C’est un ouvrage important, fondamental même au sens propre, qui parait actuellement chez Belin. Aldo Schiavone est professeur de Droit romain à l’université de Florence, dirige l’Institut italien de Sciences humaines. Il a publié en Italie plusieurs ouvrages, dont l’un a été traduit chez Belin en 2003: L’histoire brisée : la Rome antique et l’Occident moderne. Il a dirigé la publication en quatre volumes de L’histoire de Rome chez Einaudi, en Italie (1988-1993).

Ce grand spécialiste de l’histoire romaine apporte ici un éclairage très novateur de cet évènement fondateur de l’histoire de l’Europe occidentale, la naissance du droit (ius en latin)
L’auteur retrace ici, dans une grande fresque, qui court de la Rome archaïque (VIIIe siècle avant J.-C.) jusqu’à l’Empire romain du IIIe siècle ap. J.-C…) La genèse de ce droit, heureusement compilé dans le Code Justinien (529-534 pour l’essentiel, 534-565 pour les Novelles).

Ce qui pour nous est évident, à savoir la référence à un droit écrit, est le résultat d’une longue maturation à partir des préceptes religieux. Le code d’Hammourabi ou le Livre des Lois de la bible en sont deux exemples. On voit comment ce qui n’était au départ que rites et prescriptions, entièrement aux mains des pontifes, est peu à peu devenu une discipline autonome et puissante : le droit, qui a donné naissance à tous les systèmes juridiques des temps modernes.

L’empereur Justinien voulait restaurer la grandeur de Rome, militairement (reconquête provisoire d’une partie de l’Italie, de l’Afrique du Nord et de l’Espagne) et intellectuellement, en élevant un monument au droit, c’est-à-dire à ce que les Romains ont toujours conçu comme étant au cœur de leur civilisation. Cette mission d’une équipe de juristes dirigée par Tribonien, un professeur de l’École de Droit de Constantinople a eu pour résultat la publication de ces œuvres majeures que sont le Code et le Digeste, et d’ouvrages de moindre importance, les Institutes et les Novelles.
Le Code est promulgué en 529, puis réédité, en 534.

La première partie LA TRADITION ET L’HISTOIRE, présente le lien entre le Droit romain et l’Occident moderne. on y retrouve les références classiques à cette division entre le Droit Continental, France, Allemagne et Italie, marqué par la Romanité et le modèle Anglais. C’est, pour Aldo Schiavone, faire peu de cas des interpénétrations constantes. Au XVe et au XVIe siècle, des réélaborations de modèles antiques sont venues puiser en permanence aux sources du Code justinien, la référence la plus commode et la plus accessible.
Le Droit qui s’affirme au XIXe siècle, en même temps que les États-Nations permet de donnes aux entités ainsi constituées une personnalité juridique. Dans le même temps, l’étude de l’antiquité semble se détacher de l’étude du Droit romain.

C’est dans la partie consacrée à LA NAISSANCE D’UNE TECHNIQUE JURIDIQUE que l’historien pourra trouver son compte d’informations précises doublées d’une incontestable hauteur de vues. Aux origines, Rois, prêtres et experts élaborent un ensemble de rituels et de prescriptions qui peu à peu deviennent règles. La Loi devient l’expression, sinon d’une volonté générale mais à tout dle moins la garante d’un ordre qui s’impose à tous. Cette Jus civile fait progresser cette idée de l’équitable, ce qui est un ordre juste. Cet ordre ne peut alors, du fait de la fragilité des témoignages humains se limiter à l’affirmation orale. Seule l’écriture, la fixation dans la loi de la règle, en garantit la justice.
Peu à peu, une science juridique s’élabore. De Quintus Mucius à Servius et Cicéron. La Loi assure le maintien de l’ordre et son application dissuade et protège.
Les personnages, les idéologies, les événements politiques qui ont accompagné (parfois en le favorisant, parfois en y faisant obstacle) la naissance et l’histoire du droit sont donc analysés en un va-et-vient constant entre antiquité et modernité, entre pensée romaine et tradition européenne.
L’ouvrage présente de très nombreuses citations, puisant autant dans l’histoire et la philosophie que dans les textes juridiques, dont beaucoup inédits dans leur traduction française, des notes très abondantes, un index des sources et des auteurs.

Certes cet ouvrage est dense, riche de très nombreuses références, mais il éveille la curiosité en permanence et se révèle profondément enrichissant. C’est toute une histoire de la pensée, au delà du Droit que l’auteur donne ainsi à découvrir, et pour peu qu’il veuille bien se laisser entrainer dans ce voyage dans le temps, son lecteur se sentira plus fort dans un monde contemporain où le juridisme s’impose peu à peu. À certains égards, même si le Droit romain s’appuie aussi sur une pratique jurisprudentielle, il est moins tributaire de l’interprétation que le Droit anglo-saxon, constitué par accumulation de coutumes et de pratiques. Au moment où l’on cherche à remplacer la démarche inquisitoriale dans la recherche de la vérité, (L’instruction) par une pratique accusatoire, cette réflexion sur les fondements de notre Droit n’est pas anodine.

Bruno Modica © Clionautes