Un brillant essai sur le Japon qui donne un certain nombre de clefs pour comprendre ce premier pays non-occidental à accéder à la modernité.
par Isabelle Debilly, enseignante à l’Ecole européenne de Bruxelles.

Dans la collection Asie plurielle dirigée par Pierre Gentelle, Philippe Pelletier propose aujourd’hui un petit volume sur le Japon. Géographe, P.P. est connu par ses publications scientifiques diverses sur ce pays depuis le début des années 90 ; il a été notamment chargé du 5e volume de la GU GIP/Reclus en 1994 ; il est aujourd’hui enseignant à l’Institut d’Asie orientale (Lyon II).

Petit livre par la taille, ce livre est une synthèse très riche sur le Japon d’aujourd’hui. Livre de géographie, oui mais d’une géographie englobante qui utilise largement les ressources de l’histoire, de la sociologie, de l’ethnologie, de la littérature, et qui est attentive à l’évolution politique du pays. Cet ouvrage est un essai pour comprendre comment et pourquoi le Japon, «premier pays non occidental qui ait accédé à la modernité culturelle et économique», connaît aujourd’hui une crise de cette modernité.

Dans une première partie, P.P. situe le Japon dans un ensemble géopolitique particulièrement complexe, au voisinage des Etats-Unis, de la Chine et de la Russie, et cela dans une configuration avant tout maritime, surinsulaire pour le Japon (6852 îles recensées). L’archipel japonais est variable dans le temps (cf. Hokkaidô, île éloignée et barbare avant 1868 et depuis intégrée à l’espace centralinsulaire). En intégrant la ZEE, le Japon est au 6e rang mondial, il ne s’agit pas d’un petit pays ! P.P. montre également comment la question des origines est aujourd’hui cruciale au Japon ; la question des migrations anciennes reste une question passionnelle ; la controverse sur l’origine coréenne de la famille impériale en est un exemple ; le peuplement ancien de l’archipel est encore en débat. Loin d’être du passé, l’histoire japonaise est au cœur du Japon d’aujourd’hui. Très lié à la Chine, la monarchie japonaise se structure peu à peu au cours du Moyen âge. P.P. reprend à grand traits les différentes étapes de l’histoire de l’archipel, du semi repli des Tokugawa à la «baguette meijique».

Dans une deuxième partie, P.P. présente la maîtrise de l’espace nippon et il insiste davantage sur les atouts de cet espace que sur les contraintes, réelles certes mais avec lesquelles les Japonais ont appris à vivre au fil des siècles. C’est un pays marin, peuplé d’insulaires qui n’oublient pas la dimension terrestre. Les risques naturels sont nombreux, mais ils ne sont pas concentrés dans un même endroit et les Japonais ont appris depuis longtemps à maîtriser leur territoire mais aussi à vivre avec le sentiment du fugitif. Le manque d’espace de l’archipel est dénoncé comme un mythe, et la construction de terre-pleins littoraux ne répond pas qu’au manque d’espace. L’urbanité y est ancienne et montre les capacités d’adaptation des Japonais, la ville aujourd’hui se tourne davantage vers la mer qu’hier.

La troisième partie aborde l’étude de la société japonaise et les tensions qui la caractérisent aujourd’hui, entre tradition communautaire et recherche individualiste. P.P. insiste notamment sur les transformations des jeunes mais aussi celles des femmes, sans négliger la présence des communautés étrangères comme les Coréens. Existe-t-il une ethnie unique ou y a-t-il multijaponité ? Le débat sur l’identité japonaise n’est pas terminé ! P.P. conclue cette partie par un chapitre très intéressant sur l’importance des masques dans l’archipel, instrument qui permet de se soustraire au regard de l’Autre.

Enfin la dernière partie montre les oppositions régionales entre Japon de l’Ouest et Japon de l’Est, ainsi que les enjeux politiques de la décentralisation en débat aujourd’hui. Le poids de Tokyo est également souligné. La modernité japonaise repose aussi sur une capacité de mutation qui laisse ouvert l’avenir. Cette crise structurelle qui touche tout le Japon peut-elle mettre en jeu l’évolution de la démocratie, l’adaptation du capitalisme d’Etat, mais aussi les changements d’attraction de la sphère américaine à la sphère asiatique ?

C’est un livre passionnant et une synthèse remarquable pour la qualité de l’information, et notamment l’intérêt des cartes présentées. Cependant, on regrette parfois le manque de simplicité de l’expression qui ne pourrait que mettre davantage en valeur la qualité de la réflexion ; c’est peut être la seule critique à apporter à cet ouvrage qui se veut destiné à des non-spécialistes.

Les enseignants retrouveront une partie de ces thèmes traités dans la Documentation photographique n°8029 « Le Japon une puissance en question ». Mais davantage approfondi, cet ouvrage devrait être lu d’urgence par tous les enseignants du secondaire qui traitent le Japon avec leurs élèves. Dans une vision utilitariste, il est à remarquer que cette nouvelle collection est particulièrement exploitable pour les enseignants d’histoire-géographie, d’une part parce qu’elle propose une synthèse rapide sur un pays, mais aussi parce qu’elle privilégie les transformations actuelles des sociétés asiatiques tout en donnant les fondements culturels de ces sociétés. Un compte-rendu avait d’ailleurs déjà été fait sur l’ouvrage sur l’Iran. Quel dommage que cette collection ne concerne que les pays asiatiques….
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