peuple, mêlant à un souci de perpétuation d’une pureté originelle, les nécessités d’adaptation à des contextes nationaux et internationaux particulièrement instables.
Il est un fait frappant : la construction de l’identité nationale israëlienne est fortement inspirée des méthodes européennes de construction des identités nationales, démarrées avec la Révolution Française et montées en puissance dans le courant du XIXe siècle : scolarité diffusant le roman national et promouvant le modèle du citoyen, mémorialisation des événements importants de l’histoire, par le biais de l’Etat mais aussi la promotion des initiatives individuelles, associatives, construction d’une mythologie nationale, en utilisant pour se faire les arts, la culture, les médias.
Trois différences majeures peuvent toutefois être portées au compte de l’identité israëlienne : l’Etat est récent, et même si la construction de son sentiment d’appartenance a commencé dès la deuxième moitié du XIXe siècle, avec le militantisme de Herzl, il n’en reste pas moins que sa temporalité est plus courte que celles de pays comme la France et l’Angleterre, que Ben Amos prend souvent en exemple. D’autre part, Israël a un rapport dramatique au « roman national », étant donné que l’état de guerre et ses pertes afférentes y est quasi-permanent. Enfin, on ne peut faire l’économie de l’aspect religieux dans la construction de l’identité israëlienne, même si la vision de la religion varie fortement en fonction des différentes composantes de la population.
La construction de l’identité nationale par l’école s’est faite en trois temps, d’abord celui des pionniers charismatiques, avant les années 1920, puis celui des organisations pré-étatiques jusqu’en 1948, enfin celui de l’Etat israëlien et son Education Nationale proprement dites, depuis 1948. A chaque époque, le débat a été intense entre les tendances de la sphère éducative, allant d’une volonté d’enseignement empreinte de religion à celle d’un enseignement laïcisé, sur le modèle européen. Dans tous les cas, l’accord s’est toujours renouvelé sur les bases de l’identité nationale israëlienne à transmettre, puisées à la source de la théorie de Herzl.
Basée à l’origine sur un modèle de valeurs européennes, la construction de l’identité par l’école va s’amender peu à peu à partir des années 1950, avec l’arrivée de nouveaux migrants, notamment en provenance du Moyen-Orient et d’Afrique (Exemple de l’enseignement de l’histoire). Autre défi qu’il fallut et qu’il faut régulièrement relever, l’adaptation des fêtes et cérémonies – donc de l’enseignement de l’identité nationale à destination de toute la population – aux péripéties nombreuses du pays ainsi qu’à l’évolution de la sensibilité de ses citoyens à la fin du XXe et au début du XXIe siècles.
La suite de l’ouvrage étudie la fabrique de l’identité israëlienne sous l’angle de la mémoire collective : d’abord d’origine principalement associative ou individuelle (monuments marquant le territoire, mémoires), la commémoration des événements, des grandes réalisations, des grands hommes de l’histoire israëlienne va être investie par l’Etat (Prix Israël, musées). La mémoire israëlienne est marquée par la guerre, surtout à partir de 1948 (la « Grande Guerre » pour les Israëliens) et chaque nouveau conflit apporte son lot d’adaptations et de commémorations nouvelles, dans un esprit de défense et de sacrifice.
La dernière partie de l’étude s’intéresse à la culture visuelle – comment, par les images politiques, les émissions de télévision de plus ou moins grande audience, s’est construite l’identité nationale israëlienne ? Ben Amos décrit une élaboration comparable à ce que l’on connaît de la construction de l’identité nationale par la culture et les médias dans nos pays occidentaux.
Il remarque que le XXIe siècle s’ouvre sur une ère de remise en question du sentiment national israëlien, non pas disparu mais écartelé entre les différents groupes de la société, correspondant à leurs origines migratoires, leurs obédiences religieuses et/ou politiques, remis en question aussi par les nouvelles valeurs montantes : individualisme, universalisme des droits de l’homme, mondialisation, multiculturalisme.
De la même manière que les sentiments d’identités nationales occidentaux, le sentiment israëlien a été construit sur un modèle datant du XIXe siècle, cherchant désormais à s’adapter au complexe XXIe siècle.