Ce livre présenté par les éditions L’Harmattan dans la collection Logiques Historiques est un recueil des 339 lettres écrites par le savant Urbain Dortet de Tessan, de 1820 à 1875. Cette collection s’attache à la conscience historique des cultures contemporaines. Elle accueille des travaux consacrés aux poids de la durée, au legs d’évènements clés, au façonnement de modèles ou de sources historiques, à l’invention de la tradition ou à la construction de généalogies. Les analyses montrent comment des représentations du passé peuvent faire figures de logiques historiques. La correspondance s’établit principalement avec sa mère (177 lettres) puis, après le décès de cette dernière, à sa sœur Félicité, enfin avec la fille de celle-ci, Rosalie, épouse de Lajudie. La présentation est chronologique, précisément datée et située, segmentée en 12 parties, et richement annotée parallèlemet aux évènements Historiques contemporains de Dortet de Tessan mais aussi au niveau de la généalogie et des amitiés.

Le récit commence au Collège Royal de Montpellier, le 26 Décembre 1820 ; en effet Urbain Dortet de Tessan est originaire du Vigan, situé dans les Cévennes dans le sud de la France.
Issu d’une famille noble, cet élève aspire à de hautes études scientifiques qu’il réussira en intégrant l’école polytechnique en 1822. Il en sort comme élève hydrographe et participe à de nombreuses campagnes qui avaient pour but de cartographier les côtes françaises. En 1829, il devient Ingénieur de 3ème classe c’est-à-dire lieutenant de vaisseau soit capitaine. De 1831 à 1834, il prête son concours à des campagnes sur les côtes septentrionales d’Afrique. En 1836, il est nommé chevalier de la Légion d’Honneur et s’engage dans un tour du monde à bord de la frégate « la Vénus ». Nommé ingénieur de 2ème classe en 1840, il sera promu Officier de la Légion d’Honneur en 1843. Il poursuivra sa progression sociale et scientifique jusqu’en 1852 où il quittera le service actif. Il intègre une commission de l’académie des Sciences puis décède à Paris le 30 septembre 1879.

Sensibilité affective

Outre la chronologie de sa vie, le récit bat au rythme des lettres que le savant écrit principalement à sa mère. Ainsi on y découvre toutes les idées que développa Dortet de Tessan et qui lui serviront de support pour de nombreux ouvrages scientifiques. Les lettres sont toujours très étoffées et font souvent suite aux lettres postées par sa mère, de sorte que l’on imagine très bien dans la réponse d’Urbain le contenu des missives précédemment reçues.
Alors quel intérêt peut on prêter à une telle correspondance qui pourrait vite s’avérer lassante? Un intérêt majeur !
En effet, bien que le style soit parfois lourd (et on ne peut le reprocher à l’auteur qui a reproduit fidèlement les écrits), cela vaut vraiment la peine de pousser un peu plus loin les investigations.
En effet, plusieurs lectures sont possibles.

On peut tout d’abord consulter cette succession de récits avec un œil scientifique puisqu’on y voit ce jeune étudiant travailler durement, intégrer l’école polytechnique, y choisir une filière de pointe où il y avait beaucoup de découvertes à effectuer et où le travail ne manquait pas. (cartographier toutes les côtes, les baies et sonder les rades). Ses voyages sont parsemés de réflexions et de recherches. Un réel souci de comprendre des phénomènes (aujourd’hui bien compris comme la foudre ou l’arc en ciel) transpire de ses comptes rendus. Enfin on y voit le parcours d’un jeune savant, grimpant les échelons avec patience et humilité et qui finira à l’académie des sciences, paré de multiples décorations des plus prestigieuses.

De la même façon, l’enchaînement des lettres peut prendre une allure romanesque. En effet, malgré le découpage du récit, on y suit les pérégrinations d’un jeune homme de son temps, respectueux de la bienséance, investi d’un amour maternel très fort, soucieux de sa famille, des problèmes économiques et politiques de son époque. On y croise des sentiments très forts d’un fils envers sa mère ou son père et on se surprend même à avoir une pointe de gêne à la lecture de ses lettres, parfois très intimes, car elles délivrent des sentiments familiaux profonds. On suit ses différents voyages comme des aventures, on se met à attendre des rencontres qui nous permettraient d’imaginer la vie vers 1837 sur l’île de Pâques, à Valparaiso (Chili), en Californie ou aux Galapagos.

Suivi de l’actualité

Enfin, pratiquement toutes les lettres d’Urbain Dortet de Tessan sont d’une grande richesse historique puisqu’elle nous permettent d’avoir une vue détaillée de la vie politique de l’époque qui s’avère être, et c’est un doux euphémisme, agitée. En effet, Urbain relate souvent les différents remous parisiens à ses parents Cévenols, souvent enrichis d’informations claires et précises. Ses idées politiques transparaissent peu à peu mais le savant semble se lasser du trop plein de mouvement et aspire fortement à une certaine forme de tranquillité. Pour les adeptes de cette période, le récit deviendra alors très agréable puisque les détails sont nombreux, les personnages bien connus, et et le jeu « de chaises musicales » à la tête des différents ministères nous amuse même. La récit prend ici toute sa force historique car il transpire le vécu, le goût du détail, peut-être même y transparaît ici une certaine rigueur scientifique.

Mais la plus intéressante des lectures ne serait elle pas celle qui nous renvoie à un éternel recommencement de l’Histoire. Dans ce terme convenu et un peu « bateau » je vous l’accorde, pourquoi ne pas y voir un lien direct avec notre Histoire contemporaine.

Un élève sérieux et appliqué qui fournit des efforts constants afin d’intégrer une école scientifique en vue de profiter au mieux, déjà, de l’ascenseur social car noble en pays cévenol ne suffisait pas, dans une famille nombreuse, à assurer un futur digne.
Un jeune étudiant qui se soucie sans cesse de ses problèmes financiers afin de payer ses études, des problèmes d’argents de ses parents en difficulté pour entretenir et conserver leur domaine du Vigan.
Un homme avisé qui tente d’aider la petite entreprise familiale afin de la pérenniser et qui tente de mettre ses qualités de scientifique au profit du progrès industriel.
Un savant, aux origines terriennes, plein d’humilité qui regarde l’agitation des politiques avec amusement et parfois ironie, et qui déplore ses pauvres revenus comparés aux efforts consentis et aux découvertes effectuées.
Un homme qui observe l’évolution des mœurs et de la religion avec un œil critique.
Enfin, un vieux savant inquiet de voir ses revenus fondre comme neige au soleil lors de sa retraite malgré les multiples campagnes effectuées à travers le monde et les nombreux ouvrages.

En conclusion, cet ouvrage, riche, est à recommander aux passionnés de la période 1820-1870 car ils y trouveront des récits détaillés et étoffés, mais aussi à des amoureux des sciences qui pourront suivre les doutes, la progression et la réussite d’un savant. On peut remercier ici l’auteur, Martine de Lajudie, qui a sur fournir un impressionnant travail de fourmi qui a permis de classer toutes les lettres, de fournir des annotations de qualité qui permettent de s’imprégner très facilement de la généalogie et des évènement précis de cette époque.

Cédric Garcia © Clionautes